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MORAI.K. AUTORITÉ DE SAINT THOMAS


questions de morale sociale, avoir la haute influence qu’on voudrait lui attribuer. Car elle ne peut, sans sortir de son domaine et sans recourir à des méthodes qui lui sont étrangères, apporter, sur ce terrain, les démonstrations effectives qui seraient cependant nécessaires.

Réponse. — 1. l.a théologie morale, considérée comme science surnaturelle, peut fournir, à tous les catholiques soumis aux enseignements de l’Église, des principes très sûrs pour les diriger effectivement, au point de vue doctrinal, dans ces questions si difficiles. Car l’Église, à laquelle a été confiée par Notre-Seigncur avec la morale surnaturelle, toute la morale naturelle, dont elle est la gardienne vigilante et l’infaillible interprète, a le droit de parler avec autorité sur les questions sociales, en tout ce qui concerne la morale même naturelle. C’est ce qu’affirment notamment deux encycliques de Léon XIII et une de Pie X.

I)ans l’encyclique Rcram novarum, Léon XIII affirme

que la question sociale dont il traite relève pleinement de son autorité, parce que, sans le secours de la religion et de l’Église, cette question n’a aucune possibilité sérieuse de solution. Selon l’encyclique Graves de communi du même pape, 18 janvier 1901, il est très certain que la question sociale est surtout une question morale et religieuse, et que, pour cette raison, elle doit être résolue surtout selon la loi morale et l’autorité de la religion.

Cette dernière affirmation est répétée par Pie X dans l’encyclique Singulari quodam du 24 septembre 1912, concernant les syndicats mixtes : Causant socialem controversiasque ei causas subjectas de ralione spatioque operæ, de modo salarii, de voluntaria cessatione opificum, non mère œconomicæ esse naturæ, proptereaque ejusmodi quai componi, posthabita Ecclesiæ auctorilate, possint, cum (citation de l’encyclique (j’-aves de communi) contra verissimum sit eam (quæstionem socialem) moralem in primis et religiosam esse, ob eamque rem ex lege morum polissimum et religionis judicio dirimendam.

Toute la doctrine morale enseignée par l’Église, même en matière sociale, étant du ressort de la théologie morale, c’est donc à celle-ci qu’il appartient de fournir les enseignements qui doivent diriger les catholiques dans les matières sociales.

2. Appuyé sur cette direction sûre, provenant de l’enseignement de l’Église, le théologien catholique peut faire appel aux arguments de raison, ainsi qu’aux données d observation et d’expérience fournies par l’économie sociale, ou par les sciences juridico-sociales, pour démontrer, selon la méthode propre à ces sciences les conclusions que l’on sait être vraies. En agissant ainsi, le théologien ne sort point de son domaine. La théologie n’a-t-elle pas le droit de faire appel à toutes les sciences humaines qui lui sont subordonnées, en tout ce qui concerne leur orientation nécessaire vers la fin dernière surnaturelle ? S. Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 5, 8. Le travail accompli par la raison, en réponse à cet appel, n’est point étranger à la théologie, bien qu’il n’ait et ne doive avoir en regard de celle-ci qu’un rôle secondaire et auxiliaire.

3. En réalité, cet appui donné par la théologie morale surnaturelle est pour toutes les sciences sociales, surtout en face des erreurs actuelles, l’appui le plus solide et le plus effectif, comme on peut le conclure de ces paroles de Léon XIII dans l’encyclique Quod apostolici du 28 décembre 187K, montrant) dans l’Église, la meilleure protection, pour les sociétés humaines, contre les dangers du socialisme : Et cum ad socialismi pesirm averlendam tantam Ecclesiæ virtutem noverint inesse, quanta nec humanis Isgibus inest, neemagistratuuni cohibiiionibus, née militum armis, ipsam Ecclesiuin in eam tandem condilionem libertatemque resti tuant, qua saluberrimam vim suam in totius humer, iv societatis commodum possil exercere.

4’objection. — La théologie morale, restreinte à son juste domaine qui est celui de l’obligation de conscience imposée par les lois morales, ne peut donner à l’ascétique et à la mystique l’aide efficace que l’on voudrait lui attribuer. Elle est plutôt, soit par elle-même, soit par ce que nous savons de son histoire, un obstacle en ce qui concerne la direction doctrinale vers la pratique de la perfection chrétienne.

Réponse. — 1. Selon la définition communément donnée par les théologiens et appuyée sur l’enseignement de saint Thomas, la théologie morale doit traiter non seulement des obligations imposées à l’homme sub gravi ou sub levi relativement à sa fin dernière, mais encore de ce qui est conseillé ou recommandé comme plus parfait relativement à cette même fin, en tenant compte toutefois des arrangements conventionnels aujourd’hui communément acceptés. Suivant ces arrangements, les principes doctrinaux dans les matières ascético-mystiques sont seuls du ressort de la théologie morale ; l’étude des moyens pratiques étant laissée à l’ascétique et à la mystique.

Comme on l’a dit déjà, le fait que la doctrine théologique qui doit diriger la pratique de la perfection chrétienne a été négligée par beaucoup de théologiens, presque exclusivement absorbés par les préoccupations casuistiques, n’empêche point que ce rôle ne relève cependant de la théologie morale, considérée non comme simple casuistique, mais dans toute l’étendue de son programme.

Il reste donc vrai que la théologie morale peut et doit donner sur ce point une direction effective, pour ce qui dépend vraiment d’elle, c’est-à-dire pour les principes d’où l’on déduit, en ascétique et en mystique, les applications pratiquement utiles.

2. Il est très souhaitable que l’on revienne à cette conception du rôle de la théologie morale, et surtout que l’on dirige dans ce sens l’enseignement scolaire de la théologie. On aura ainsi, sur la perfection chrétienne et sacerdotale, une doctrine plus solide et plus développée, en même temps que mieux coordonnée : et conduisant ainsi d’une manière plus sûre et plus effective à de sérieuses conclusions pratiques.

C’est la pensée qui se dégage très certainement de la demande instante du canon 1366, § 2, du r.ouveau Code canonique, que l’étude de la théologie, aussi bien que celle de la philosophie, soit faite ad Angelici docloris rationcm, doctrinam et principia. N’est-ce point la méthode constante de saint Thomas, en traitant des matières morales, notamment dans la II a -II æ, comme nous l’avons noté plusieurs fois au cours de cet article, de donner l’enseignement doctrinal sur tout ce qui concerne la perfection chrétienne sous ses diverses formes et dans les divers états de vie ?

VI. Autorité : de saint Thomas et de saint Alphonse DE LlGUORI EN THÉOLOGIE MORALE. —

1° Autorité de saint Thomas. L’autorité de saint Thomas n’est pas moins grande en théologie morale qu’en dogmatique. Dans l’encyclique jlitcrni Patris du 1 août 1879, Léon XIII l’affirme pour la morale non moins que pour le dogme. Suivant Léon XIII. ce que le saint docteur enseigne sur la vraie notion de la liberté, dégénérant aujourd’hui en licence, sur la divine origine de toute autorité dans les choses humaines, sur les lois et sur leur force obligatoire, sur le gouvernement paternel et équitable des souverains civils, sur la soumission due aux puissances établies, sur la charité qui doit unir tous les membres de la société ; tout cela, comme ce qu’il enseigne aussi sur d’autres points, a une force souveraine et invincible pour détruire les principes du droit nouveau, qui seraient dangereux pour le bon ordre et pour le salut