Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

41

NATURE (ETATS DE’42

PI’. Hugon, Garrigou-Lagrange et. Pègues, ce dernier avec quelques atténuations, semble-t-il ; cf. C.omm. de la Somme, I u -U’°, q. lxxxv, a. 3, p. 724. Gonel, qui avait exposé la deuxième opinion dans son Clijpeus, De hominc, dis)). IV, a. 3, § 2, se rétracta ensuite dans son Manuale, Venise, 1778, p. 141, et reprit l’opinion commune des thomistes.

Voici la principale raison qu’apportent les partisans de cette opinion pour montrer que l’homme, dans l’état de déchéance non réparée, a moins de forces pour faire le bien moral naturel qu’il n’en aurait eu dans l’état de nature pure. « Dans l’étal de déchéance, disent ils, l’homme naît avec une volonté qui est, par le péché originel, détournée de Dieu, cwersa a Deo, tandis que, dans l’étal purement naturel ou de nature pure, il naîtrait avec une volonté qui pourrait, soit se porter vers Dieu, soit lui préférer un bien créé, mais qui ne serait pas détournée de lui. » Cf. S. Thomas, De veritate, q. xxiv, a. 12, ad 2um ; De malo, q. vi, a. 2. Il est, en effet, certain que, par le péché originel, la volonté est détournée de Dieu, fin ultime surnaturelle, et indirectement aussi de Dieu fin ultime naturelle, car tout péché contre la lin dernière surnaturelle est indirectement un péché contre la loi naturelle, qui nous ordonne d’obéir à Dieu, quoi qu’il commande. La volonté appliquant toutes les autres facultés à l’action, si elle est détournée de Dieu et inclinée au mal, toutes les autres facultés en souffriront, leur inclination à la vertu sera diminuée, et donc moindre que dans l’état purement naturel. Cf. La vie spirituelle, t. vii, p. 25.

Celte doctrine est conforme à l’enseignement de saint Thomas sur la nécessité de la grâce pour aimer Dieu par-dessus tout et pour observer la loi naturelle. Dans la I^-II 33, q. cix, a. 3, parlant de l’état de pure nature dans lequel l’homme aurait pu être créé, il dit : « L’homme, par ses seules forces naturelles, peut aimer Dieu (auteur de sa nature) plus que lui-même et par-dessus tout. » (Scd contra.) « Mais, ajoule-t-il (in corp.), dans l’état de nature corrompue, il ne le peut pas, car, par suile de la corruption de la nature, la volonté se porte vers son bien propre, à moins qu’elle ne soit guérie par la grâce de Dieu. » Pour la même raison, dans l’état de déchéance, l’homme ne peut pas observer toute la loi naturelle sans la gratta sanam (ibid., a. 4).

Le saint docteur parle de même en beaucoup d’autres endroits, notamment lorsqu’il décrit les blessures qui sont la suite du péché originel : I a -II ifi, q. lxxxv, a. 3, ad 2um, 3um et 4um ; III », q. lxix, a. 4, ad 3um ; Ia-IIæ, q. lxxxix, a. 1, ad lum ; q. lxxxiii, a. 1, 2, 3 : q. xci, a. 6, etc. (Cf. La vie spirituelle, t. xii, p. 27, n. 5.) Il voit même dans le désordre de la concupiscence et dans la faiblesse pour le bien, tels qu’il les constate dans l’humanité, un signe assez probable du péché originel. Cont. Génies, t. IV, c. lu.

Pour résumer : Des trois sortes de biens de nature que nous pouvons considérer dans la nature humaine,

— ses principes essentiels et les propriétés qui en découlent, l’inclination naturelle au bien de la vertu, et les dons gratuits qui constituaient la justice originelle — cette dernière sorte de biens a été enlevée totalement et dans toute la nature humaine par le péché originel. Dans l’état de déchéance, la nature est spoliata graluitis, n’ayant plus les biens d’ordre surnaturel qui la rendaient participante de la vie même de Dieu, et vulnerata eliam in naturalibus, en ce sens que l’ordre parfait de toutes ses facultés morales à ce qui est leur bien propre, tel que l’avait institué le don d’intégrité, n’existe plus ; si bien que chacune d’elles peut désormais défaillir et pécher à l’endroit de son bien propre.

