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NICON


était de savoir si le patriarche devait être considéré comme sujet du tsar. Paise Ligaridès, il fallait s’y attendre, prit résolument le parti de césar. Mais parmi ses contradicteurs, il nomme « le synode », Palmer, t. iii, p. 214, Simon, archevêque deVologda (p. 215), le synode (p. 219). Il y eut aussi une dispute entre « les évoques russes » (p. 245) et le métropolite de Gaza (c’est-à-dire Paise Ligaridès), pour savoir s’il était permis de prononcer l’anathème contre ceux qui se révoltaient contre leur souverain, et les évêques russes défendaient la négative. On aimerait avoir des comptes rendus authentiques de ces séances, que la censure impériale effaça des actes du concile.

L’exil. — Dès décembre 1666, Nicon fut mené au monastère de Therapontov, près de Beloozero, puis, après quelques années, au monastère de Saint-Cyrille de Beloozero, où il passa le reste de sa vie dans une pénible captivité (1666-1681). Quand, après la mort d’Alexis Mikhailoviô (1676), son successeur Feodor Alexeeviè monta sur le trône, Nicon fut au moins partiellement réhabilité. Feodor finit même par le rappeler à Moscou, mais Nicon mourut en chemin (1681). Il fut enterré solennellement, avec les honneurs patriarcaux, dans son monastère de la Nouvelle-Jérusalem. Il est piquant de constater que Nicon, qui avait été le grand ami et bienfaiteur des Grecs durant son patriarcat, qui avait été déposé par les patriarches et évêques de l’Orient grec en 1666, fut réhabilité par ces mêmes hiérarques quand Feodor Alexeeviô le désira, tant il est vrai que la conscience des hiérarques grecs, en cette affaire, dépendait à peu près uniquement de la volonté du tsar, lequel d’ailleurs ne ménageait pas son argent.

Les Russes restent toujours divisés sur la personne de Nicon. Plusieurs historiens, en particulier Serge Soloviev, Kapterev et d’autres, ne voient en lui qu’un intrigant. Le jugement est injuste. D’autres veulent le canoniser. Il a même trouvé sa place dans quelques listes hagiographiques locales, et des miracles lui ont été attribués.

II. L’ecclésiologie de Nicon. — On la trouvera formulée surtout dans son grand ouvrage : Répliques aux questions du boyard Siméon StreSnev, el aux réponses de Paise Ligaridès, et dans les lettres ou mémoires qu’il adressa au tsar de 1658 à 1666. Il est malheureux que tous ces ouvrages soient inspirés par la polémique. Le ton est souvent exagéré, les digressions abondent, la pensée est difficile à saisir. La conception de l’Église que propose Nicon repose sur des bases plutôt juridiques que théologiques. Son exégèse de l’Écriture, qu’il connaît cependant à fond, manque de force et de clarté, mais il a une connaissance prodigieuse de toutes les sources, cependant complexes, du droit byzantin. Rappelons en passant que l’Église telle que Nicon la décrit n’a jamais existé en Russie. Nicon nous montre une Église souveraine, respectée, mais jamais dominée par la couronne. C’est un rêve… Depuis Justinien, les empereurs orientaux s’ingéraient toujours à gouverner l’Eglise. Il en fut de même en Russie. Nicon s’efforce de prouver le contraire et cite, bien malencontreusement, l’exemple d’Ivan IV le Terrible. Palmer, t. i, p. 336. Nicon lui-même, lors de son patriarcat actif, de 1652 à 1658, accepta sans hésiter les interventions nombreuses du pouvoir laïque dans son gouvernement. Par conséquent, les remarques de Nicon s’appliquent à une Église idéale. Mais, cette réserve faite, nous trouvons beaucoup à admirer dans la conception grandiose du patriarche moscovite.

