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MONTANISME
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secte, qui n’y avait jamais été considérable, ne tarda pas à disparaître. Elle ne devait d’ailleurs exercer d’influence en Occident qu’à Carthage, et grâce à la conquête qu’elle y fit dans la personne de Tertullien.

lit. Tertullien et le montanisme. — - L’évolution religieuse de Tertullien pose une série de problèmes qu’il n’est pas facile de résoudre. Le seul que nous ayons à examiner ici est celui de ses relations avec le montanisme : comment Tertullien connut-il la nouvelle prophétie ? dans quelle mesure, l’ayant connue, s’y attacha-t-il ? et faut-il voir en lui, l’interprète autorisé des doctrines cataphrygiennes ?

Il est du moins fort vraisemblable qu’il y avait dès la fin du second siècle, ou les premières années du m’siècle, quelques montanistes à Carthage. Nous en avons trouvé à Rome, où ils se groupaient autour de Proclus. Leur présence à Carthage peut être tenue pour certaine, bien que nous ne sachions rien de leur enseignement ni de leur organisation. Les premiers ouvrages de Tertullien — les plus anciens remontent à l’année 197 — ne mentionnent pas les montanistes, soit que l’écrivain ne les ait pas connus, soit qu’il ne les ait pas jugés dangereux pour la grande Église. Leur symbole d’ailleurs était le même que celui des catholiques, De virgin. veland., 1 ; Advers. Prax., 2 ; leur vie morale, bien que plus austère que celle de beaucoup de fidèles, n’était pas si extraordinaire qu’elle attirât nécessairement l’attention ; et comme sans doute les montanistes de Carthage étaient beaucoup plus calmes que ceux de Phrygie, comme leurs visions ou leurs oracles ne s’accompagnaient pas de phénomènes inquiétants ou étranges, il était facile de passer à côté d’eux sans les connaître. Il n’est même pas assuré qu’ils aient encore formé un groupe indépendant comme le faisaient sûrement les marcionites ou les valentiniens : ils gardaient du catholicisme tout le contenu positif ; ils prétendaient seulement y ajouter ce qu’ils devaient à leurs révélations personnelles.

C’est aux environs de 206-208 que l’on fait généralement remonter les débuts de l’évolution de Tertullien vers le montanisme. En réalité, les ouvrages écrits à partir de ce moment marquent des tendances ascétiques de plus en plus définies, et un mécontentement croissant à l’égard de certaines tolérances acceptées par l’Eglise ; mais on ne saurait affirmer qu’ils expriment des idées d’inspiration exclusivement niontaniste. Par tempérament, Tertullien est lui-même un exalté ; il va d’instinct à l’extrême limite de ses théories ; et ses exagérations sont déjà sensibles dans ses premiers ouvrages. Le De spectaculis par exemple remonte aux environs de l’an 200 : qu’on n’aille pas croire qu’il fait des concessions à l’esprit du siècle ; il interdit aux chrétiens tous les spectacles quels qu’ils soient, sans faire aucune distinction. La seule compensation qu’il réserve à ceux qui se conformeront à ses prescriptions, c’est le spectacle de la fin du monde, la venue du Seigneur avec ses anges, le jugement des bons et des méchants, la Jérusalem nouvelle, Despect., 30, édit. Reifïerscheid-Wissowa, p. 28. Il n’emprunte d’ailleurs pas au montanisme cet espoir d’une Jérusalem céleste qui recevra les élus, il a pu le trouver dans l’Apocalypse, dans saint Justin, dans saint Irénéc ; une telle attente était fort répandue aux environs de 200 ; il était naturel que Tertullien la partageât avec un bon nombre de ses contemporains. Le même ouvrage attire l’attention sur l’imminence de la fin du monde, De spect., 29, p. 28 ; et Tertullien est intimement persuadé que la grande catastrophe ne tardera plus, Apohg., xxi, 6 ; De patient., 1 ; De cultu femin., ii, 9 : en cela encore, il se conforme à une espérance fort répandue de son temps, et que partageront pinson moins tous les siècles chrétiens. Au plus

est-il possible de découvrir dans l’âme du fougueux Africain des orientations, plus ou moins conscientes, vers le montanisme..Mais il ne semble pas lui avoir positivement emprunté les éléments de ses doctrines morales, même des plus austères.

