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NICOLAS III


pour réduire les derniers Ilohenstaufen pourrait bien, un jour ou l’autre, créer au Saint-Siège un péril non moins grand.

Ce péril, Jean Gætani, en a pris nettement conscience lors du conclave qui a suivi la mort d’Innocent V ; d’ami de Charles d’Anjou, il s’est fait son adversaire ; devenu Nicolas III, il se préoccupera avant tout de desserrer l’étreinte du roi de Sicile. Successivement Charles devra renoncer à la charge de sénateur de Rome, qu’il devra déposer a la date fixée, 15 septembre 1278, et au vicariat de Toscane. Une constitution rendue le 18 juillet 1278, Fundamenta militantis Ecclesiæ (Potthast, n. 21 362, Gay, n. 296) précise que, , dorénavant, aucun empereur, roi, prince, marquis, duc, baron ne pourra être nommé sénateur, de la Ville, sans une permission spéciale du Saint-Siège, et que la durée du mandat ne pourra dépasser un an. Les citoyens romains, au contraire, reçoivent toute facilité pour être désignés à ce poste. Il s’agit, et la constitution le dit en termes formels, de sauvegarder contre toute puissance étrangère la liberté du pape et celle des cardinaux pendant la vacance du Siège. Comme suite à cette décision, des élections eurent lieu qui remirent à Jean Gætani lui-même, en sa qualité de citoyen romain et sa vie durant, la’dignité sénatoriale. Nicolas refusa d’exercer lui-même le pouvoir et désigna comme sénateur pour l’année 1278-1279 son neveu, Matthieu Rubœus, pour l’année suivante Jean Colonna et Pandulphe Savelli. Fidèle à son attitude antérieure, Charles d’Anjou ne fit aucune difficulté à ces mesures qui lui enlevaient à Rome toute influence directe ; de même abandonnât-il de bonne grâce le vicariat de la Toscane. Potthast, ’n. 21 408-21409 du 16 septembre 1278.

Mais, si l’Angevin desserrait son emprise sur l’Italie centrale, Rodolphe de Habsbourg commençait à s’infiltrer dans le Nord. Contre lui Nicolas ne nourrissait pas de défiance, mais il entendait bien que, se contentant des contrées où traditionnellement s’exerçait l’influence allemande, le roi des Romains respecterait les terres qui, plus ou moins directement, relevaient de l’État pontifical. Dès les premiers jours de son pontificat Nicolas entame des négociations pour recouvrer en toute indépendance la Romagne et diverses parties de l’ancien exarchat, pour obtenir de Rodolphe le renouvellement des « privilèges » accordés par les souverains antérieurs, Frédéric II, Othon VI et même Louis le Pieux et Charlemagne, pour arracher à tous les princes allemands une renonciation en bonne forme aux droits prétendus de l’empire sur les pays constituant le domaine de l’Église. Cf. Potthast, n. 21261(= 21 496), 21 332-334, 21 345, 21 485, 21 500 sq. Rodolphe dut s’incliner — il le fit d’assez bonne grâce, semhlet-il — devant les exigences du pape. Bôhmer-Redlich, Rcgesla imperii, t. vi. n. 1062-1063, 14 février 1279. En retour, le pape s’occupe très activement d’établir entre le roi des Romains et le roi de Sicile une paix durable, appuyée sur un accord matrimonial. Charles y gagnait d’assurer ses droits sur les comtés de Provence et de Forcalquier ; Rodolphe, de son côté, aurait les mains libres dans le Nord de l’Italie. Cf. Potthast, n. 21 592-6-7. L’alïaire ne fut d’ailleurs définitivement réglée que sous le pontificat de Martin IV.

