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NEWMAN (JOHN-HENRY), DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE


sut être à la hauteur des circonstances. Le numéro de janvier 1864 du Mucmillan’s magazine contenait un compte rendu de Vllistoire d’Angleterre de Fronde, qui était en cours de publication. L’auteur du compte rendu était Charles Kingsley, un clergyman anglican du parti liroad Church, professeur d’histoire moderne à Cambridge, poète et romancier en renom. Il jetait en passant cette stupéfiante affirmation que « 1’amour de la vérité cultivée pour elle-même n’avait jamais été considérée comme une vertu par le clergé catholique ; » prétendant citer Newman, il lui faisait soutenir « qu’une telle vertu n’était ni utile ni même, au total, souhaitable ; que la ruse était l’arme que le ciel a donnée aux saints, pour leur permettre de résister à la force brutale et mâle de ce monde maudit où l’on prend mari et femme. » En réponse à une question, Kingsley donna sa référence, dans les Sermons on subjects of llie day, n° 20, Wisdom and innocence (Sagesse et innocence), et publia dans le Macmillan’s magazine de février 1864 d’insuffisantes excuses. Newman publia aussitôt en brochure la correspondance échangée (12 février), avec quelques pages de réflexions qui réduisaient à néant les raisonnements du pauvre Kingsley. Si celui-ci avait su le comprendre, les choses en seraient restées là, mais il se figura tout le contraire et, sûr de vaincre, publia une volumineuse brochure portant le titre de Whal, then, does D’Newman mean ? (Que veut donc dire le D r Newman ?) dans laquelle il répétait et amplifiait ses accusations (20 mars). C’était là précisément ce que voulait Newman. Sans tarder, il releva le défi, et riposta d’abord le 21 avril par une brochure intitulée : Mr Kingsley’s mode of disputalion (les procédés de discussion de M. Kinsgley), suivie huit jours après, d’une autre intitulée : The true mode of meeting Mr. Kinsgley (la vraie riposte à l’attaque de M. Kingsley). Cette « vraie riposte » consistait pour Newman à « dérouler pour le lecteur, autant que possible, l’histoire de son esprit », à mettre le monde entier dans sa confidence, à faire un récit simple et sans ornement de son évolution religieuse, et à s’assurer ainsi un verdict favorable à la barre de l’opinion publique. Ce récit parut par fractions hebdomadaires du 6 mai au 2 juin ; puis après un intervalle de quinze jours, vint l’appendice avec ses fameuses « Trente-neuf taches », qui menait l’ouvrage à une conclusion triomphale. La tension subie par Newman au cours de ces deux mois se mesure à cette citation de son journal : « Au travail vingt-deux heures de suite à mon Apologia. » Newman ne prouva jamais son génie d’une façon plus éclatante que par la manière dont il s’empara de l’attention du pays, puis, au lieu d’extorquer à des juges, convaincus contre leur volonté, un verdict rendu de mauvaise grâce, réussit à conquérir leur enthousiaste sympathie en leur révélant toute sa vie et en mettant son. cœur à nu. « Un tel « égotisme » est peut-être répugnant », écrivit Herbert Vaughan (plus tard cardinal ). Mais cet « égotisme » étalé dans l’Apologie, c’était — ne pouvait-il donc le comprendre ? — une manifestation du génie ; et lorsqu’on cherche la vérité dans l’ordre religieux, « l’égotisme est la vraie modestie » G. A., p. 384. Jusqu’à quel point le sentiment public se trouva retourné, c’est ce que prouve l’attitude du Times. Depuis des années il avait, à peu de chose près, voulu ignorer les œuvres de Newman ; mais, lorsqu’après l’Apologia, parut un ouvrage consacré à l’Eirenicon de Pusey, il en publia un compte rendu moitié aussi long ou presque, que le livre lui-même (Church occasional papers, t.n, p. 398440). Newman avait, en un instant, conquis le cœur du pays, qu’il ne devait plus jamais perdre, et s’était assuré un accueil enthousiaste pour tout ce qu’il écrirait encore. Dans l’atmosphère échauffé des contro verses ecclésiastiques de ces jours orageux, ceux qu L voulaient plaisanter posaient à chacun la question suivant : « Comment faut-il vous appeler, M ou N ? ». (Êtes-vous pour Manning ou pour Newman ?) « N », répondait sans hésitation l’Angleterre protestante. Parmi les catholiques quclques : uns trouvèrent à redire. Mais celui qu’ils traitaient en suspect — et la situation ne manquait pas d’ironie — était considéré par tout ce qui parlait anglais comme la figure la plus illustre du catholicisme.

