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NESTORIENNE (L'ÉGLISE) EN ASIE CENTRALE


d’Aksou, vassal d’un prince chrétien de Kliotan, Noudoum khan. E. Blochet, d’après le lezkéré de Mahmùd Karâm Kabîili, loc. cit., p. 25. Ces chrétientés du bassin du Tarim devaient sans doute leur origine à des missionnaires ayant suivi les marchands sur les deux routes, septentrionale et méridionale, des caravanes de la soie ; leur existence ne semble pas liée au progrès de l'évangélisation méthodique des Turcs, a laquelle s’appliquait le patriarche Timothée I er, probablement dans le Ferghana, peut-être déjà dans la Djoungarie, puisque, dès le premier quart du viiie siècle, il y avait un évoque à Samarkand, Ebedjesu… collectio canonum synodicorum, tr. VII, c. xv, dans A. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. x, Rome, 1838, p. 304, trad., p. 142. Timothée, dit Mari, éd. Gismondi, p. 73, trad., p. 64, avait réussi à convertir le khâqân des Turcs et plusieurs rois ; ce témoignage tardif pourrait être suspecté, mais Timothée lui-même affirme que, dans la deuxième année de son pontificat (782-3), le « roi des Turcs » se convertit au christianisme avec presque tout son peuple, et ajoute qu’il leur consacra un métropolitain. Lettre inédite aux Maronites, citée par J. Labourt, De Timotheo /…, p. 43, et A. Mingana, Early spread…, p. 306.

C’est à cette époque, ou à une date quelque peu postérieure, que M. Mingana, loc. cit., p. 349-351, voudrait rattacher un document nouveau, qu’il a édité comme faisant partie d’une lettre supposée de Philoxène de Mabboug (t après 522) au gouverneur de Hirâ pour le compte des princes lahmides, Abu 'Afr| ibid., p. 368-371, trad., p. 360-367 sq. Le texte est assez étrange pour que le P. Peeters ait pensé à y reconnaître une supercherie récente. Byzanlion, t. iv, 1927-1928, p. 569-574. Il était d’autant mieux fondé à émettre cette hypothèse que la copie utilisée par M. Mingana avait été prise, en 1909, sur un original conservé en Orient, M. Mingana ne dit pas où ; mais ce dernier vient d’annoncer qu’il a trouvé le même texte dans un manuscrit en sa possession (Mingana 71, fol. 40-47), dont les caractères paléographiques correspondraient à la première moitié du xviie siècle. Bulletin of the John Rylands library, t. xiv, 1930, p. 124.

Les chrétientés turques se développèrent : dès le milieu du viii c siècle des Ouigours chrétiens servaient comme mercenaires dans les armées chinoises. P. Y. Sæki, The neslorian monument in China, p. 231 sq. En 1007, les Kéraïtes, qui habitaient en Mongolie septentrionale, devinrent chrétiens en masse, dans des circonstances qui rappellent la conversion des Francs de Clovis, après la bataille de Tolbiac ; 'Abdiso', métropolitain de Merv, évaluait leur nombre à 200000. Barhébrseus, Chronicon ecclesiasiicum, t. iii, p. 279 sq. C’est peut-être à la même époque, au plus tard dans le cours du xiie siècle, que se convertirent les Ongùt, installés sur la grande boucle du fleuve Jaune, gardiens des passages de la Chine vers la Mongolie. Textes relatifs à ces tribus chrétiennes dans P. Pelliot, Chrétiens d’Asie centrale…, p. 627-633. Les chefs de ces groupements étaient chrétiens ; c’est l’un d’eux qui donna naissance à cette fameuse légende du prêtre Jean, qui est attestée pour la première fois en 1145 par Otto de Freising, rapportant une lettre de l'évêque de Gabala au pape Eugène, III. H. Cordier, Histoire de Chine…, t. ii, p. 372. La puissance des dynasties kéraïtes et ôngùt fut brisée par Gengiskhan, lorsqu’il constitua par force la confédération mongole, mais plusieurs Gengiskhanides épousèrent de leurs princesses et furent initiées par elles à la connaissance de la religion chrétienne.

