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NEWMAN (JOHN-HENRY), LA GRAMMAIRE DE L’ASSENTIMENT


des mots : « dangereux aujourd’hui » dans un passage d’un sermon prêché en 1832 sur La religion d’aujourd’hui (Paroch. and plain serm., t. î) : Dans les âges farouches et barbares, le stratagème de Satan était de faire oublier a l’homme que « Dieu est amour » et d’établir une religion qui fût simplement crainte. De nos jours, il offre, et les hommes « sont tout disposés à embrasser, la religion plaisante, consolante, naturelle à une époque cultivée. On appuie beaucoup sur les « œuvres de Dieu » sur la théologie naturelle, et l’on pense que toute la religion y est contenue ; et pourtant, en vérité, il ne peut pas y avoir de plus grande erreur que de supposer que ces œuvres sont en elles-mêmes quelque chose de religieux, au vrai sens du mot. La religion est relative à nous, c’est un système de commandements et de promesses de Dieu vis-ùvis de nous. Que nous importent après tout le soleil, la lune ou les étoiles ? Que nous importent les lois de l’univers ? Comment nous enseigneraient-elles notre devoir ? Comment parleraient-elles au pécheur ?… Il ne peut y avoir de plus dangereux stratagème de Satan que celui qui consiste à nous extérioriser, à nous faire oublier nos cœurs, qui nous parlent d’un Dieu de justice et de sainteté, pour fixer exclusivement notre attention sur le Dieu qui a créé les cieux, qui est notre Dieu, sans doute, mais non Dieu en tant qu’il se manifeste à nous pécheurs, mais en tant qu’il apparaît à ses anges et se manifeste à ses élus. » Les livres de Théologie naturelle auxquels pense ici Newman ont bien vieilli depuis que le darwinisme a fait son apparition, et pour bien des raisons ; la moindre ne fut pas le contraste entre l’optimisme de leur conception de la nature et celle que proposait la « lutte pour l’existence ». Mais, en leur temps, ils ont vraiment agi dans le sens que décrit Newman, en voilant les réalités de la religion.

La religion naturelle doit se présenter tout d’abord comme une religion de crainte, car nous désobéissons à notre conscience plus souvent que nous ne lui obéissons. Le témoignage de la conscience, accablée du poids de ses fautes, est confirmé par ce que nous voyons autour de nous ; car le spectacle de l’humaine défaillance et de l’humaine misère que présente le monde proclame que « nos péchés ont mis une séparation entre nous et notre Dieu. » In. ux, 2. (Il est à peine besoin de rappeler ici le fameux passage de l’Apologie, que l’on ne saurait plus oublier quand on l’a lu.) Cela est vrai dans presque toutes les religions du monde, car « partout où une religion a existé dans sa forme populaire, elle a invariablement présenté à l’extérieur son côté le plus sombre. Elle est fondée d’une manière ou de l’autre sur le sens du péché. » Gramm., p. 392. Il est bien vrai qu’il y a aussi des rayons de lumière qui atténuent cette tristesse, et spécialement « les bénédictions périodiques de la vie, la joie produite par les dons de la terre, les affections domestiques, les relations sociales qui, arrhes du bien futur, suffisent à toucher et à subjuguer même les plus coupables des hommes en leurs meilleurs moments, en leur rappelant qu’ils ne sont point absolument repoussés par Lui, par ce Dieu que néanmoins il ne leur est pas donné de connaître. » Gramm., p. 401 ; avec référence finale à Act., xiv, 16, 17. Il y a d’autres soulagements, et même de plus grands, telle la paix de la conscience, soit toujours conservée, soit retrouvée après avoir été perdue, mais ce ne sont que des soulagements, car la conscience est la grande maîtresse qui enseigne la religion naturelle, et dans la condition actuelle de l’humanité, n’ayant point à offrir de pardon assuré, c’est bien rarement qu’elle annonce la paix.

y) La religion naturelle préparation à la religion révélée. — « Appuyés sur ces autorités humaines et

divines, je n’ai pas de scrupule à commencer l’examen que je veux faire du christianisme, en déclarant que j’ai en vue ceux-là seulement qui y sont convenablement préparés, et par « préparés » j’entends ceux qui sont pénétrés des opinions et des sentiments religieux dont l’ensemble constitue, à mon avis, la religion naturelle. » Suit une énumération des opinions contraires, qui sont discutées avec une impartiale minutie, et pour conclure : « Si je dis ne pas vouloir discuter du christianisme avec des personnes qui partagent ces opinions, je le fais, non pour prétendre avoir le droit d’être impatient et tranchant avec n’importe qui, mais parce qu’il est souverainement absurde de prouver une seconde proposition à qui n’admet pas la première. » Gramm., p. 415 sq. On, a voulu voir dans ces simples mots le portrait d’un Newman égotiste et fidéiste, vivant dans sa tour d’ivoire, toutes fenêtres fermées, à l’abri des souilles du dehors, n’acceptant de relation qu’avec ceux qui acceptaient ses idées de prédilection, « ceux qui acceptent ma philosophie du Credo », lui a-t-on fait dire. — Mais à quoi bon discuter la ressemblance d’un portrait ? Chacun voit les choses si différemment du voisin. L’indignation que l’on a manifestée, avec des points d’exclamation, contre Newman refusant de discuter la religion révélée avec ceux qu’il n’a pu convaincre de la vérité de la religion naturelle « Que de gens éliminés sans discussion 1 Que d’assomptions exigées sans justification et par manière d’ultimatum I », cette indignation est au moins déconcertante. Sans discussion ? Vingt-quatre pages d’une argumentation serrée, dans le livre relativement court qu’est le Grammaire, sans compter bien des allusions à ce sujet dans les premiers chapitres, représentent, à coup sûr, une discussion et un sérieux essai de justification.

Revenons à la défense que fait Newman de sa méthode. Il commence par citer divers passages de l’Éthique à Nicomaque pour montrer « qu’une préparation spéciale de l’esprit est requise pour chaque compartiment séparé d’une enquête ou discussion (excepté, bien entendu, le cas d’une sc^nce abstraite). » Ce principe général est appliqué par beaucoup de textes scripturaires au cas particulier de la Religion révélée. La « préparation spéciale à celle-ci » c’est-à-dire les dispositions préliminaire à la foi (ou, comme disent les théologiens, les préambules à la foi), cette préparation n’est autre que l’acceptation des vérités de la religion naturelle. Ayant donc « déclaré qu’il n’a en vue que ceux dont les esprits sont convenablement préparés », ’Newman ne passe pas sans transition à son sujet. Il veut défendre son exclusivisme de toute apparence de hauteur, aussi donnet-il des exemples de ces opinions qui rendent sans espoir toute discussion sur les titres de la religion révélée, par exemple : « le mal moral et le mal physique ne sont que des imperfections de même nature » ; « la crainte de Dieu est indigne d’un homme, la douleur inspirée par le péché est quelque chose de servile et de bas » ; « si nous faisons notre devoir dans ce monde, nous avons pris nos assurances pour l’autre. > Newman connaissait son public, il savait qu’il n’était rien moins qu’irréligieux de manière avouée et cynique ; il savait aussi que les hommes sont souvent meilleurs que les principes qu’ils professent, et qu’ils désavoueraient en somme ces principes s’ils en voyaient réellement la portée. Et le voici qui, finalement, continue la discussion avec ceux dont il déclare ne pas vouloir s’occuper, car il leur demande de ne point le regarder comme trop impérieux ; il continue la discussion car, en décrivant « les divers sentiments intellectuels et moraux qui constituent la préparation formelle nécessaire, pour entrer dans ce