1° L’Église et l’État. — C’est la clef de voûte de la doctrine niconienne. L’Église est absolument indépendante de l’État dans l’exercice de son autorité. Bien mieux, l’Église n’est pas seulement indépendante

de la couronne, elle lut est supérieure. Il est intéressant de voir ce patriarche orthodoxe, chef, par conséquent, d’une Église essentiellement nationale, développer cette idée qui ne peut être réalisée que dans une Église vraiment catholique, dont le chef a toutes les prérogatives de la souveraineté. Ainsi, pour citer l’exemple favori de Nicon, Constantin laissa place libre à Silvestre de Rome et s’en alla à Constantinople. « L’autorité du tsar est une chose, l’autorité de l’évêque en est une autre. Mais celle de l’évêque est supérieure à celle du tsar, comme le ciel surpasse la terre… Car l’évêque est l’image de Dieu et est assis sur le trône de Dieu. Le tsar n’a même pas le rang d’un lecteur, encore moins d’un sous-diacre, ou d’un prêtre et bien moins encore d’un évêque. » Palmer, 1. 1, p. 242. « Ce n’est pas le sacerdoce qui tire son origine de la royauté, mais bien la royauté du sacerdoce. » (Ibid., p. 250.) Nicon n’ignore pas la distinction classique : « Le tsar est suprême dans les choses temporelles, l’évêque dans les choses spirituelles », mais il semble bien qu’il soit impossible que les deux autorités souveraines vivent côte à côte sans difficultés, et Nicon finit par rappeler l’antique exemple de Constantin, s’en allant pour faire place libre à Silvestre (on connaît le récit apocryphe de la Donation de Constantin au pape Silvestre du patrimoine de Saint-Pierre). Tout le passage serait à citer, car le ton est moins polémique, et Nicon, croyons-nous, donne assez clairement le fond de sa pensée : « Dans les choses spirituelles qui appartiennent à la gloire de Dieu, l’évêque est supérieur au tsar, car lui seul peut posséder et maintenir la juridiction spirituelle. Dans les choses de ce monde, le tsar est supérieur. Ainsi — conclut Nicon dans un excès d’optimisme — il n’y aura pas d’opposition entre les deux autorités. Néanmoins, l’évêque a un certain droit de regard sur la juridiction séculière, un droit de direction, dans certaines matières, mais le tsar n’en a aucun dans l’administration des affaires ecclésiastiques et spirituelles. » Mais le suprême degré de l’autorité restera bien dans les mains de l’évêque, d’après Nicon, car « si le tsar n’obéit pas aux lois de Dieu, l’évêque pourra lancer une censure ou une excommunication contre lui, non pas contre lui en tant que tsar, mais contre la personne qui a apostasie contre la loi. » Et, comme le tsar n’a pas la contrepartie, c’est bien, en’fin de compte, l’évêque qui doit rester souverain. Nicon, sentant l’irréalité de cette doctrine pour son Église orientale, en vient à son exemple favori : « Mais le pouvoir et l’autorité de l’Église chrétienne furent principalement développés du temps de l’empereur Constantin le Grand, qui fut baptisé par le pape saint Sylvestre, et guéri par lui de sa lèpre. » Après avoir énuméré tous les honneurs que l’empereur prodigua à Silvestre « pour la plus grande gloire de saint Pierre », il ajoute : « Ensuite, il lui donna Rome, et lui laissa comme sa province toute la région de l’Ouest, et transféra sa capitale à lui dans l’Orient. » Et la raison de ce transfert, Nicon la donne ailleurs. « Car il n’est pas convenable qu’un roi terrestre exerce son autorité là où le roi du ciel a établi le pouvoir épiscopal et la tête de la religion chrétienne. » Palmer, t. i, p. 327. En d’autres termes, le chef de l’Église doit jouir de la souveraineté. Nicon ne va pas expressément jusque-là, il se contente de donner les raisons de la supériorité du pouvoir ecclésiastique : l’autorité de l’évêque est spirituelle, « par conséquent, le tsar est inférieur à l’évêque et doit lui obéir. » De plus, d’après Nicon, « l’évêque a le pouvoir et la juridiction de faire ce qui appartient à la juridiction du tsar, c’est-à-dire qu’il peut juger et gouverner par la double loi, la loi spirituelle et la loi de ce monde ». Mais Nicon se rend compte qu’il est sur un terrain moins sûr. Il conclut