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NEWMAN f JOHN-HENRY), LA GRAMMAIRE DE L’ASSENTIMENT


Voici comment Newman introduit le sens de l’inférence : « Le jugement, en toutes les matières concrètes, est la faculté architectonique (constructive) ; et ce que l’on peut appeler le sens de l’infércnce, ou le jugement droit dans le raisonnement n’en est qu’une des manifestations. » Gramm., p. 312. Et, comme le raisonnement est l’usage correct des prémisses, et que les prémisses peuvent aussi s’appeler raisons ou preuves, nous ne changerons pas le sens de la définition précédente en la transposant ainsi : « Le sens de l’inférence est la faculté ou la capacité de porter un jugement sur des preuves. » — Porter un jugement sur des preuves, cela nous introduit dans un monde d’idées familières. C’est ce que fait un jury quand il rapporte un verdict d’innocence ou de culpabilité, ou encore, comme cela est permis en Ecosse, un verdict de « non prouvé ». Un médecin qui diagnostique une maladie prononce un jugement sur les symptômes qui sont ici les preuves. Si le lecteur veut substituer le mot de jugement à celui de « sens de l’inférence », il verra bien vite que ce dernier est pour lui une vieille connaissance.

Le sens de l’inférence est-il infaillible ? Cela vous a un air de question difficultueuse ! Notre jugement est-il infaillible ? Non, bien entendu ; l’expérience le montre. Mais de ce que mon jugement n’est pas infaillible, qu’il s’est trompé dans le passé, ne pourraije jamais donner à ses décisions un assentiment sans réserve ? Les protestants eurent l’habitude de taquiner les catholiques avec une question comme celle-ci : -< Comment pouvez-vous être infailliblement certains que l’Église est infaillible, si vous n’êtes pas infaillibles vous-mêmes ? » Question bien dangereuse pour eux-mêmes ; car elle atteint la racine même de leur propre certitude que la Bible est la parole de Dieu. Mais passons. Abusus non tollit usum ; le mauvais usage d’une faculté dans le passé est un avertissement d’en user avec plus de précaution à l’avenir, non de renoncer à s’en servir. Ma mémoire m’a joué parfois de vilains tours, mais je suis certain par exemple qu’il y a huit jours j’étais 3 tel endroit, je faisais telle chose. J’ai fait peut-être quelques méprises en critique littéraire. Est-ce une raison pour m’obliger à prêter l’oreille aux opinions extravagantes du P. Hardouin ? Mais cette question de l’infaillibilité du sens de l’inférence et des leçons qu’il peut donner, peut être abandonnée, en toute sécurité, à l’expérience du lecteur. Il n’estimera pas que des méprises occasionnelles puissent frapper de discrédit tous ses jugements, même les plus soigneusement établis, ou que l’absence d’un critérium infaillible de certitude, s’appliquant exactement à chacun des cas où nous sommes appelés à faire usage de notre sens de l’inférence, soit une raison pour prononcer l’exclusive contre une des principales facultés de l’esprit.

b. Application aux questions religieuses. — La seconde partie de la Grammaire se termine par un chapitre intitulé « Inférence et assentiment en matière de religion » et étudiant successivement la religion naturelle et la religion révélée. Ce chapitre contraste vivement avec les précédents ; on y sent vibrer la personnalité de l’auteur, qui auparavant avait été strictement scientifique en ses méthodes, se bornant à constater les faits dans l’obscure région où travaille d’ordinaire l’esprit humain. Le charme littéraire de ces chapitres fait un peu oublier qu’ils contiennent, pour citer un écrivain récent : « une analyse psychologique de la pensée humaine, qui reste l’une des plus aiguës et certainement la plus élégante qui, ait été jamais faite. » (Aldous Huxley, Proper studies, Londres, 1927, p. xix.) Le contenu du dernier chapitre ressort suffisamment des divers titres et sous-titres. Mais il faut attirer l’attention sur quelques passages qui d’une

part ont fait l’objet de diverses critiques, et d’autre part contiennent bien des caractéristiques de la pensée de Newman.

