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    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, S* THÉRÈSE

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d’amour de l’amour estimatif, qui produit dans l’âme la langueur d’amour, c’est-à-dire a une habituelle sollicitude, un souci de Dieu, mêlés de souffrance et de crainte, par l’idée qu’elle le sert mal », et qu’elle pourrait bien être abandonnée de Dieu. N., t. II, c. xiii, p. 98 ; t. I, c. xi, p. 38-39. « C’est par cette sollicitude et ce souci que la secrète contemplation entre dans l’âme, et avec le temps, lorsqu’elle a purifié partiellement le sens, … l’Amour divin commence à enflammer l’esprit. » Ibid., p. 39.

Nous avons déjà noté qu’à ses débuts cet amour passif reste inaperçu, ou qu’il se présente comme un état d’amour général, confus et sans objet ; cf. M., I. II, c. xi, t. i, p. 105 ; N., t. I, c. xi, p. 37. Mais, en se développant, cet amour envahira l’âme tout enlière et « le sens même y aura sa part ». N., t. II, c. xiii, p. 98 ; M., t. II, c. xxii, 1. 1, p. 180. C’est même l’amour mystique qui nous révèle le mieux notre entrée dans un # « état nouveau », dans une « vie nouvelle ». « L’âme ignore par où elle va ; elle se voit anéantie en tout le terrestre et le spirituel qui satisfaisait son goût, et s’aperçoit seulement qu’elle est éprise d’amour sans savoir comment. Et parce que cette flamme d’amour devient parfois très ardente dans l’esprit, l’âme se sent pour Dieu dans dételles angoisses, que cette soif lui semble, tellement elle est vive, dessécher les os, flétrir la nature en absorbant sa force et sa chaleur. Cette soif, elle le sent, est une nouvelle vie… Sauf exceptions, cette sensation véhémente n’est pas continue, mais, pour l’ordinaire, elle ne disparaît plus complètement. » N., t. I, c. xi, p. 38. Cf. C, str. i, p. 30-31, où la blessure d’amour est comparée et opposée aux autres « visites » de Dieu, et donne à l’âme l’impression de « commencer une existence nouvelle. » L’âme désormais ne saura plus qu’aimer.

Nous n’avons pas l’intention de décrire les diverses phases de cette vie d’amour, les formes ou les degrés de cette passion d’amour. Voici seulement l’indication des passages où l’on trouvera ces descriptions : Nuit, t. II, c. xix-xx, p. 119-126, « les dix degrés de l’escalier mystique de l’amour divin selon saint Bernard et saint Thomas », qu’il faudrait comparer aux quatre degrés de l’amour véhément selon Richard de Saint-Victor ; « l’angoisse d’amour » se retrouve dans C, str. i, p. 28-31 ; « la faim et la soif », dans N., t. II, c. xi, p. 91 ; « l’étincelle » et « l’ivresse » dans C, str. xxv, p. 156-158 ; « la flamme » dans F., 1° str., vers 2, p. 150 ; la « blessure », ibid., p. 151 et C, str. i, p. 2931 ; la « brûlure », F., 2° str., vers 1, p. 172-173 ; la « plaie », ibid., vers 2, p. 174-175 ; la « transverbération », ibid., p. 176 ; les stigmates, p. 177-178.

d) Les délices mystiques. — Elles sont artificiellement rapportées à la mémoire par saint Jean de la Croix.

La « communication divine s’épanche substantiellement dans l’âme entière, ou plutôt c’est l’âme qui se transforme en Dieu, et qui, selon cette transformation, s’abreuve de son Dieu par sa substance et par ses puissances spirituelles. En effet, selon l’entendement, elle boit la sagesse et la science ; selon la volonté, elle boit le très suave amour, et selon la mémoire, elle s’abreuve du réconfort et des délices que lui causent le souvenir et le sentiment de la gloire dont elle jouit. » C, str. xxvi, p. 163.

