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MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. JEAN DE LA CROIX


théoricien de la contemplation, c. i, col. 169). Et par l’objet qu’il assigne au second degré de la contemplation (c. iv, col. 173), qui n’est rien de moins que l’ensemble des révélations prophétiques, on ne voit pas bien comment elles seraient le résultat d’une collaboration de l’effort humain et de la grâce divine. Il reste pourtant — mais ne serait-ce pas une contradiction introduite dans son système ? — qu’il a reconnu une contemplation vraiment divine qui se produirait sans extase.

Et de même il signale une contemplation non extatique, mais aussi non divine, celle-là, non mystique, celle que l’on a nommée la contemplation active ou acquise ; t. IV, c. xxii, col. 164, 166.

Enfin, il semble bien qu’il faille encore rapporter à la contemplation active celle qui s’obtient par une sorte d’extase volontaire, par ce que l’on nommera plus tard la nuit active des sens et de l’esprit : eorum autem qui in suis contemplalionibus supra semetipsos ducuntur et usque ad mentis excessum rapiuntur, alii hoc exspeclanl et accipiunt usque adhuc ex sola vacante gratia, alii vero ut hoc possunt sibi comparant (cum gralise tamen cooperatione) ex magna animi industria. Et illi quidem hoc donum quasi forluilum habent, isti vero jam velut ex virtute possident. Ibid., c. xxiii, col. 166. N’y a-t-il pas d’ailleurs une nouvelle contradiction entre ce que Richard affirme ici d’une extase en grande partie naturelle et ce qu’il dit ailleurs (t. V, c. xv-xvi, col. 187-189) de l’origine purement divine de toute extase, surtout du troisième degré de l’extase ?

Car l’extase comporte trois degrés : ascendit autem (mens) aliquando supra sensum corporalem, aliquando ttiam supra imaginalionem, aliquando vero supra rationem. Ibid., c. xix, col. 192. Richard lui reconnaît trois causes : nam modo præ magnitudine devolionis, modo præ magnitudine admira ionis, modo vero præ magnitudine exsultationis fit, ut semetipsam mens omnino non capiat, et supra semetipsam elevala in abalienationem transeat. C. v, col. 174. Il les décrit longuement, et indique à l’âme qui en a été favorisée mais à qui elle a été retirée, le moyen de retrouver l’extase : psallendo ilaque alque laudando iler Domino paratur, per quod ad nos venire, et miris quibusdam mysteriorum suorum revelationibus revelare dignetur. C. xviii, col. 190.

Il n’est pas aussi facile de caractériser le troisième degré des états mystiques selon Richard de Saint-Victor que les deux premiers : in primo itaque gradu dilecta fréquenter visilatur ; in secundo ducitur ; in tertio dilecto copulatur ; in quarto fecundatur, col. 1216 ; in primo inlral meditatione, in secundo ascendit contemplatione, in tertio retroducitur in jubilatione, in quarto egreditur ex compassione, col. 1217. On a donné depuis au troisième degré le nom d’union transformante ou d’état théopathique. Cf. col. 1221 : nonne et illi ex circumfusa divinilatis flamma et velut ex inspecta gloria incandescunt, et divinæ luei configurati jam quasi in aliam gloriam transeunl, qui revelala facie gloriam Domini spéculantes, in eamdem imaginem transformantur a clarilale in clarilalem lanquam a Domini Spiritu ?… In hoc statu qui adheerel Domino unus spirilus est. In hoc statu, ut diclum est, anima in illum qucm diligit Iota liquescit. La conséquence de cette « union », c’est que l’âme ainsi transformée n’a plus de volonté propre : sic qui ad hune lerlium amoris gradum profecerunt, nil jam propria voluntate agunt, nihil omnino suo arbitrio relinquunl, sed divinæ dispositioni omnia committunt. Col. 1222.

Enfin le quatrième degré de Richard s’identifierait assez bien avec ce que l’on a appelé 1’ « état apostolique », où le mystique se dépense tout entier pour la gloire de Dieu.