a) Caractère personnel de la démonstration newmanienne. — Au début du chapitre, Newman commence par exprimer une idée, qui lui est, dit-il, « habituelle ». c’est à savoir que, dans une enquête comme celle où il s’engage, « l’égotisme est la vraie modestie ». Peutêtre est-ce là un spécimen de cet « égoïsme » de Newman, dont on a beaucoup parlé ; pourtant, et tout compte fait, ne semble-t-il pas plus modeste de dire : « il me paraît ; c’est mon opinion, » que de déclarer : « Il en est ainsi. » Et, pour être moins dictatoriales, ces manières de parler n’en sont-elles pas plus persuasives ? En tout cas, nous le verrons, l’égotisme a ses avantages ; il coupe court à diverses critiques.

[}) Les preuves de l’existence de Dieu. Prédominance des preuves morales. — « Par religion, dit Newman, j’entends la connaissance de Dieu, de sa volonté et de nos devoirs envers lui ; il y a trois voies principales fournies par la nature pour l’acquisition de cette connaissance : notre propre esprit, la voix de l’humanité et le cours des choses, celui de la nature humaine et des humaines affaires. » Cf. Apol., p. 241 sq. Comment Newman peut-il limiter ces « voies » à l’homme et ignorer la création extérieure ? Cette question a été posée non sans quelque véhémence, et comme le questionneur ne trouvait pas de réponse satisfaisante, il a tiré des conclusions peu favorables à la doctrine de Newman. Peut-être « l’égotisme » nous rendra-t-il ici quelques services.

Ayant clairement avoué qu’il ne parle que de lui-même, un homme a le droit de se tenir à ce point de vue et, dans le cas particulier, de parler des appels qui, pour lui, ont été le plus contraignants, de glisser sur ce qui lui a fait une moindre impression, sans vouloir d’ailleurs ériger son cas en une loi pour les autres esprits. Et puis les mots : « voies principales » (main channels) impliquent qu’il y a aussi d’autres voies : « Comme une cause implique une volonté, écrit Newman, un ordre implique un but. L’agent donc qui a maintenu et maintient les lois générales de la nature, qui est à l’œuvre à la fois dans Sirius et sur la terre, sur la terre dès l’ère primaire aussi bien qu’au xixe siècle, doit être une Intelligence pure, une Intelligence pour le moins aussi vaste et aussi durable dans sa vivante action que les incommensurables périodes et les espaces sans limite de l’univers, où cet agent a laissé ses traces. » Gramm., p. 72. Voilà bien la profession d’une connaissance ; mais cette connaissance n’est point si directement religieuse, qu’elle puisse être considérée comme une de ces voies principales. Il y a eu des philosophies qui étaient monothéistes sans être religieuses, ou qui ne l’étaient qu’en puissance, et c’est peut-être la raison pour laquelle Newman traite cet argument par prétention quand il se limite aux « voies principales ».

Mais on peut aller un peu plus loin ; et il vaut la peine d’y insister, car cela est d’importance pour la pensée de Newman. Dans les Notes de sermons (p. 289 sq.), il y a une série de canevas d’instructions sur le Credo. La seconde commence ainsi : « 1. Récapitulation. — Notre conscience et notre histoire personnelle nous donnent toutes les doctrines capitales sur Dieu, en tant qu’elles nous concernent. Elles suffisent à assurer notre foi en lui quand bien même il n’y aurait pas de monde extérieur… 2. Pour ce qui est de l’argument tiré du monde extérieur, en quoi est-il dangereux aujourd’hui ? — Parce qu’il ne nous dit rien du péché. Le monde a été fait avant le péché. (Néanmoins la preuve par le monde extérieur semble bien avoir été développée ici.) Les éditeurs des Sermon notes furent en mesure de fournir un commentaire