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NATURE (ETATS DE :


se ramènent à quatre, selon les quatre facultés qui sont capables de vertu : l’ignorance dans l’intelligence, la malice dans la volonté, la faiblesse ou l’infirmité dans l’appétit irascible et la concupiscence dans l’appétit concupiscible. La lumière du discernement surnaturel étant éteinte et la lumière naturelle de la raison obscurcie par les ténèbres des passions, l’intelligence se trouve plongée dans l’ignorance ; l’inclination de la grâce qui élève au bien divin écartée, la volonté est attirée vers son bien propre d’ordre sensible ; une fois enlevée la vigueur de l’âme qui contenait parfaitement l’appétit sensible dans sa fonction et son office, la partie irascible devient inconstante et trop faible pour résister au mal, tandis que le concupiscible s’enflamme et se laisse entraîner vers les jouissances immodérées. L’homme est donc, à la lettre, spoliatus gratuitis.

Mais le péché originel produit aussi dans l’âme une tache, résultant de la privation de sa splendeur. Par lui, l’homme a été privé de la grâce et est tombé dans l’ignorance ; l’âme humaine a alors perdu la gloire de son premier jour : c’est là la tache qui nous souille et nous rend odieux au Créateur. De plus, par le péché originel, connue par tout autre péché, l’homme a encouru une peine. Tout péché appelle contre le pécheur une réaction de la part de l’ordre qu’il a troublé. Le désordre de la nature déchue est. contraire à l’ordre divin ; Dieu, à son tour, s’oppose à l’homme. L’union d’amour entre la créature et son Créateur est rompue. L’homme, il est vrai, demeure toujours appelé à la fin surnaturelle, car le péché n’a pas aboli cet appel ; mais, privé de la justice originelle, et rien ne suppléant à cette grâce, il est dans l’impossibilité absolue d’atteindre sa fin dernière ; le ciel lui est fermé, et au lieu de la vie bienheureuse, c’est la mort éternelle qui l’attend. A cette mort prélude la captivité de la nature humaine sous le joug du démon, car c’est une loi constante de la justice divine que le vaincu soit assujetti à son vainqueur et devienne son esclave. Enfin l’homme déchu connaît la mort et les infirmités corporelles, que Dieu, il est vrai, ne lui inflige pas positivement, mais qui sont des peines consécutives à la privation de la grâce qui l’en préservait.

La déchéance considérée dans ses effets.

Dans

cette catastrophe, que reste-t-il à la nature humaine ? Tous les théologiens accordent qu’elle a gardé ses biens purement naturels, c’est-à-dire ses principes constitutifs et les propriétés qui en découlent : la lumière naturelle de l’intelligence pour discerner le bien du mal, et l’inclination naturelle de la volonté au bien conforme à la raison, bien que, par le poids même de la raison, cette inclination se porte souvent vers les biens sensibles.

Mais, ultérieurement, la question se pose de savoir si ces forces naturelles sont moindres dans l’état de nature déchue qu’elles eussent é’é dans l’état de nature pure ; ou, en d’autres t cimes, si le péché originel, qui a diminué en nous l’inclination a la vertu en tant qu’elle provenait, dans l’état primitif, de la justice originelle, a aussi diminué l’inclination qui résulte de la nature pure.

Sur cette question les théologiens sont divisés. On peut ramener à trois les opinions qui ont. été émises.

Une première opinion affirme que les forces naturelles ont été diminuées intrinsèquement par l’introduction d’une inclination contraire, d’une qualité morbide, dont l’âme serait affectée. Sur les nuances de cette opinion et ses partisans, voir Gonet, Clijpeus, tract. De homine, disp. IV, a. 3, S 1. Mais une telle affirmation est tout à fait gratuite. En effet, l’inclination contraire dont il s’agit, de quelque nom qu’on

la décore, serait quelque chose de surajouté, et le péché originel ne consiste que dans la privation de la justice. De plus, ce péché est un péché de nature, tandis que l’inclination en question, comme d’ailleurs les puissances mêmes de l’âme, appartiendrait bien plus à la personne qu’à la nature spécifique. Aussi cette opinion, soutenue surtout par quelques anciens théologiens, Gabriel, Richard de Saint-Victor, Occam, Sylvius, etc., est-elle généralement abandonnée de nos jours.

D’après une deuxième opinion, dans l’état de nature déchue, les forces naturelles de l’homme ne sont atteintes ou diminuées ni intrinsèquement ni extrinsèquement. Dans les deux états, nature pure et nature déchue, les forces sont identiques, et identique l’inclination au mal et la difficulté d’accomplir le bien. Par conséquent, dans cette opinion, les blessures qui sont la suite du péché originel, ne diminuent pas notre inclination naturelle à la vertu ; elles sont seulement la privation du don gratuit de la justice originelle qui, en élevant l’homme à la vie surnaturelle, constituait sa nature dans un état d’intégrité et de perfection. Il s’ensuit que l’homme, dans l’état de déchéance, n’est pas moins apte à faire le bien qu’il ne l’eût été dans l’état de nature pure où Dieu aurait pu le créer : et que, si l’on exclut la souillure du péché originel, et la relation de la nature déchue à une justice perdue, la nature pure aurait été affectée par le même désordre que la nature déchue. Tout ce qui peut découler des principes essentiels de la nature, écrit le P. Kors, op. cit., p. 162, qui adopte cette opinion, doit se trouver encore dans la nature déchue à moins d’un obstacle survenu du dehors ; on ne peut assigner d’autre raison par quoi la nature déchue diffère de la nature pure. Or, le péché héréditaire ne consistant que dans le désordre habituel provenant de la privation de la justice originelle, on ne peut conclure à l’existence d’aucun obstacle dans la nature, en vertu duquel cette nature serait mutilée rians ses perfections naturelles. Le désordre habituel dans la nature déchue n’a d’autre cause que la seule privation de la justice originelle. Mais la perte d’un don surajouté laisse la nature elle-même intacte : elle ne cause rien de positif qui puisse être un obstacle aux perfections naturelles. Si donc il existe un désordre dans la nature déchue, il doit avoir sa raison d’être dans la nature même, et, par conséquent, être pareillement attribuable à la nature pure. »

Cette opinion est celle de Scot, de Soto, et de nombreux théologiens de la Compagnie de Jésus, Valentia, Bellarmin, Suarez, Mazella, Pesch, etc.

Au contraire, la plupart des thomistes pensent, et c’est la troisième opinion, que l’homme, dans l’état de déchéance non réparée, a moins de force pour faire le bien moral naturel qu’il n’en aurait eu dans l’état de nature pure : non que ses forces naturelles eussent été amoindries intrinsèquement. quoad entitalem, mais extrinsèquement, c’est-à-dire par suite d’empêchements à leur exercice qui n’eussent pas existé dans l’état de nature pure. Par là même, les forces naturelles de l’homme sont moins aptes au bien de la vertu, même de l’ordre naturel, et, en ce sens, elles peuvent être dites moindres qu’elles n’eussent été dans l’état de pure nature.

Cette opinion est exposée par Pilluart, De gràtia, riiss. II, a. 3, et par les Salmanliccnscs. De peceatis. in I* m -ll*>, q. i.xxxv, a. 3, et De gratin, disp. IL dub. iii, n. 102, 116, 135 ; dub. viii, n. 287, qui citent parmi ses tenants, les thomistes Capréolus, Sylvestre rie Ferrare, Conrad Kollin, Alvarez, Jean de Saint Thomas, auxquels il faut ajouter Lemos, Contenson. Gouriin, et beaucoup d’autres : récemment, les