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MYSTIQUE, DIVERSITÉ DES PHÉNOMÈNES


attention à la suavité d’une harmonieuse musique, ou bien à la niaiserie d’un jeu de cartes… », c. m ; « et c’en est de mesme en la très-infame extase ou abominable ravissement qui arrive à l’ame… ; on dit qu’elle est en l’extase sensuelle… comme dit l’un des plus grands philosophes, l’homme estant en cet accident semble estre tombé en épilepsie, tant l’esprit demeure absorbé et comme perdu », c. 4 ; « les philosophes mesmes ont recogneu certaines espèces d’extases naturelles, faictes par la véhémente application de l’esprit à la considération des choses plus relevées. » C. vr. — Il peut donc y avoir de fausses extases : « on a veu en nostre âge plusieurs personnes qui croyoient elles-mesmes, et chacun avec elles, qu’elles fussent fort souvent ravies divinement en extase et enfin toutefois on descouvroit que ce n’estoient qu’illusions et amusement diaboliques », c. vi ; aussi saint François propose « deux marques de la bonne et saincte extase » ; l’une de ces deux marques est ce qu’il appelle « l’extase de l’œuvre et de la vie » ; c’est « une vie surhumaine, spirituelle, dévote, et extatique, c’est-à-dire, une vie qui est en toute façon hors et au-dessus de nostre condition naturelle. » Ibid. — « Bienheureux sont ceux qui vivent une vie sur-humaine, extatique, relevée au-dessus d’euxmesmes, quoy qu’ils ne soyent point ravis au-dessus d’eux-mesmes en l’oraison. Plusieurs saincls sont au ciel, qui jamais ne furent en extase ou ravissement de contemplation. Car combien de martyrs et de grands saincts et sainctes voyons-nous en l’histoire n’avoir jamais eu en l’oraison autre privilège que celuy de la dévotion et ferveur ? » C. vii, Saint François de Sales, comme sainte Thérèse, admet donc que les grâces mystiques ne sont point nécessaires pour parvenir à la sainteté.

7. « Du supresme effecl de l’amour affectif, qui est la mort des amans », c. ix-xiv. — - « L’amour est fort comme la mort. La mort sépare l’ame du mourant d’avec son corps…, l’amour sacré sépare l’ame de l’amant d’avec son corps… ; et il n’y a point d’autre différence, sinon en ce que la mort fait tousjours par efîect ce que l’amour ne fait ordinairement que par l’affection (désir). Or, je dis ordinairement, Theotime, parce que quelquefois l’amour sacré est bien si violent, que mesme par effect il cause la séparation du corps et de l’ame, faisant mourir les amans d’une mort tres-heureuse qui vaut mieux que cent vies. » C. ix. Et saint François distingue trois manières dont l’amour fait mourir les amans : la mort « en amour », la mort « par l’amour et pour l’amour » et la mort « d’amour ». Sur l’espèce de réduction des phénomènes mystiques aux conséquences « naturelles », psychologiques et même physiologiques, de l’amour divin, opérée par saint François de Sales, voir dom Mackey, Introduction au Traité de l’Amour de Dieu, p. xux, Œuvres de saint François de Sales, édition d’Annecy, t. iv ; et H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, t. ii, p. 578, note.

