Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/562

Cette page n’a pas encore été corrigée
2417
2418
MORALE, METHODE SCOLASTIQUE


réalité concrète. Il est d’ailleurs manifeste que les trois postulats donnés par Kant comme des présuppositions inséparables de la loi morale, la liberté humaine, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu, ne peuvent se déduire de l’impératif catégorique que l’on voudrait établir comme fondement de la morale nouvelle.

b. Non moins insuffisantes sont les méthodes qui font dériver l’obligation morale d’une disposition affective de la volonté individuelle, comme le soutenaient Reid et Jacobi, ou d’une croyance dictée par le besoin de trouver un objet aux aspirations de notre nature, ou un fondement à l’ordre social, comme le disaient Balfour et Brunetière. Ces méthodes, quelle que soit la forme particulière qu’elles revêtent, contiennent cette grave erreur, que la raison humaine est, par elle-même et laissée à elle seule, incapable d’obtenir des connaissances certaines relativement aux vérités morales.

c. On doit réprouver aussi la méthode positiviste de la nouvelle école sociologique faisant consister, avec Durckheim, toute la science morale dans la description des phénomènes sociaux, considérés comme effectivement soumis à des lois nécessaires. Ce qui suppose par là même le déterminisme social, nettement avoué d’ailleurs, bien que parfois l’expression en soit adoucie. Méthode évidemment erronée, puisqu’elle suppose l’exclusion de la liberté humaine, et que, s’arrêtant à la description des phénomènes sociaux, elle ne peut faire connaître la nature de l’obligation morale, ni conduire à la science morale. Voir Mgr Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie, 2e édit., Paris, 1912, notamment, p. 364-392 ; M. Nivard, S. J., Ethica, Paris, 1928, p. 203 sq.

d. On doit non moins réprouver la méthode fidéiste selon laquelle, dans sa forme la plus mitigée soutenue par Bautain, Bonnetty et Ubaghs, voir ces articles, et Foi, t. vi, col. 188 sq., la raison non aidée par la révélation divine, que transmet la tradition, est incapable de découvrir soit l’existence de la loi naturelle, soit les autres vérités religieuses naturelles, bien que ces auteurs aient admis qu’après la révélation déjà connue, la raison peut comprendre la démonstration rationnelle de ces vérités.

b) Seule, la méthode scolastique écarte efficacement les fausses méthodes en appuyant ses raisonnements sur des concepts objectifs représentant des réalités existantes ; seule aussi, la méthode scolastique assure à la raison le rôle qui lui convient.

a. Seule, la méthode scolastique, par le fait qu’elle est analytico-synthétique, appuie ses raisonnements sur des concepts objectifs représentant des réalités existantes. Ces concepts sont le concept de Dieu, créateur et souverain maître, et le concept de l’homme, créature raisonnable, obligé comme tel de tendre à Dieu comme fin dernière et d’y tendre, selon sa nature, c’est-à-dire avec connaissance de cette fin, et avec une détermination libre qui le rend responsable de ses actes.

Dans les autres méthodes, on s’appuie sur des concepts ou des sentiments purement subjectifs sur lesquels on ne peut rien établir de réel, ou l’on veut s’appuyer sur l’autorité divine que l’on a privée de tout fondement, en rejetant la valeur de la raison humaine, seule base effective de cette autorité.

b. Seule, la méthode scolastique assure à la raison le rôle qui lui convient. Car, selon le raisonnement de saint Thomas, il appartient à l’homme de se conduire lui-même à sa fin par sa raison et de s’y conduire d’une manière dépendante de Dieu, son souverain maître. Sum. theol., Ia-IIæ, q. i, a. 2.

C’est donc la raison qui doit assigner à l’homme le terme vers lequel il doit tendre, et les moyens à employer pour l’atteindre effectivement. Mais cette di rection de la raison, s’exerçant sous le contrôle de la règle divine, existe en réalité seulement dans la méthode scolastique. Dans les autres méthodes, ou ce n’est pas la raison qui donne la direction, ou elle la donne d’une manière indépendante de Dieu et en méconnaissant ses droits.

2. Réponse à quelques objections. - - l re objection. — La méthode scolastique, en ce qui concerne la démonstration des vérités morales naturelles, conduit à la connaissance d’une loi morale purement extrinsèque, qui est en désaccord avec la nature de l’homme, puisqu’il appartient à l’homme de se diriger lui-même par sa raison.

Réponse. — a) La loi morale qui régit les actions de l’homme doit lui être, de quelque manière, extrinsèque, puisque l’homme créé par Dieu, et dépendant essentiellement de lui, a en lui sa fin dernière à laquelle toutes ses actions doivent être dirigées.

b) Mais la loi morale régissant l’homme conformément à sa fin dernière, devient comme intrinsèque à l’homme, en tant qu’elle lui est manifestée par sa raison, qui lui montre sa dépendance vis-à-vis de Dieu, avec les obligations qui en découlent. C’est ce que saint Thomas laisse bien entendre, quand il définit la loi naturelle une participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable, par une impression de la lumière divine dans la raison de l’homme, Sum. theol., Ia-IIæ, q. xci, a. 2 ; q. xix, a. 4 ; ou quand il indique la double règle de moralité de nos actes : la loi éternelle, règle première, et la raison humaine, règle secondaire dépendant essentiellement de la règle première. Ia-IIæ, q. xix, a. 3, 4, 9 ; q. c, a. 1.

2e objection. — La méthode scolastique, en ce qui concerne la démonstration des vérités morales naturelles, ne peut conduire à une connaissance objective parce qu’elle s’appuie uniquement sur des raisons déductives a priori.

Réponse. — a) Le raisonnement déductif sur lequel s’appuie la méthode scolastique pour prouver l’existence de la loi morale, conduit à une connaissance objective, parce qu’il est fondé sur le fait certain delà dépendance nécessaire de l’homme vis-à-vis de Dieu, ou sur cette relation réelle de dépendance nécessaire, selon l’argumentation de saint Thomas. Ia-IIæ, q. xix, a. 4, 9.

b) D’ailleurs, il n’est point vrai que, dans la méthode scolastique, en emploie uniquement le raisonnement déductif. Souvent aussi l’on emploie l’observation, l’induction et l’expérience, comme on peut le constater chez saint Thomas lui-même.

Dans sa démonstration, le fait que Dieu est notre fin dernière est prouvé non seulement par le raisonnement synthétique, Sum. theol., I 8, q. xi.iv, a. 4, mais encore par le fait d’observation et d’expérience, que rien en dehors de Dieu ne peut donner aux facultés humaines une pleine satisfaction, Cont. Gent., t. III, c. xxvi sq. De même, saint Thomas voulant prouver l’existence de la loi naturelle apporte cette donnée d’observation et (l’expérience commune, qu’il y a, dans tous les hommes, des inclinations naturelles ad debitum aclum et finem, dont il cite trois exemples : l’inclination à la conservation de l’être propre, celle de pratiquer la vie conjugale et familiale, et celle de vivre conformément à la nature rationnelle, en connaissant la vérité sur Dieu et en pratiquant convenablement la vie sociale. Sum. theol., P-Il 83, q. xciv, a. 2. A ces données d’observation et d’expérience commune sont ajoutées des données historiques. L’histoire de tous les peuples montre que la même connaissance de certains devoirs naturels se retrouve substantiellement chez tous les peuples, bien que, chez quelques individus et pour certaines conclusions, elle ait parfois subi quelque fléchissement.