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MYSTIQUE, DIVERSITÉ DES PHÉNOMÈNES


mysticisme religieux, p. 334-348. La statistique enfin permettrait de répondre à certaines questions concernant l’apparition des phénomènes mystiques suivant le sexe, l’âge, la profession, les régions, les époques.

Xous ne pouvons pas ici entrer dans toutes ces questions ; mais il nous semble que de notre enquête psychologique, si sommaire soit-elle, une conclusion se dégage : c’est qu’il existe divers phénomènes mystiques et qu’en psychologie du moins, il n’y a pas d’ « état mystique », dont il s’agirait de déterminer les caractéristiques essentielles, ni même, à proprement parler, de « phénomène essentiel », et de « phénomènes acidentels » ; le psychologue constate divers phénomènes mystiques, il ne connaît pas d’état mystique « en soi ». Énumérons-les sommairement.

1° L’intuition de Dieu ou des choses divines. — C’est le premier phénomène mystique que nous ayons rencontré. Il faut lire à ce sujet l’article du R. P. Maréchal. L’intuition de Dieu dans la mystique chrétienne, dans les Recherches de science religieuse, 1914, p. 145-162.

La conviction que certains mystiques sont favorisés d’une véritable intuition de Dieu est « formellement exprimée dans le courant mystique qui traverse le Moyen Age, à partir des Victorins jusqu’aux mystiques germano-néerlandais, en passant par la métaphysique et la théologie thomistes ; … ( elle se retrouve) dans l’expression naïve des contemplatifs étrangers aux subtilités des théologiens… », p. 158. Le R. P. Reypens s’est efforcé de montrer que l’intuition de Dieu constituait bien « le sommet de la contemplation mystique » chez le bienheureux Jean de Ruusbroec et chez ses continuateurs, Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 249-272 ; 1923, p. 256-271 ; 1924, p. 33-59 ; il nous promet une suite à ces articles : « en étudiant à leur tour les influences subies par Ruusbroec lui-même, nous constaterons de plus en plus clairement l’existence, chez les grands contemplatifs, d’une véritable tradition, d’après laquelle une intuition transitoire de l’essence divine est possible icibas, et est en fait accordée à quelques âmes d’élite ». Ibid., 1924, p. 59. C’était aussi la conclusion de Bemhart : « Le degré de l’union avec Dieu, accessible ici-bas, est, chez saint Augustin et les penseurs qui subissent son influence, si élevé qu’ils admettent un véritable videre Deum quoiqu’aucun comprehendeie, tandis que saint Thomas, sauf pour le cas du raplus, le réserve pour l’au-delà. « Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 76. Walter Hilton semble aussi admettre une certaine intuition de Dieu dans la contemplation supérieure ; cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 180.

Notons cependant que Denys le Chartreux, « quand il ne se dérobe pas aux explications, n’interprète jamais dans le sens de l’intuition mystique de l’essence divine (le sommet de la contemplation mystique de Ruusbroec). Dans les plus hautes élévations de Ruusbroec, il ne voit que la contemplation diony sienne… » Ibid., p. 48. Quant à cette contemplation dionysienne, saint Bonaventure n’y voit guère que ce que nous appelons l’oraison affective, qui ne rentre pas dans la mystique proprement dite : Hœc enim est, in qua mira bili ter inftammatur affeclio, sicut eis palet qui aliquoliens consueverunt ad anagogicos elevari excessus. Ilunc modum coqnoscendi arbilror cuilibet viro juslo in via isla esse queerendum ; quod si Deus aliquid ultra faciet, hoc privllegium est spéciale, non legis commuai*. In //"’" Sent., dist. XXII, a. 2, q. iii, ad 6°’". Kllc ferait partie « de ces états mystiques élémentaires, accessibles à toute bonne volonté moyenne », dont parle le P. de Grandmaison, Études, 5 mal 1913, i | 319

