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MYSTIQUE, EXPLICATIONS PSYCHOLOGIQUES


dans les visions et paroles « surnaturelles » que des hallucinations, n’équivaut pas nécessairement à les classer parmi les états pathologiques. « J’ai insisté ailleurs sur le caractère des visions mystiques, qui sont le plus souvent des hallucinations psychiques, au sens de Baillarger, Séglas, des pseudohallucinations, au sens de Kandinsky, des représentations aperceptives, au sens de Petit, bien plutôt que des hallucinations psycho-sensorielles. » Delacroix, La religion et la foi, p. 272 ; cf. Montmorand, p. 123-126 ; Maréchal, op. cit., p. 80-S5.

Il en est de même de l’extase. Distinguons d’abord, une fois pour toutes, ainsi que nous avons eu l’occasion de le faire en étudiant saint Jean de la Croix, l’extase consécutive à la contemplation et l’extase qui la précéderait et l’introduirait, ou qui serait même considérée comme constitutive de l’état mystique. Leuba ne veut connaître que celle-ci ; les mystiques insistent beaucoup plus sur celle-là. Pour nous borner à elle, 1’ « extase » consécutive à la contemplation est-elle morbide ? « Au sens propre du mot, non, semblet -il. C’est une opération très normale, qui peut survenir à un tempérament physiologiquement très sain, très bien équilibré. Il est vrai que c’est défectueux, c’est une certaine faiblesse, une imperfection de la nature humaine de ne pouvoir supporter ce choc, cet envahissement du divin. Mais cette imperfection propre à notre nature n’apparaît pas morbide. Il n’est pas morbide de fléchir les genoux et de plier sous le faix de cent kilos. Atteindre la limite de ses forces, ce n’est pas être malade. » Pacheu, op. cit., p. 177-178. Mais une telle « extase » serait-elle la rançon d’un état névropathique, que l’on n’en pourrait rien conclure pour l’origine pathologique des phénomènes mystiques, car cette sorte d’extase, cette défaillance de la nature inférieure, n’est pas pour nous un phénomène mystique.

Mais il nous faut regarder de plus haut toutes les théories médicales ou psychologiques, qui tentent d’expliquer par des causes naturelles les phénomènes mystiques qui paraissent « surnaturels » à ceux qui les éprouvent. Toutes sont entachées de quelques vices rédhibitoires qu’il importe de ne pas oublier. Toutes supposent résolu négativement a priori le problème qui nous occupe, celui de l’intervention divine extraordinaire dans la trame des phénomènes psychologiques. Toutes identifient par conséquent a priori les mysticismes les plus divers. C’est le cas notamment de Leuba, qui avoue ingénument qu’il appliquera à l’étude du mysticisme la méthode génétique et la méthode comparative ; la méthode génétique : « nous sommes partis des phénomènes mystiques tels qu’ils se révèlent dans les sociétés primitives, où ils apparaissent plus simples et, partant, plus aisés à comprendre, et nous les avons suivis à travers les phases principales de leurs transformations et de leurs complications » ; la méthode comparative : « attendu qu’il est radicalement impossible, en ce champ d’études, d’atteindre à des conclusions pleinement valables en restant strictement enfermé à l’intérieur des frontières de la vie religieuse ». Leuba, op. cit., p. viii. C’est avouer explicitement que l’on entend réduire, coûte que coûte, tous les phénomènes mystiques à certain processus psycho-physiologique auquel on décerne le nom de mystique, même s’il ne présente aucun aspect religieux. Il faut bien dénoncer ici le sophisme de Vignoratio elenchi.

Ce n’est pas ainsi qu’un vrai savant doit procéder. Il n’y a qu’une méthode valable pour étudier les phénomènes mystiques, comme il n’y en a qu’une pour étudier les miracles, c’est de les prendre un à un dans leur réalité concrète, et de se demander si tel phénomène particulier, dans telles circonstances parti culières, étant données toutes les causes naturelles qui ont pu concourir à sa production, s’explique naturellement, ou s’il ne requiert pas l’action d’une cause transcendante. Il se peut que le sujet lui-même, ou le théologien aidé du psychologue et du médecin, ne parvienne pas à discerner nettement les signes révélateurs de cette intervention divine : il n’est pas toujours facile de discerner le miracle ; mais il se peut aussi que l’action divine paraisse manifeste : alors on portera un jugement plus ou moins ferme sur le caractère surnaturel du phénomène mystique que l’on aura étudié.

2° Explications psychologiques des phénomènes mystiques. — Le P. Pinard constate, « même chez les écrivains les moins favorables aux hypothèses transcendantes, un recul marqué de l’explication pathologique », L’élude comparée des religions, t. i, p. 415 ; et indique brièvement les solutions nouvelles données au problème de l’expérience mystique, p. 415-427. 1. Exposé.

La théorie la plus en vogue est celle de James Delacroix, qui explique les phénomènes mystiques par l’activité subsconsciente. Cf. notamment Pacheu, op. cit., c. m. La subconscience invoquée n’est point « celle de la majorité des psychologues français, qui n’est faite que d’une désagrégation, d’un morcellement de la conscience claire », mais celle de l’école anglo-américaine ; cf. Montmorand, p. 127132. M. Delacroix repousse ce postulat « que l’automatisme n’est qu’une activité psychologique inférieure, un déchet d’activité, pourrait-on dire, et qui n’aboutit qu’à des produits de rebut, qu’il exprime dans ses manifestations la tare pathologique dont il est l’indice. Il est vrai que la subconscience a été d’abord étudiée dans des cas purement pathologiques ; mais on n’a pas le droit de la restreindre aussi arbitrairement ; elle intervient aussi bien aux degrés élevés de la hiérarchie psychologique, dans les inventions du génie que dans les constructions du rêve et du délire : elle est au principe des grandes œuvres de l’humanité, comme de ses aberrations. Il y a un génie religieux qui explique les faits mystiques et qui participe aux splendeurs comme aux tares du génie. » Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, p. 407-408. « En recourant au subconscient, la psychologie met à profit un moyen d’explication qui a déjà fait ses preuves ; elle opère comme toute bonne science doit opérer, par réduction de l’inconnu au semblable déjà connu. » P. 62.

Retenons cet aveu : l’explication psychologique des phénomènes mystiques n’est que l’application au domaine religieux d’une hypothèse de portée plus générale ; le « génie religieux » n’est qu’un cas particulier du « génie » tout court, c’est-à-dire de l’invention, de l’imagination créatrice, que l’on croit pouvoir expliquer par cette merveilleuse subconscience, découverte en 1886, au dire deW. James, L’expérience religieuse p. 198. — « Le sentiment de passivité, qu’expriment si fortement les mystiques, et d’où ils concluent la transcendance de leurs états, et leur rapport à une activité supérieure, à l’action divine, est l’ignorance d’un travail intérieur de l’activité subconsciente… Or l’hypothèse d’une activité subconsciente, soutenue par certaines dispositions naturelles et réglée par un mécanisme directeur, remplit exactement le rôle de cette cause étrangère, et explique entièrement ce sentiment de passivité et d’extériorité. » P. 404-405. * La subconscience consiste ici en ce que des germes préparés par la conscience réfléchie et tombant sur une nature apte à les recevoir, mûrissent et s’épanouissent, sans que le sujet aperçoive rien du travail de maturation ; il ne voit que le commencement et la fin ; faute d’apercevoir les termes intermédiaires, il ne comprend pas sa propre fécondité. Mais il n’y a pas