Il y a certes beaucoup à glaner pour la psychologie de la mystique dans l’œuvre de Richard. S’il faut en

croire son aveu rapporté plus haut, il n’aurait pas cependant expérimenté lui-même tous les états qu’il décrit. Il y a beaucoup de « littérature » dans ses traités. Somme toute, il ne nous livre rien, sur la connaissance expérimentale de Dieu, que nous n’ayons déjà rencontré en saint Augustin.

6° Saint Jean de la Croix (sera cité d’après la traduction Hoornært ; M. = La montée du Carmel, répartie en deux volumes ; N. et F. = La Nuit obscure et La vive flamme d’amour, réunies en un volume ; C. = Le Cantique spirituel.) — On doit peut-être à saint Jean de la Croix la distinction, devenue classique, des phénomènes dits mystiques, tels que visions surnaturelles, révélations, etc., et de la contemplation ou connaissance mystique proprement dite.

Ce qui les différencie essentiellement, c’est que celle-ci nous achemine à l’union transformante, tandis que les autres, s’ils peuvent en être des préparations providentielles, cf. M., t. II, c. xv, t. i, p. 126 sq., n’en sont aucunement le « moyen proportionné ». Et la raison en est bien simple, saint Jean la répète à satiété : ces phénomènes surnaturels ne peuvent nous communiquer de Dieu que des connaissances distinctes, or aucune connaissance distincte ne peut être un moyen d’atteindre Dieu ; « toutes ces formes, par le fait qu’elles sont perçues, sont enserrées en des modes et manières d’être limités, tandis que la sagesse divine à laquelle tend l’union n’en a d’aucune espèce… Comme l’essence de Dieu ne connaît ni forme, ni image, et n’est saisissable par aucune connaissance distincte, l’âme, pour s’introduire en Dieu, ne peut s’enfermer dans aucune forme ou intelligence particulière. » M., t. II, c. xiv, 1. 1, p. 121. Et dès lors, sans même entreprendre ce qu’on pourrait appeler une critique des phénomènes surnaturels — critique dont il entrevit la nécessité, cf. N., t. II, c. xvi, p. 107 — saint Jean demande que l’on n’en tienne aucun compte, à peine de ne parvenir jamais au but désiré.

Pourtant si la critique des phénomènes mystiques n’est pas donnée ex professo dans la Montée, elle y est parfois esquissée d’un trait rapide. Ainsi toutes les « connaissances et perceptions surnaturelles qui viennent à l’entendement par la seule voie des sens externes, » « par cela même que ces communications sont surtout extérieures et physiques, la préemption est toujours que leur origine n’est pas divine, » mais plutôt diabolique. M., t. II, c. x, t. i, p. 91-92. « Le sens de l’imagination et de la fantaisie constitue le domaine préféré du démon. » M., t. II, c. xiv, t. i, p. 120 ; défiance par conséquent à l’endroit de toutes les visions imaginaires. Les visions même spirituelles des « substances corporelles » peuvent être aussi produites en nous par le démon, M., t. II, c. xxii, t. i, p. 178 ; il en faut dire autant des révélations qui concernent les créatures, M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 189 ; ou des révélations « qui découvrent des secrets et mystères », M., t. II, c. xxv, t. i, p. 192 ; sans compter que « les personnes dont l’esprit est purifié, ont une grande facilité, l’une plus que l’autre, à pénétrer naturellement le cœur de l’esprit intérieur, à saisir les inclinations et talents d’autrui, et cela par les moindres indices extérieurs, parfois à peine perceptibles, comme sont les propos, gestes, mouvements et autres manières d’être. » M., t. II, c. xxiv, 1. 1, p. 188. Les paroles intérieures « successives » peuvent aussi provenir de l’imagination, M., t. II, c. xxvii, t. i, p. 196-197 ; ou du démon, ibid., p. 200-201. Le démon encore peut être l’auteur des paroles « formelles », c’est-à-dire de celles que nous discernons formellement provenir d’une tierce personne, M., t. II, c. xxviii, t. i, p. 202-203. Seuls, parmi tous les phénomènes surnaturels, les visions spirituelles de substances immatérielles, les « notions intellectuelles » concernant Dieu, les paroles