2° La connaissance dite expérimentale ou quasiexpérimentale de Dieu ou des choses divines. - C’est

le phénomène mystique par excellence, selon le fameux texte de l’Aréopagite : où(i.ôvov^.a6à>v, àXXà xat7rx6d>v -rà Osîa, De div. nom., c. ii, § 3, P. G., t. iii, col. 648. f Aristote caractérisait déjà par le i : aGeïv opposé au jj.a6etv la connaissance acquise par les initiés ; mais, à rencontre du Pseudo-Denys, il n’y voyait pas précisément une supériorité : toùç TeXoojjtévooç où u.oc0elv xi Seïv, àXXà roxôeïv xai 81aT£09)va(. r cité par Baruzi, Saint Jean de la Croix, p. 236). Saint Bonaventure estime lui aussi quod respeclu objecti increati nobilior est modus apprehendendi pei modum taclus et amplexus quam per modum visus et intuilus ; cité par le P. Éphrcm Longpré, La théologie mystique de saint Bonaventure, p. 13, tiré à part d’une étude parue dans V Archivum franciscanum historicum, t. xiv, 1921, fasc. i-n. « Touche et étreinte » ou de Dieu par l’homme ou plutôt de l’homme par Dieu, « contact » de Dieu, « union » à Dieu dans un sens tout spécial, sentimer.t de la présence de Dieu en soi, autour de soi, sentiment, voire même sensation de Dieu… telles sont quelques-unes des expressions par lesquelles les mystiques traduisent une expérience ineffable, une communication secrète, mystérieuse, de leur être avec Eieu.

Cette « expérience » de Dieu est longuement décrite par le P. Poulain, Des grâces d’oraison, 2e partie, c. v et vi ; elle est finement analysée et résumée par le P. de Grandmaison, Éludes, 5 mai 1913, p. 323-330, et, d’après lui, par Bremond, Hist. lillér du sentiment religieux en France, t. ii, p. 585-589. C’est elle aussi que Farges nomme « le phénomène essentiel de la vie mystique : l’oraison infuse de contemplation’», dont il étudie la nature et l’objet principal, Les phénomènes mystiques, t. i, p. 58-104. Si l’on en croit dom Butler, cette « contemplation », qui « consiste en une certaine vision et jouissance de la présence de Dieu, en une union directe avec Lui », serait l’élément mystique de la vie spirituelle en Occident de saint Augustin à saint Bernard ; cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 382-385. Pour saint Bernard, en particulier, la contemplation proprement mystique consiste « en un contact expérimental avec Dieu. C’est Dieu lui-même, c’est le Verbe qui se rend présent à l’âme : l’âme, passive sous la main de Dieu et élevée au-dessus d’elle-même, aperçoit, ou plutôt entrevoit, soupçonne quelque chose de l’être de Dieu, sans intermédiaire, dans une expérience directe : Verbum adest. Tout se passe néanmoins dans l’obscurité. Ce n’est pas un cernere, mais un sentire. » Vie spirituelle janv. 1925, p. [93], compte rendu de l’étude du D r R. Linhardt, Die Mystik des hl. Bcrnhard von Clairvaux.

3° Le « sentiment de présence », tel que le décrit sainte Thérèse, Château, VI D., c. viii, voir col. 2634. Il ne faut pas le confondre avec l’expérience précédente, ni avec ce que nous nommons communément le sentiment de la présence de Dieu, qui n’est pas à vrai dire un sentiment, mais un souvenir permanent, une attention spontanée qui nous maintient « en la présence de Dieu ».

Il faut prendre garde à l’imprécision du langage des mystiques ; « sentir » ne signifie souvent chez eux (lue comprendre, croire, èlre convaincu ; voir, par exemple, le texte de sainte Catherine de Sienne cité par le I’. Garrigou-Lagrange, Perfection chrétienne et contemplai ion, I. i, p. 200. — Le sentiment de présence dont il s’agit maintenant se caractérise par une localisation précise de l’objet dont, on sent la présence. Cf. Y..lames. L’expérience religieuse, c. m ; Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, c. xi ; Maréchal, Éludes sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 67-179, .1 propos du sentiment de présence chez les profanes et chez les mystiques.

Les connaissances distinctes.

Les mystiques