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cratie ne sont pas des États libres par leur nature », t. XI, c. iv. Son idéal, c’est le gouvernement anglais dont il donne une idée plus claire peut-être que conforme à la réalité. S’inspirant donc de Pufïendorf, mais surtout de Locke et de Bolingbroke qui tous deux font la théorie de la constitution anglaise, il pose en principe que la première condition de la liberté politique est la séparation des pouvoirs ; il juge excellent aussi que le pouvoir législatif appartienne à deux Chambres, la Chambre des représentants du peuple et une Chambre Haute, héréditaire, formée de gens « distingués par la naissance, la richesse ou les honneurs », t. XI, c. vi.

C’est là l’idéal ou, si l’on veut, le gouvernement libéral dans sa forme absolue. Mais ce gouvernement peut exister sans réaliser cette forme. « Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir », ibid. mais il suffit pour cela (et ici Montesquieu pense à la France) que soient maintenus ou restaurés d’une part, car le nivellement social est signe de régime démocratique et despotique, les corps intermédiaires et avec eux les libertés provinciales et communales ; d’autre part, « des corps annonçant les lois lorsqu’elles sont faites, et les rappelant lorsqu’on les oublie, » t. II, c. iv. Cf. Lettres persanes, lettre XLlll. Voir J. Tchernofï, Montesquieu et JeanJacques Rousseau, in 8°, Paris, 1900 ; Faguet, La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire, in-12, Paris, 1902 ; J. Dedieu, Montesquieu et la tradition politique anglaise en France ; les sources anglaises de l’Esprit des lois, in-8°, Paris, 1909 ; M. Sée, Les idées politiques en France au XVIII’siècle, in-8°, Paris, 1920 ; L’évolution de la pensée politique en France au XVIIIe siècle, in-8°, Paris, 1925 ; Gottfried Kock, Montesquieu’s Verfassnng’s Théorie, Halle, 1883 ; H. Jansen, Montesquieu’s Théorie von der Dreiteilung der Gewalten im Staate auf ihre Quelle zurùckgefùhrt, Gotha, 1888 ; W. Schulze, Die Lehre Montesquieu’s von den staatlichen Funklionen, in-8°, léna, 1902.

2° La liberté civile. Les droits de l’homm ». — La liberté politique est une condition de la liberté complète de l’homme. La liberté à laquelle l’homme a droit « consiste à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à ne pouvoir être contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. » L’homme a ainsi ses droits : liberté individuelle, tranquillité, sécurité, liberté de penser, de parler, d’écrire. Ces droits seront assurés par une organisation judiciaire où le pouvoir de condamner sera exercé « par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année », t. XI, c. vi ; et aussi par une refonte des lois pénales qu’il faut rendre plus conformes à la raison et moins crue les. Cf. ibid. et E. Levy-Malsano, Montesquieue Macchiavelli, in-8°, Florence, 1912.

Les idées morales.

Sans nier une morale individuelle

qu’impose un idéal religieux ou métaphysique, t. I, ci, Montesquieu ne parle de la morale que comme d’une obligation sociale et il l’impose, non pas comme Hossuct, au nom de la religion ou « des propres paroles de l’Écriture », mais au nom de la nature des choses et du bien public. Cf. Brunetière, Études critiques, t. v, p. 107. Mais comme les choses varient avec les gouvernements, la vie morale des peuples diffère également et la vertu finalement est « l’harmonie qui s’établit entre la vie individuelle et le principe du gouvernement ». Ainsi l’éducation jouera un rôle important et variera avec les systèmes de gouvernement, t. IV, Des lois de l’éducation. De Cette monde l’on peut dire ce que Sainte-Beuve a écrit de la politique de Montesquieu : « Son défaut radical est qu’elle voit « la moyenne de l’humanité, considérée dans ses données naturelles plus haut qu’elle n’est. » Loc. cit., p. 50.

