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MESSIANISME, LES PSAUMES PRÉEXILIENS


nue la source de l’eschatologie des Israélites : les idées des psaumes, après avoir été de simples idées cultuelles, se seraient transformées en conceptions eschatologiques. Ainsi l’eschatologie d’abord chassée par Mowinckel du psautier y est finalement réintroduite par lui-même.

Quand il sera question de l’origine du messianisme, nous verrons combien précaires sont les bases sur lesquelles repose la théorie de Mowinckel. Ici il est nécessaire de voir au juste ce qu’il faut penser de celle de Gunkel, de Kittel et de Stærk ; car ils ont déjà gagné des adhésions partielles au sujet de tel ou tel psaume. Or, bien qu’il y ait lieu de se réjouir de voir croître le nombre des données messianiques dans le psautier, nous croyons que la manière dont ces exégètes, et à leur suite quelques autres, présentent certains psaumes comme se rapportant d’un bout à l’autre à la fin des temps n’est aucunement justifiée. C’est avec beaucoup de raison, comme nous l’avons constaté après coup, que Kônig, Die Hauptschwachen der mode r ne n Psalmenauslegung, dans Théologie und Glaube, 1926, p. 635 sq., proteste à son tour contre elle et la signale comme un des côtés faibles de l’exégèse moderne des Psaumes.

Le premier « psaume d’intronisation » serait le psaume xlv. Dans les trois strophes de ce cantique puissant, le poète célèbre Sion comme inébranlable parce qu’elle est la demeure de Jahvé : même si la nature entière était bouleversée, les habitants de Jérusalem ne craindraient rien, i rc strophe. Des peuples et des royaumes s’étaient réunis pour attaquer la ville sainte ; mais Jahvé a fait retentir sa voix et tout de suite ils ont tremblé et se sont affaissés, iie strophe. Qu’on vienne et qu’on regarde les œuvres de Jahvé, ses ravages dans le pays ; il a banni la guerre jusqu’aux frontières du pays, il a brisé et brûlé toutes les armes et domine ainsi sur les nations, ni" strophe.

D’après l’explication commune, ce psaume se rapporte à une victoire récemment remportée sur des ennemis qui menaçaient Jérusalem, très probablement à la défaite de l’armée de Sennachérib en 701.

Pour Stade, Gunkel, Stærk, Kittel, Cheyne, il est une description de la délivrance que Jahvé accordera aux siens dans les derniers jours : il les fera échapper aux bouleversements cosmiques qui auront lieu à la fin du monde comme ils en avaient marqué le commencement, str. i ; il abattra les peuples païens qui, conformément aux prophéties d’Ézéchiel, xxxviiixxxix, entreprendront alors une attaque suprême, sir. ii, et il établira la paix universelle et éternelle sur la terre, str. ni.

Cette exégèse n’est qu’une série d’exagérations, pour employer un terme que Gunkel applique tant de fois à celles des explications messianiques qui ne lui conviennent pas. En effet il n’y a pas dans ce psaume la moindre allusion à la fin du monde. Déjà l’invitation à voir ce que Jahvé vient de faire, t.’.), montre que le poète pense à son temps. Dans la première strophe il est bien question de cataclysmes universels, mais comme de faits hypothétiques, non comme de faits réels qui arriveront un jour. Leur mention est tout à fait semblable à la célèbre phrase d’Horace : Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruimv. Les propositions décisives de la seconde strophe sont les deux suivantes : ꝟ. 5 a : « un lleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu » et t. 7 : l : « des nations mugissent, des royaumes s’ébranlent ». Quel mot dans la deuxième permet de penser à l’assaut général des peuples décrit par Ézéchiel ? Kl pourquoi la première, serait-elle une description du bonheur qui doit arriver à la fin des temps et cpii recevra sa réalisation, comme le prédiront Ézéchiel, /acharie, Joël, entre autres par un lleuve miraculeux qui jaillira à Jérusalem

