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MESSIANISME, LES PSAUMES PRÉEXILIENS


mière fois dans 3 b, la seconde fois précisément dans 8 a, phrase parallèle à 9 a, de sorte que le psalmiste veut exprimer non pas le fait nouveau de l’avènement de Jahvé qui arrivera à la fin des temps, mais le fait ancien et présent que Jahvé est, depuis la création, le maître absolu du monde. Il faut donc traduire 9 a par : « Jahvé règne » et la suite 9 b par : « il est assis sur son trône saint », et non par « il s’assied sur son trône saint ». Il s’ensuit également que le verset 6 : « Dieu monte au milieu des acclamations, Jahvé (monte) au son de la corne » ne signifie pas que Dieu remonte, au ciel après avoir vaincu ses ennemis sur terre, mais qu’il remonte à Sion avec l’arche. Les prophètes qui décrivent la venue de Jahvé pour juger le monde et pour prendre pleinement possession de son empire, prédisent presque toujours sa descente sur terre, rarement son retour au ciel.

Encore moins fondée que cette traduction de 9 a, avec les conclusions que quelques exégètes en ont tirées pour le sens de 9 b et de 6, est l’explication donnée par les mêmes auteurs des ꝟ. 4-5. Ils prétendent qu’il s’agit là du grand coup définitif par lequel Jahvé renversera tous les païens et soumettra à son sceptre tous les peuples. Mais, dans le ꝟ. 4, il n’est aucunement question de la défaite de toutes les nations et, dans le ꝟ. 5, se trouve la formule si connue par laquelle est décrite la conquête de Canaan. Aussi la Bible du Centenaire, tout en préférant l’interprétation eschatologique du psaume, avoue-t-elle que le sens des ꝟ. 4-5 cadre mal avec celle-ci et Gunkel se voit obligé de modifier le texte. A la place de : « il a choisi notre héritage », il lit : « il a élargi notre héritage », pour pouvoir donner à héritage le sens de royaume messianique.

L’unique conception messianique exprimée dans le psaume xlvi, et qui a été de tout temps reconnue comme telle, est donc celle de la conversion des païens. L’enthousiasme avec lequel cette perspective est célébrée rapproche ce psaume des psaumes xcivxcvii, dont la date la plus probable est celle du retour de l’exil. Cependant le ꝟ. 6 : « Jahvé monte au milieu des acclamations » s’explique seulement, quand on pense à l’arche d’alliance avec laquelle le Très-Haut remonte à Sion. Cette allusion fait penser à une origine préexilienne du psaume.

Le psaume suivant, xlvii, ressemble beaucoup au précédent. C’est un hymne de procession : les pèlerins admirent la ville sainte, sa gloire, sa force et la protection que lui accorde Jahvé. Depuis Théodore de Mopsueste, on suppose que ce poème fut occasionnée par la destruction de l’armée de Sennachérib. Il y a, en effet, plusieurs traits de ressemblance entre ce chant et le chapitre xxxiii d’Isaïe. Aussi n’y a-t-il qu’un seul exégète moderne, Gunkel, qui ait abandonné cette explication. Il avoue qu’il s’agit d’un événement déterminé ; seulement celui-ci n’appartiendrait pas à l’histoire, mais à l’avenir, savoir la dernière attaque des peuples païens contre Jérusalem. Les arguments qu’il allègue contre l’interprétation traditionnelle et à l’appui de la sienne sont faibles.

Le psaume lxxiv est une méditation sur le jugement de Dieu. Le psalmiste expose la manière dont Dieu exerce son activité comme juge des hommes. Il n’intervient pas toujours tout de suite, il juge à l’heure qu’il a fixée : « Quoique je prenne un délai - — c’est Jahvé qui parle — je juge quand même avec justice », 3. Même si parfois le monde semble vouloir se disloquer à cause du désordre qui y règne, Dieu n’en reste pas moins le maître, il en a affermi les colonnes, 4. Au temps voulu « il exerce le jugement en abaissant l’un et humiliant l’autre », 8. Il punit en particulier tous les malfaiteurs en leur donnant à boire la coupe de sa colère qu’ils absorberont jusqu’à la lie, 9. Oui, il

brisera toutes les cornes des méchants et exaltera celles des justes, 11.