4° Les idées religieuses. - - Montesquieu avait donné d’abord la note irréligieuse de la Régence. Dans les Lettres persanes, il est nettement anticatholique. « Il y a un autre magicien plus fort que le roi, le pape. Il fait croire que trois ne sont qu’un, que le pain que l’on mange n’est pas du pain et mille autres choses de cette espèce. » Lettre xxiv..< Le pape est une vieille idole qu’on encense par habitude. » Lei. xxix. « Les évêques ont sous son autorité des fonctions différentes. Quand ils sont assemblés, ils font comme lui des articles de foi ; quand ils sont en particulier, ils n’ont guère d’autre fonction que de dispenser d’accomplir la loi… La religion chrétienne est chargée d’une infinité de pratiques et comme on a jugé qu’il est moins facile de remplir ses devoirs que d’avoir des évêques qui en dispensent, on a pris ce dernier parti pour l’utilité publique. » Ibid. Comme le fera tout son siècle il déclare vaines les questions de doctrine, il accuse la religion des pires crimes. « Il n’y a jamais eu de royaume où il y ait eu tant de guerres civiles que dans celui du Christ » ; l’Inquisition, let. xlvi. Il se moque des moines, des missionnaires, let. xlix, des casuistes, let. lvii, du célibat, let. cxviii ; il nie la possibilité de constater le miracle, let. cxliii, et il réduit toute la religion à la morale sociale : « L’observation des lois, l’amour pour les hommes, la piété envers les parents, sont toujours les premiers actes de religion. » Let. xlvi. Dieu même pourrait ne pas exister, cela ne nous dispenserait pas de la justice. « Libres que nous serions du joug de la religion, nous ne devrions pas l’être de celui de l’équité. » Et voyant confusément une sorte d’antinomie entre l’idée de progrès et le catholicisme, il affirme : « Dans l’état présent où est l’Europe, il n’est pas possible que la religion catholique y subsiste cinq cents ans. » Let. cxviii.

Autre est le ton de V Esprit d ?s lois : « Montesquieu (si l’on excepte les Lettres persanes), dira Sainte-Beuve, loc. cit., p. 52, a toujours eu pour le christianisme de belles paroles, et, en avançant, il en a de plus en plus accepté et comme épousé les bienfaits en tout ce qui est de la civilisation et de l’humanité, i Sans doute, il ne faut pas attribuer à une conviction profonde de belles professions de foi répandues dans VEsprit des lois : la crainte de la censure devait les avoir inspirées ; ce n’est pas non plus à la valeur de vérité du christianisme, mais à sa force morale dans les sociétés, que Montesquieu rend hommage et toutes les affirmations sont loin, on le verra, d’avoir échappé à la critique orthodoxe, mais, en précisant la phrase de Sainte-Beuve, l’on a pu dire : « De 1722 à 1748, l’attitude religieuse de Montesquieu a subi de notables modifications. Agressive, elle est devenue respectueuse ; ironique, elle s’achemine vers la bienveillance et la sympathie, avec un plus grand esprit d’impartialité. » Dedieu, Montesquieu, p. 306.

Il étudie particulièrement le rôle social du christianisme dans les 1. XXIV et XXV. Ils sont très différents d’esprit. Le XXIV-, inspiré des écrits de Warburton, est plus favorable ; le suivant l’est beaucoup moins : il s’inspire du libre-penseur anglais Bernard Maudeville.dont les œuvres avaient été traduites en français en 1722. Cf. Gérard Varet, Montesquieu et le rôle social de la religion, dans la Revue bourguignonne de renseignement supérieur, 1901 ;.1. Carayon. Essai sur les rapports du pouvoir politique et du senti ment religieux chez Montesquieu, in-S", Paris, 1903.

Si les Lettres persanes attaquent la religion, ici. se séparant de Hayle et de tous les philosophes, Montesquieu écrit : « C’est mal raisonner contre la religion de rassembler dans un grand ouvrage une

longue énumération des maux qu’elle a produits, si

l’on ne fait de même drs biens qu’elle a faits I XXIV, C.U ; et l’on connaît la pensée souvent citée :