Les négociations entre la curie et le roi des Romains n’ont-elles pas eu un objet plus vaste ? On se l’est demandé. Tolomée de Lucqucs rapporte un on-dit, suivant lequel Nicolas aurait eu l’intention de modifier profondément la constitution du Saint-Empire ; il aurait rendu le royaume d’Allemagne héréditaire d’électif qu’il était jusque-là. et en aurait détaché de façon définitive le royaume d’Arles (ou de Vienne)

qui ne relevait plus que nominalement de l’empire, la Lombardie d’autre part et enfin la Toscane. Htst. eccl., t. XXIII, c. xxxiv, dans Muratori, lier. ilal..script., t. xr, col. 1 183. D a coulé beaucoup d’encre autour de ces quelques lignes de Tolomée, sans que la question ait été bien éclaircie. Il semble que la curie romaine n’était pas sans s’intéresser aux vues des divers publicistes qui préconisaient, depuis le grand interrègne, un renouvellement complet du vieil empire romain de la nation germanique ; il n’est pas impossible que Nicolas, même depuis l’élection de Rodolphe et sa reconnaissance comme roi des Romains par Grégoire X et le IIe concile de Lyon, ait encore perçu, dans son entourage, des bruits relatifs à ces bouleversements. Il est difficile de dire, en l’absence de documents, s’il est allé plus loin dans cette voie : il reste que, dans les négociations avec Rodolphe, il n’est guère question du couronnement impérial à Rome. Sur ce point qui intéresse quelque peu le théologien à cause des théories connexes sur le « pouvoir direct », voir ce qui est dit à la bibliographie.

Les accords avec Charles et Rodolphe, qui occupèrent longuement la diplomatie de Nicolas III, ne lui firent pas perdre de vue la grande question de la croisade. On a dit à l’art. Lyon (IIe concile de), t. ix, col. 1397 sq., quelle fut, par rapport à l’ « Union » des Grecs et des Latins, la politique de Nicolas ; il n’y a pas à y revenir. Marquons seulement ce qu’il fit en Occident pour la réalisation du grand projet. La première chose était de rassembler les ressources pécuniaires, et d’insister sur le paiement des contributions qu’avait ordonnées le concile de Lyon. On n’y manqua pas. Le registre de Nicolas contient de très nombreuses lettres adressées aux collecteurs pontificaux, les invitant à presser de toutes manières la rentrée des fonds. Plus important était-il d’engager les princes chrétiens à faire trêve à leurs querelles, et à songer plus à ce qui devait les unir qu’à ce qui les divisait. C’était avant tout sur la France que comptait le pape ; mais le différend qui, depuis 1274, la mettait aux prises avec la Castille risquait fort de détourner Philippe le Hardi de toute expédition lointaine ; il pensait davantage à envahir l’Espagne. Nicolas fit des efforts considérables pour apaiser ce conflit ; les meilleurs de ses diplomates, Simon de Brion (le futur Martin IV), Jérôme d’Ascoli ministre général des frères mineurs (le futur Nicolas IV), Jean de Verceil, général des dominicains, y furent employés au cours des années 1278 et 1279 ; ils ne réussirent qu’à écarter le conflit armé, sans rétablir entre les deux rovaumes une véritable paix. Cf. Potthast, 21 259, 21 294-5, 21 310, 21 359, 21 380, 21 400, 21 489 sq., 21 683. etc. A l’est de l’Europe, Nicolas intervenait également en Hongrie, pour rétablir la paix menacée par les discordes intérieures et parles interventions étrangères. L’action du légat pontifical. Philippe de Fermo, ne réussit qu’imparfaitement à triompher des obstacles accumulés par le roi Ladislas IV. Potthast, n. 21 660 sq. Après la mort de Nicolas le Saint-Siège sera obligé de mettre la Hongrie en interdit. Les autres nations européennes, si elles donnaient au pape moins de préoccupations, ne montraient non plus un zèle extrême pour le « passage outre-mer ». Bref, malgré certaines circonstances favorables, la cause de la croisade sembla plutôt en recul. Pourtant, du fond de l’Asie, arrivaient à la curie, des propositions intéressantes. Sous Jean XXI, une ambassade du khan Abagha était parvenue à Rome, proposant une alliance entre chrétiens et Mongols contre les musulmans, et ouvrant des perspectives sur la conversion possible du grand khan de Kambalik (Pékin). Nicolas répondit