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MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : ÉZÉCHIEL


tivement un seul cantique (Vulgate, ix), sont une glorification du juste gouvernement de Dieu qui punit les impies, protège les opprimés. Gunkel et Kittel y trouvent plusieurs versets eschatologiques. D’abord, ix, 8-9 : « Jahvé siège toujours, il a affermi son trône pour le jugement, il juge le monde avec justice, il gouverne les peuples avec droiture. » Il faut avoir la manie eschatologique pour penser, pendant la lecture de ces phrases, à l’intronisation de Jahvé à la fin des temps et au dernier jugement, pour en tirer avec Kittel la conclusion que probablement tout le psaume ix vise l’ère messianique, ou pour prendre avec Gunkel les ꝟ. 6-17 pour un hymne eschatologique.

Au psaume x, les mêmes auteurs prennent les ꝟ. 1618 pour eschatologiques : « Jahvé est roi à jamais ; les païens disparaissent de son pays. Tu entends les souhaits des humbles… pour faire droit à l’orphelin et à l’opprimé afin qu’un homme mortel ne les tyrannise plus ». Pérennès s’associe à eux et y trouve également la perspective messianique. Nous avouons que le sens messianique de ces trois versets est bien plus acceptable que pour ix, 8-9. Cependant ce n’est pas le sens obvie ; car le désir de voir disparaître les païens de la Palestine était regardé comme réalisable avant l’ère messianique, et de tout temps on attendait de Jahvé qu’il exaucerait la prière des pauvres pour les protéger.

Le psaume x est une touchante expression de la confiance en Jahvé. Il se termine par l’idée que, tandis que les méchants seront terriblement punis par Dieu, « le juste verra sa face », 7 b. Le sens de l’expression : « voir la face de Jahvé », qui se rencontre aussi ps. xvii, 15, ps. xli, 3, est très discuté. Voir Nôtscher, Das Angesicht Godes schauen, 1924. D’après Gunkel, Duhm, Bætghen, elle signifie simplement : apparaître au temple, ce qui est le cas ps. xli, 3, ou jouir d’une façon sensible de la faveur divine. D’autres, par exemple Lagrange, Pérennès, Kittel, Bertholet, la prennent pour une locution eschatologique. Les deux premiers y voient une allusion à la vie après la mort, les deux autres à l’état heureux des justes qui, à la fin des temps, posséderont Jahvé sur la terre. Seule cette dernière conception donnerait à la phrase « voir la face de Dieu » un sens messianique. Mais elle est dénuée de tout fondement.

Dans le psaume lvii, qui est une prière adressée à Dieu dans un grand péril, se trouve deux fois, f 6 et 12, comme refrain la demande : « Lève-toi, ô Dieu, au-dessus des cieux, que ta gloire (brille) sur toute la terre. » Kittel prétend que par ce refrain le psalmiste envisage son salut à la lumière eschatologique. Il désirerait l’arrivée du grand jugement universel, parce que seule la manifestation de Jahvé le délivrera. La Bible du Centenaire indique la même conception, à la différence que le sujet du psaume est supposé être la communauté d’Israël. Gunkel dit avec raison qu’il ne peut pas être question d’eschatologie dans ce psaume. Le sujet est, en effet, un individu et il est inconcevable qu’un individu exige qu’à cause de lui le jour de Jahvé arrive. Le refrain n’est qu’une forme solennelle et ample de la prière simple : aide-moi. On en dira autant de ps. lxxxi, 8 ; xc, 16.

Somme toute il ne reste que six psaumes à contenu messianique parmi les dix-neuf étudiés dans ce chapitre, pour lesquels des exégètes avaient supposé un sens eschatologique.