IV. CONCLUSION. DIVERSITÉ DES PHÉNOMÈNES

mystiques. — Dans l’enquête qui précède, nous n’avons pas eu la prétention d’épuiser l’étude psychologique des phénomènes mystiques. Pour ce faire, il ne suffirait pas de s’adresser à quelques mystiques catholiques orthodoxes ; il faudrait envisager tous les mystiques, à quelque religion qu’ils appartiennent ; on trouvera quelques indications sur les mystiques non chrétiennes (néoplatonicienne, hindoue, musulmane, profane, etc.) dans Maréchal, Éludes sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 223-227 : (le t. h doit comprendre une étude sur Le problème de la grâce mystique en Islam, d’après les travaux récents de M. Louis Massignon, et deux études sur La mystique comparée, et sur le Yogismc). « On sait quel écho prolongé le néo platonisme eut au Moyen Age : à des titres divers et par des voies diverses, philosophes ou mystiques en furent tributaires, de Jean Scot Érigène à Tauler et Ruusbruec, en passant par… Eckart, brillants théoriciens qui n’étaient point d’ailleurs étrangers aux expériences transcendantes, et par toute une pléiade de dévotes personnes des deux sexes, adonnées à la pratique de la contemplation, mais ne dédaignant point de disserter à leurs heures sur la perte de l’âme dans l’Unité. » Maréchal, op. cit., p. 228-229. « Non seulement les philosophes ont défini et décrit la mystique d’après leur propre système, mais les mystiques eux-mêmes construisent sur des présupposés métaphysiques et psychologiques déterminés, la description de leurs événements intérieurs. On voit dès lors combien la connaissance de ces philosophoumena est importante pour la véritable intelligence de la mystique. » Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 78, à propos du livre de Joseph Bernhart, Die philosophische Myslik des Miltelallers. A lire aussi le chapitre Mysticisme dans l’Expérience religieuse de W. James, et divers chapitres de la Psychologie du mysticisme religieux, de J.-H. Leuba. Le nom de soufi serait « réservé dans la terminologie islamique aux représentants de l’esprit ascétique qui ont subi dans leurs conceptions religieuses une influence déterminée, l’influence néoplatonicienne », Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 438, quoique des influences hindoues s’y fassent aussi sentir, p. 439 ; « la possibilité de l’influence du sufisme islamique sur la mystique chrétienne a été admise nouvellement par Carra de Vaux », ibid., p. 438 note.

On a noté aussi que la philosophie plotinienne s’infiltra jusqu’aux Indes, pour y atteindre les commentateurs médiévaux du Vêdànta. Sur la mystique de Plotin, lire l’étude de J. Souilhé, Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 179-195, à propos des thèses de René Arnou ; sur Proclus, l’une des sources de Tauler, voir Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 196, 210-212 ; sur le « silence mystique » dans les philosophes grecs, l’article de J. Souilhé, Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 128-140. Enfin, si l’on veut se faire une idée sommaire de la mystique musulmane, que l’on se reporte au Bulletin de science des religions de la Revue des sciences phil. et théologiques, notamment 1921, p. 437-443 (à propos des ouvrages de Goldzieher et de Frick sur Al-Ghazàlî), 1922, p. 482488 (à propos des Études sur la mystique islamique de Nicholson), et 1923, p. 375-384 (à propos des thèses de M. Massignon sur La passion d’Al-Hosayn-ibn-Mansour, al-Hallâj, martyr mystique de l’Islam).

Mais à qui voudrait même n’étudier que les mystiques catholiques orthodoxes, une enquête chez les théoriciens de la mystique ne suffirait pas encore ; il resterait à scruter les biographies des mystiques ; on trouvera les éléments de cette étude descriptive dans des ouvrages comme ceux de Gôrres, de Ribet, de Poulain et de Bremond. La méthode à suivre dans cette vaste enquête est formulée par le R. P. Pinard, dans l’Élude comparée des religions, t. H, c. vii ; il est bien évident que, pour procéder d’une manière scientifique, il faut partir de l’examen minutieux de chaque phénomène mystique rapporté par le sujet qui l’a éprouvé (fiches documentaires) ; de là on s’élèvera à la monographie ; on notera l’apparition successive des divers phénomènes dans le cours d’une vie, en tenant compte de toutes les circonstances qui ont accompagné la production de ces phénomènes ; voir par exemple la série des états mystiques de sainte Thérèse de 1562 à 1572, dans R. Hoornært, Revue des sciences phil. et théol., 1924, p. 22-23 ; de Madeleine Semer dans F. Klein ; de Mlle Vé dans Th. Flournoy, Une mystique moderne, cité par J.-H. Leuba, Psychologie du