Stade, Gunkel, Stærk, Kittel interprètent de nouveau toutes les expressions saillantes de ce poème, surtout le délai pris par Jahvé et la coupe de la colère divine, dans un sens uniquement eschatologique. Duhm lui aussi suppose que le délai serait celui qui précède le dernier jugement. Mais, si le psalmiste avait, en effet, pensé au grand jugement qui inaugurera le temps messianique, il l’aurait plus clairement indiqué. Comme les ternies employés se rapportent en premier lieu au gouvernement ordinaire que Dieu exerce à travers l’histoire, le poète a surtout en vue celui-ci et tout au plus et en second lieu le jugement qui clôturera les temps actuels.

Beaucoup d’exégètes modernes, par exemple Reuss, Bæthgen, Bertholet, Duhm, placent ce psaume à l’époque des Machabées, tandis qu’autrefois on pensait souvent à la défaite de Sennachérib. Mais d’Eyragues dit avec raison qu’il est impossible de fixer l’époque. Aussi Kittel et Gunkel s’abstiennent-ils de toute détermination. En pareil cas nous présumons toujours le temps préexilien.

Le psaume lxxv est un chant de triomphe, qui, conformément au titre des Septante : « contre l’Assyrien », est d’ordinaire interprété comme la célébration de la victoire remportée sur Sennachérib. Kittel lui-même avoue qu’il a trait à cet événement historique. D’autre part, il croit que le poète a, comme Isaïe, pris la défaite du roi assyrien pour « une image du jugement final » et qu’il a voulu surtout composer un cantique eschatologique sur l’époque du salut messianique. Dès les premiers ꝟ. 2-4, il décrirait, comme dans ps. xlv, 9 sq., le combat final, dans 5-7 la bataille décisive contre toutes les puissances hostiles à Jahvé, dans 8-Il le jugement du monde par lequel les justes obtiendront enfin leur récompense. Le point culminant serait atteint dans les deux derniers f., 12-13, qui glorifient la fin du despotisme et le règne définitif de paix.

Cette manière de voir est partagée par Pérennès qui caractérise ainsi notre psaume : « A l’occasion de la défaite de l’armée assyrienne, 2-7, le psalmiste annonce le grand jugement messianique qui aboutit à la royauté œcuménique de Jahvé, 8-13. » Bertholet est incliné à admettre quelques traits eschatologiques, de même Calés, Recherches de science religieuse, 1926, p. 39. Duhm n’en trouve un qu’au ꝟ. 11.

Pour Stade, Stærk, Gunkel, Lagrange, le psaume est même exclusivement eschatologique, sans allusion à un fait historique quelconque. Hitzig, Olshausen, Ewald, Grætz, Knabenbauer, Bæthgen, d’Eyragues, Zenner sont restés fidèles à l’explication entièrement historique du psaume.

Seule l’exégèse de ces derniers est justifiée. Dans les ꝟ. 2-7, il n’y a aucune expression qui ne cadre avec la description d’une bataille et d’une défaite ordinaires. Les ꝟ. 8-13 présentent un peu plus d’ampleur, surtout en 9 b et 1 : « la terre se tait d’épouvante, quand Dieu se lève pour juger, pour sauver tous les humbles de la terre. » Mais où est la teinte eschatologique ? Que de fois, par exemple xxxiv, 2 ; xliii, 27 ; Lxxiii, 22 ; xciii, 2, les psalmistes invitent le Seigneur à se lever et à venir en aide aux justes.

Quand on lit les traductions de ce psaume, on pourrait parfois croire que le verset Il a un contenu messianique. Pérennès par exemple l’a ainsi rendu : Oui parmi les hommes « les peuples » te loueront, le reste « des peuples te fêtera ». Mais en hébreu on lit mot à mot : « la fureur de l’homme te louera et du reste de la fureur tu te ceindras », phrase qui est sans doute corrompue et dont personne ne peut reconstruire avec certitude la forme primitive.