et transformera la Palestine en paradis ? La phrase, il faut l’avouer, est abrupte et obscure. On voit d’ordinaire dans le fleuve une désignation symbolique de la grâce et de la protection divine. Pour pouvoir le prendre pour le fleuve eschatologique, il faudrait y être autorisé par le contexte : ce qui n’est pas plus le cas pour la troisième strophe que pour les deux premières. L’annonce que Dieu fera cesser la guerre jusqu’à la frontière du pays s’explique très bien après une victoire éclatante et représente le sens naturel du ꝟ. 10. S’il était sûr que le psaume a trait à l’événement de 701, on pourrait traduire : « Jahvé fera cesser la guerre jusqu’au bout de la terre » ; car Isaïe a également pris la défaite de l’armée assyrienne pour le commencement de la paix complète. Dans ce cas le ꝟ. 10, et lui seul, contiendrait une idée messianique. Bertholet a donc bien raison de dire que, dans le psaume, les notes eschatologiques retentissent doucement, bien plus doucement qu’on ne l’a supposé.

Le psaume suivant, xlvi, est un hymne à Jahvé, qui remonte à Sion avec l’arche d’alliance qu’on rapporte d’une bataille victorieuse. A cette occasion le poète rappelle les victoires les plus éclatantes que Jahvé ait remportées lors de la conquête de la Palestine : « Il nous a soumis des peuples, il a mis sous nos pieds des nations. Il nous a choisi notre héritage », 4-5. Ce qui rend le poète particulièrement joyeux et fier, c’est le fait que Jahvé est en même temps le maître de toutes les nations sur lesquelles il règne, 9. C’est pourquoi il invite non seulement les Israélites mais tous les peuples à l’acclamer, et il voit venir le jour où les païens aussi le reconnaîtront comme leur roi et où leurs princes s’uniront « au peuple (mot à mot comme peuple) du Dieu d’Abraham », 10. Le psaume se termine donc par la grande idée messianique de la conversion des païens. Mais tout ce qui précède se rapporte ou bien au passé ou bien au présent.

Plus encore que le précédent, ce psaume est pris pour un chant entièrement eschatologique. Sous ce rapport, l’opinion de Gunkel, Stærk et Kittel, est partagée par Diehl, Erklàrung von Psalm 47, 1894, la Bible du Centenaire, Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 196. » Il s’agit, écrit ce dernier, du règne futur de Dieu. Le poète nous transporte in médias res. Jahvé est descendu pour établir son règne par de grandes actions… Aucune circonstance historique, mais un sublime pressentiment de l’avenir. » Kittel donne un long exposé sur la poésie eschatologique du psautier et formule sa conception de la façon suivante : « Notre psaume est le premier dans la série des psaumes où le caractère messianico-eschatologique se révèle avec une clarté pour ainsi dire indéniable », p. 185… « Ce qui est ici décrit ne s’est jamais réalisé au cours de l’histoire. C’est attendu pour l’avenir, savoir la soumission de tous les peuples à Israël, 4, et l’incorporation des princes païens avec leurs nations aux fils d’Abraham. Nous avons affaire à un tableau de l’avenir dans lequel le poète décrit comme déjà réalisée l’intronisation de Jahvé », p. 188 sq.

Cette interprétation repose d’abord sur une fausse traduction de 9 a : Jahve malak. Ces deux mots se retrouvent dans plusieurs psaumes qui ont reçu une explication eschatologique. Ceux qui les prennent pour des psaumes d’intronisation traduisent constamment : Jahvé est devenu roi, pour relever qu’il s’agit d’un fait nouveau. Mais on peut aussi bien rendre la phrase par « Jahvé est roi, Jahvé règne ». En elle-même elle ne témoigne donc ni pour ni contre la conception eschatologique. La vraie traduction ne peut ressortir que du sens général et du contexte du psaume où cette expression se trouve. Or dans notre psaume xlvi se lit non seulement Jahve malak, mais aussi deux fois Jahve melek = Jahvé est roi ; la pre-