Et pourtant le catholicisme anglais faisait entendre, en apparence du moins, deux voix discordantes : celle de Newman s’opposait à celle de Faber (mort en 1863), de W. G. Ward, rédacteur en chef de la Dublin review, et de Manning, maintenant archevêque de Westminster ; or ces hommes prétendaient, ou du, moins donnaient à entendre, qu’ils représentaient la manière de voir du Saint-Siège. Lorsque Pusey écrivit son Eirenicon, peu lui importait que Newman fût, , ou non, d’accord avec la théologie traditionnelle del’Église ; il tenait pour assuré que les paroles de Ward et de Manning répondaient aux opinions qui dominaient à Rome. Afin d’empêcher que cette idée fausse ne fût partout admise sans conteste, Newman. jugea nécessaire, après le succès de son Apologia, . d’entrer de nouveau en lice. En conséquence, entre le 18 novembre et le 7 décembre 1865, il écrivit sa< Letler to D r Pusey on his Eirenicon (Lettre au D’Pusey sur son Eirenicon). DifJ., t. ii, p. 1-170. Si l’on veut saisir pleinement la portée de cette brochure, il’! faut d’abord savoir dans quelles circonstances elle fut composée. En 1860, avait paru un ouvrage d’unefâcheuse célébrité, Essays and reviews, dû à un ; groupe de collaborateurs. L’un d’eux y avait écrit un article sur The national Church (l’Église nationale) : c’était le Rev. H. B. Wilson, l’un des quatre « tutors » qui avaient voulu faire condamner le tract 90 (Letters and correspondence, t. ii, p. 330). Certains passages de l’article furent considérés comme inacceptables. Un procès fut intenté contre l’auteur par le Rev. James Fendall ; au bout d’un certain temps, il fut fait appel-, devant le Privy Council, qui décida que la plainte n’était pas justifiée. A la suite de ce jugement, Pusey publia une brochure en 1864 ; dans la préface, il ; faisait allusion à l’attitude des catholiques envers l’Église d’Angleterre, et à leurs propres divisions. Manning ayant répondu sur le ton de la polémique dans The workings of the Holy Spirit in the Church, of England (L’action du Saint-Esprit dans l’Église d’Angleterre), 1864, Pusey se décida à regret à lui. répondre. Cette réponse adressée à Keble, visait en. réalité Manning ; elle avait pour titre An Eirenicon. (1865). Pusey commençait par défendre l’Église d’Angleterre contre l’attaque de Manning ; mais, changeant d’idée à moitié chemin, il finissait par un plaidoyer en faveur de la réunion de l’anglicanisme et du catholicisme. Une mise au point réciproque était à ses yeux possible, en partant du principe suivant : le concile de Trente avait « délimité le minimum que l’on devait croire », tandis que les trente-neuf articles avaient eu pour objet de « condamner : un maximum, que l’on ne devait pas croire » ; Pusey insistait pour qu’un concile général déterminât ce. qui n’était pas de fide. Tout en discutant la question, il., tirait grand parti du nom de Newman, et celui-ci. sentit « qu’il avait presque à relever le gant ». Si nous en jugeons d’après l’Eirenicon, Pusey craignait de voir Rome et l’Angleterre se séparer de manière croissante, principalement sur deux points : l’infaillibilité du pape, et « tout ce vaste système religieux qui a pour centre la sainte Vierge. » Newman avait pour intention de répondre au défi de Pusey en traitant les deux questions ; mais en fait, il borna,