Nous manquons à peu près complètement d’informations pour reconstituer l’histoire intérieure

de ces chrétientés. Pourtant la découverte en 1885 de deux cimetières, voisins de Pichpek et de Tokmak, sur le Tchou, ancienne capitale du royaume de Djoutchi, G. Devéria, Notes d'épigraphie mongole-chinoise dans Journal asiatique, sér. IX, t. viii, p. 428, n. 1, jette sur elle quelque lumière. D. Chwolson, Syrische Grabinschriflen aus Semirjetschie, dans Mémoires de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, sér. VIII, t. xxxiv, n. 4, 1886, et Syrisch-neslorianische Grabinschriften aus Semirjetschie, ibid., t. xxxvii, n. 8, 1890. Plus de 200 inscriptions ont été publiées dès 1890, et beaucoup d’autres ont été depuis lors éditées et traduites. Ces inscriptions, dont la plupart sont datées, généralement suivant l'ère des Séleucides et le cycle duodécimal turc, s'échelonnent entre 1249 et 1345. Elles sont en un syriaque assez souvent incorrect, mélangé de mots ou de courtes phrases turques ; elles appartiennent incontestablement à des chrétiens de race et langue turques ; la quantité assez considérable de noms chrétiens sous une forme syriaque ne peut donner le change, car les personnages qui les portent donnent aussi bien à leurs enfants des noms turcs, et il n’est pas rare de trouver des fidèles pourvus d’un double nom, syriaque et turc, comme on a vu des chrétiens de Si-ngan-fou joindre un prénom syriaque à un nom chinois. L’organisation ecclésiastique de ces communautés était très complète, les dignitaires sont nombreux : chorévêques, périodeutes, visiteurs, prêtres. Il y a des « chefs d'église », qui sont analogues aux starostes russes ou à nos marguilliers, des maîtres d'école, des exégètes et des scolastiques, qui appartiennent aussi au corps enseignant. Il y avait des monastères : l’exégète et prêcheur Sëlihâ s’y était acquis un grand renom de science. La qualité des défunts est souvents indiquée : enfants, jeunes filles, etc. Les hommes aiment à se qualifier de « croyants ». Les pierres portent toutes une croix gravée au milieu de l’inscription : ces nestoriens ne rougissaient pas de leur foi chrétienne.

Ces inscriptions funéraires ne sont pas toujours correctes ; le lapicide, médiocre artiste, était guidé par de médiocres clercs. Guillaume de Rubrouck (Rubruk ou de Rubruquis) avait noté que les prêtres nestoriens d’Asie centrale étaient embarrassés par la langue de leurs livres liturgiques : « …Ils disent leur olfice et ont des livres sacrés en syriaque, qu’ils ne comprennent pas ; ce qui fait qu’ils chantent comme, chez nous, les moines qui ne savent rien de la grammaire. » L. de Backer, Guillaume de Rubrouck, dans Bibliothèque orientale ekévirienne, Paris, 1877, p. 128 sq. Pourtant, la tradition liturgique était assez forte pour avoir fait préférer le syriaque au ouigour. C’est ainsi qu’on voit, en plein pays ouigour, un évangéliaire syriaque — encre d’or sur fond noir ! — copié en 1298 pour la reine Araou’oul, sœur du roi des Ongut (manuscrit vu par H. Pognon à l'évêché chaldéen de Diarbékir, Inscriptions sémitiques de la Syrie, de la Mésopotamie et de la région de Mossoul, Paris, 1907, p. 137 sq.).

Il n’est pas étonnant que le clergé nestorien se soit trouvé inférieur, surtout au point de vue moral, à l’idéal du zélé franciscain, qui avait quitté son pays pour porter aux Mongols la bonne nouvelle de l'Évangile, mais cela n’empêche pas qu’en face de leurs compatriotes païens ou bouddhistes les Mongols nestoriens ont été les représentants d’une civilisation, dont le caractère affiné transparaît, malgré leur brièveté, dans les formules de leuis inscriptions funéraires. Th. Nôldeke a reconnu le bien-fondé de cette observation de Chwolson, Zeitschrift der deutschen morgent andischen Gesellschafl, t. xliv, 1890, p. 522. Ainsi s’explique l’influence considérable que ces nestoriens acquirent à la cour des grands khans, et auprès des