Déjà évidemment les trois premières formes de la « communication divine », les trois premiers éléments de la contemplation mystique, ont procuré à l’âme d’ineffables délices ; mais, comme il existe un suprême état mystique, l’état de transformation par union d’amour, qui est vraiment le commencement de la vie éternelle, de l’absorption en Dieu, de la possession de Dieu, de la fruition de Dieu, les suprêmes délices mystiques seront aussi un avant-goût de la béatitude

éternelle. C’est là ce « sentiment de la gloire » dont parle saint Jean de la Croix. « Elle se sent traversée, au plus intime de sa substance, d’un courant de gloire débordant de délices… Il lui paraît que, puisqu’elle est transformée avec tant de force en Dieu, si hautement en sa possession, comblée de richesse, ornée de dons et de vertus sans nombre, elle se trouve proche de la béatitude. Entre elle et cet état n’existe plus à ses yeux qu’un faible voile très délicat… Elle se figure ainsi absorbée et envahie, que l’heure de la gloire et de la vie éternelle est venue, et que la toile de la vie mortelle va se rompre. » F., l re str., vers 1, p. 148. Cf. _ « str., vers 6, p. 190-191 ; 3° str., vers 5-6, p. 240.

L’œuvre de saint Jean de la Croix nous paraît très riche en descriptions d’expériences mystiques ; pourtant l’expérience n’y est pour ainsi dire jamais notée à l’état pur ; presque toujours elle y est interprétée. Sur la relation de l’expérience à la doctrine » dans l’œuvre de saint Jean de la Croix, cf. Baruzi, op. cit., t. III, notamment p. 236-237, 334, 344, 361-362 : Jean de la Croix « n’a pas été un souverain analyste de ses états ; et, dans ce recul devant certaines possibilités de l’analyse psychologique, s’inscrit sans doute sa plus grande limite. » Et à combien d’autres mystiques s’appliquerait le reproche ! Bien des mystiques » n’ont point dépassé un schématisme élémentaire. Voici des phénomènes inconnus qu’ils ont, avec trop de hâte systématique, désignés comme « passifs ». Ils ne les ont pas explorés péniblement en leurs sinuosités ; ils n’ont pas attendu, pour leur découvrir une origine, d’avoir trouvé des notions neuves : ils ont posé que la grâce divine pouvait seule déterminer une totale et intime refonte de l’être… Ils n’ont pas assez travaillé à traduire par leurs analyses ce qu’il y avait de plus original en leur expérience. » P. 568-569.

Sainte Thérèse.

Nous nous bornerons à l’étude

du Château intérieur, parce qu’il représente l’expression la plus parfaite de la pensée de sainte Thérèse ; cf. R. Hoornært, Le progrès de la pensée de sainte Thérèse entre la « Vie » et le « Château », Revue des sciences phil. et théol., 1924, p. 20-43. Nos citations et références sont faites d’après le t. iv des Œuvres complètes… traduites par les carmélites du premier monastère de Paris, édition sans notes.

Ce qui nous frappe, après une lecture attentive de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix, c’est l’importance accordée par l’une aux phénomènes mystiques dont l’autre déclare nettement qu’il faut se désintéresser : les conseils donnés à ce sujet sont en opposition complète. « Quand bien même ces visions ne seraient pas de Dieu, pourvu que vous ayez de l’humilité et une bonne conscience, elles ne vous nuiront pas. Sa Majesté sait tirer le bien du mal, et, par où le démon voulait vous perdre, vous gagnerez. » VI D., c. ix, p. 293. Elle partage l’avis du P. Bafiez, qui « blâmait sévèrement le conseil donné par quelques-uns d’accueillir par un geste de mépris toute vision de cette nature… Si l’on vous donne semblable conseil, mes filles, je vous engage, moi, à ne pas le suivre.. » p. 294. Et tandis que saint Jean de la Croix veut qu’on ne perde pas son temps à examiner l’origine de ces phénomènes, sainte Thérèse, très préoccupée du « discernement des esprits », toujours anxieuse, cherche constamment à se rassurer par la considération minutieuse de tous les signes qui peuvent permettre de distinguer les uns des autres les faits mystiques divins, diaboliques ou naturels. Aussi l’étude psychologique de la grande mystique, dont l’expérience fut si riche et si diverse, dont l’observation et l’analyse furent si attentives et si pénétrantes, constitue-t-elle la meilleure préparation à l’étude philosophique du mysticisme.

1. Le recueillement surnaturel, » oraison qui précède