V. Les idées messianiques des temps exiliens et postexiliens. —

I. Êzêchif.l. —

Jahvé n’abandonna pas son peuple non plus durant l’exil. Parmi les déportés de l’année 597 se trouvait déjà celui qui devait être auprès d’eux son porte-parole, Ézéchiel. En 593, il l’établit comme « sentinelle de son peuple »,

m, 17, et lui donna l’ordre de s’adresser à ses frères en exhortant chacun individuellement. Par cette activité Ézéchiel avait à maintenir la foi parmi les captifs de Babylone, à les rendre dignes du pardon divin et du retour en Chanaan. Cette mission devait amener Ézéchiel à entretenir dans une large mesure les espérances messianiques. Il ne le fit pourtant d’une façon systématique que ^durant la seconde période de son ministère, c’est-à-dire après 586.

Le recueil des prophéties d’Ézéchiel ne soulève pas les graves problèmes de haute critique qui se rencontrent pour les livres d’Isaïe et de Jérémie. Jusqu’en ces derniers temps il a été regardé par à peu près tous les exégètes non seulement comme entièrement dû à la plume d’Ézéchiel, mais aussi comme une œuvre d’un seul jet.

Il est vrai que le travail de critique littéraire accompli par les récents commentateurs, Krætzschmar (1900), Toy (1904), Rothstein (1922) Heinisch (1923), Hermann (1924) a démontré que le livre d’Ézéchiel est lui aussi d’origine plus compliquée qu’on ne le croyait jusqu’ici : le prophète a refait et remanié son ouvrage et, à côté des fautes de copiste, le texte actuel contient des changements et de courtes additions provenant d’autres rédacteurs. Mais tous ces interprètes sont unanimes à reconnaître qu’à peu près tous les passages importants furent écrits par Ézéchiel lui-même. « Somme toute, il faut dire que dans une large mesure, le livre doit être pris pour la collection de ce qu’Ézéchiel a fixé par écrit, et qu’Ézéchiel a personnellement fait cette collection. » Hermann, p. xxxiv.

Cependant quelques mois après que Hermann écrivait cette rassurante conclusion, G. Hôlscher, Hezekiel, der Dichter und das Buch, 1924, a cru pouvoir affirmer qu’il faudrait tenir comme tout à fait insuffisante la critique faite jusqu’ici. A l’entendre, le livre qui porte le nom d’Ézéchiel serait un des moins authentiques de la littérature prophétique. La majeure partie des discours, en particulier tout ce qui se rapporte à la restauration et au temps messianique, aurait été ajoutée après coup. Quelques rares poésies devraient être attribuées à Ézéchiel. Tout le reste serait écrit en prose et dû à différents auteurs du v 8 siècle. Dans sa forme actuelle le livre d’Ézéchiel serait un écrit polémique lancé sous le nom du prophète par le sacerdoce sadokite.

G. Hôlscher n’aurait pas eu besoin de relever dans son introduction que l’analyse qu’il entreprend, en vue de séparer dans les parties authentiques des morceaux secondaires, n’est pas toujours juste. Sa critique est tellement subjective et radicale qu’on peut prouver par elle tout ce qu’on veut. Il n’est donc pas nécessaire d’en tenir compte. Au nom d’une critique non moins hardie, Mowinckel, Ezra den Shriftlærde, 1916, avait déjà rejeté Ez., xl-xlviii. Voir la réfutation faite par Werner Kessler, Die innere Einheitlichkeit des Bûches Ezéchiel, 1926, Berichte des theologischen Seminars der Brùdergemeinde in Herrnhut, xi. 1° Prophéties d’Ézéchiel avant la chute de Jérusalem (586). — Avant la chute de la ville sainte, les promesses sont très rares chez Ézéchiel. Il est vrai que, dans le texte actuel des oracles de ce temps, on trouve dispersées de nombreuses prédictions messianiques ; mais, en les comparant au contexte, on s’aperçoit que beaucoup d’entre elles ont été ajoutées après coup ; car au point de vue psychologique, pédagogique et parfois même logique, il paraît invraisemblable que le prophète ait fait au même moment des affirmations aussi contradictoires que celles qui se trouvent parfois juxtaposées dans son livre. On n’en conclura pas à l’inauthenticité de ces prophéties, mais seulement à leur origine postérieure.