Vers 213 seulement, Tertullien rompt de manière ouverte avec le catholicisme. A ce moment aussi, il se décide pour le montanisme. Les importants tableaux dressés avec tant de soin par P. de Labriolle, La crise monianiste, p. 323, 358, 399-400, 360-361, sont caractéristiques à cet égard. Il commence à parler de la nouvelle prophétie dans VAdversus Marcionem, iii, 24 ; iv, 22, dont nous ne possédons plus que la troisième édition écrite après la rupture. C’est aussi après son apostasie qu’il invoque l’autorité des prophètes montanistes : Montan, Priscilla et Maximilla, De jejun., 1 ; Montan, Prisca et Maximilla, Adu. Prax., 1 ; Montan, De jejun., 12 ; Prisca, De exhort. castit., 10 ; De resur. carn., 11 ; qu’il oppose triomphalement « nos » usages, « notre » foi, « nos » stations, <i notre «  garant etc., à «  « vos » Églises, « votre » évêque d’Utique, etc., cf. Adv. Marc., i, 29 ; iii, 24 ; iv, 22 ; De fuga, 2 ; De anim., 9 ; De jejun., 10, 12, 13, 14, 17 ; De monog., 1, 4, 7, 12, 15 ; De pudicit., 1, 3, 4, 9, 10, 19. Jusque-là, il pouvait bien s’écarter peu à peu de la pratique ecclésiastique, tomber dans des outrances de langage qui devaient lui attirer des reproches de la part des autorités, aussi bien qu’une invincible défiance de la part des fidèles. Rien de tout cela ne lui venait par le canal de la nouvelle prophétie. Il se contentait de suivre les pentes naturelles de son esprit exalté, de son caractère indomptable, pour prêcher, sans se détourner à droite ni à gauche, ce qu’il regardait comme la vérité.

Aussi semble-t-il plus exact de parler d’une rencontre de Tertullien avec le montanisme que d’une conversion proprement dite. Tertullien était trop orgueilleux pour accepter une contrainte ; ce qui dut le séduire dans le montanisme, c’était précisément la place laissée aux initiatives individuelles, soi-disant poussées par les révélations du Paraclet. N’était-ce pas une bonne fortune, pour un esprit aussi libre que le sien, de trouver une doctrine, qui, tout en professant le respect le plus entier pour la règle de foi en usage dans la grande Église, prônait les droits de la révélation privée et donnait la première place aux prophètes ? A côté des spirituels ainsi favorisés, quelle pauvreté n’était pas celle des psychiques ? Rien de plus curieux en ce sens que le respect avec lequel il cite les oracles montanistes : « Il y a aujourd’hui parmi nous, écrit-il dans le De anima, 9, une sœur qui a reçu en partage le charisme des révélations. Elle les subit dans l’église au cours des solennités dominicales, en extase, sous l’influence de l’Esprit. Elle converse avec les anges, parfois même avec le Seigneur ; elle voit, elle entend les vérités mystérieuses ; elle lit dans le cœur de quelques-uns, et elle procure des remèdes à ceux qui en ont besoin. Soit qu’on lise lis Écritures ou qu’on chante les psaumes, ou qu’on adresse des allocutions, ou qu’on olTre des prières, chaque exercice fournit matière à ses visions. Il nous était arrivé de tenir, je ne sais quel discours sur l’âme, pendant que cette sœur était sous l’influence de l’Esprit. Une fois la solennité terminée, quand le peuple eut été congédié, fidèle à son habitude de nous annoncer ce qu’elle a vu - car on a grand soin de classer ses révélations pour les mieux authentiquer - - elle nous dit : « Entre autres spectacles, une âme s’est montrée à moi corporclleinent. Elle paraissait être esprit, mais non dépourvue de consistance et de forme ; bien au con1 1 aire, telle qu’elle était, elle semblait susceptible d’elle saisie, tendre, lumineuse, couleur d’azur et de tonne huile pareille à celle du corps humain. Telle fut sa