Par contre, les principes essentiels de la nature avec

les propriétés qui en découlent demeurent absolument intacts ; ni le péché d’origine, ni même les péchés actuels n’y peuvent rien.

Enfin l’inclination au bien de la vertu n’est pas non plus diminuée en elle-mJme par le péché originel qui n’amoindrit pas la nature, source et principe de cette inclination. Si donc l’on parle de diminution de l’inclination au bien produite par le péché, il ne peut être question que de la nature considérée dans un individu déterminé et des péchés personnels de cet individu, auquel cas, en effet, comme l’enseigne saint Thomas, l’inclination naturelle à la vertu diminue par l’inclination contraire positive due à l’acte peccamineux. Ia-IIæ, q. lxxxv, a. 1.

Ce qui n’empêche pas qu’on puisse admettre une certaine péjoration de l’état de l’homme, après le péché d’Adam, par comparaison à l’état de nature pure, si l’homme avait été créé dans cet état ; mais cette péjoration est purement extrinsèque, et ne doit être conçue, en aucune façon, comme affectant l’homme en lui-même.

IV. Él’AT DE NATURE DÉCHUE ET RF.PARrE. —

Comme on l’a déjà fait remarquer, ce que nous appelons ainsi, est, à proprement parler, plutôt un état personnel qu’un état de nature. En effet, la nature comme telle n’est pas réparée, puisqu’elle se propage encore avec le péché originel, et que, par suite, seules les personnes sont rétablies dans l’amitié de Dieu, puis, par l’intermédiaire de la personne, la nature de l’individu. Aussi l’état de nature réparée est inconnu de saint Thomas, pour qui la grâce est un don personnel (cf. Kors, op. cit., p. 136).

Néanmoins, et sous le bénéfice de cette restriction, on peut s’en tenir à l’appellation traditionnelle et parler ici de l’état de nature réparée, entendant par là l’état actuel de l’homme, tel que l’a fait la réparalion du péché et le rachat de l’humanité par la satisfaction, et la rédemption surabondante du Christ.

Dans l’Écriture, cet état est appelé unç rédemption (Luc, i, 68 ; I Tim., ii, 6), une réconciliation (II Cor., v, 18-19 ; Rom., v, 10), une rénovation ou une création nouvelle (II Cor., v, 17), une récapitulation, une restauration du genre humain dans le Christ Jésus (Eph., i, 10 ; iv, 23 ; Col., i, 20). Ces expressions indiquent clairement ce que l’on peut appeler les deux termes de la réparation accomplie par le Christ. Le point de départ, le terminus a quo, c’est la ruine générale et la perdition de l’humanité causées par le péché originel ; le point d’arrivée, le terminus ad quem, c’est, pour chaque homme, la vie de la grâce, l’amitié de Dieu, la liberté et la gloire de ses enfants, le royaume du Fils de Dieu, c’est-à-dire la participation à la gloire dont celui-ci jouit. Par conséquent la fin de la réparation n’est pas la restitution ou la reconstitution pure et simple de l’état d’où Adam était déchu, avec tous les dons qu’il tenait de la munificence du Créateur, mais un nouvel état constitué dans et par le Christ, et comprenant les biens qu’il nous a mérités par son sang, et différents de ceux du premier état.

Ces biens, c’est d’abord la grâce sanctifiante, principe de notre régénération ; puis la gloire qui est le terme et le couronnement de la grâce ; les grâces actuelles et tous les secours particuliers par lesquels nous nous dirigeons vers notre fin ; enfin les dons gratuits dont le péché d’Adam nous avait dépouillés, l’immunité de la concupiscence et de l’ignorance, l’impassibilité et l’immortalité.

A s’en tenir à cette énumération, la différence n’est guère sensible entre les deux états. Effectivement Notre-Seigneur nous a rendu ce que nous avions perdu en Adam ; il y a même ajouté ce que réclamait la restauration qu’il accomplissait. Mais il a adapté et proportionné la restitution comme les dons