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MONTA NISME


fiques aux Églises d’Asie, sans favoriser le montanisme, tout comme, une vingtaine d’années plus tard, elle interviendra en faveur de la paix dans la controverse pascale, tout en pratiquant elle-même l’usage romain. Quant à l’enthousiasme des martyrs, de Vettius Epagathus en particulier, dont la lettre dit qu’il bouillonnait de l’Esprit, Eusèbe, H. E., V, i, 9, et qu’il mérita le nom de Paraclet des chrétiens, ld., V, i, 10, il s’associe avec une tranquille possession de soi, avec une entière maîtrise de la raison, que ne possédaient pas les extatiques phrygiens. Il est vrai que les confesseurs lyonnais font preuve, au milieu des pires souffrances, d’un admirable courage : il n’y a rien là qui soit spécifiquement montaniste, et qui nous autorise à croire que l’Église de Lyon s’était laissée convaincre par des disciples de Montan.

Du moins, et cela est très important, connaissait-elle leur prédication, et le trouble dont ils étaient la cause. Aussi n’hésite-t-elle pas à intervenir, en s’adressant à la fois aux communautés asiates et phrygiennes, dans lesquelles sévissait l’esprit d’erreur et au pape Éleuthère, chargé, par ses hautes fonctions, de la surveillance et de la direction de toutes les Églises.

Sans doute l’Église romaine n’avait-elle pas attendu la lettre des chrétiens de Lyon à saint Éleuthère pour se préoccuper du montanisme. Au témoignage, assez suspect, il est vrai, du Pnedeslinalus, i, 26, édit. Œhler, Corp. hæresed., t. i, p. 241, le pape Soter (166-174) aurait déjà rédigé un ouvrage contre les Cataphrygiens, c’est-à-dire contre les montanistes. Même si Soter n’a pas écrit ce livre, il n’a pu ignorer les événements dont la Phrygie était précisément le théâtre sous son pontificat. Les relations étaient trop fréquentes entre Rome et l’Asie pour qu’une telle ignorance fût possible. Nous n’avons cependant que des renseignements très vagues sur les premières réactions de l’Église romaine à l’égard du montanisme, et ces renseignements, dus à VAdversus Praxean de Tertullien, un ouvrage rédigé après que son auteur eut rompu avec l’Église catholique, doivent être interprétés avec la plus grande circonspection. Voir ce texte à l’art. Monarchianisme, col. 2197.

La première question qui se pose est celle du moment où l’asiate Praxéas est arrivé à Rome. Lorsque Tertullien écrivait son livre, après 213, Praxéas était encore un hérétique tout récent, un contemporain ; mais il avait eu le temps, après avoir enseigné à Rome, de venir à Carthage, jeter sa mauvaise semence. Il pouvait y avoir quinze à vingt ans qu’il avait opéré à Rome. Le pape qu’il y avait converti à ses idées était, au dire de Tertullien, disposé à reconnaître la nouvelle prophétie, contrairement à l’exemple de ses prédécesseurs. Pour expliquer ce pluriel, il faut au moins deux pontifes qui aient eu le temps de prendre position à l’égard du montanisme. Comme Montan a commencé à prêcher sous Soter, celui-ci est chronologiquement le premier de ceux à qui’nous puissions penser. Éleuthère, son successeur, est le second. Ce sera donc sous l’épiscopat de Victor que Praxéas est arrivé à Rome, et ce sera Victor qu’il a retourné de si belle manière. Cf. G. Esser, Wer war Praxéas ? Bonn, 1910, p. 24 ; G. La Piaha, The roman Church at Ihe end of the second century, dans The Harvard Iheological rcuiew, 1925, t. xviii, p. 245, n. 48. Les arguments mis en avant par P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 273-275, pour préférer le nom de Zéphyrin à celui de Victor n’ont rien de décisif.

Que faut-il penser maintenant de l’attitude que Tertullien prête aux pontifes romains dans l’affaire du montanisme ? S’il faut l’en croire, Soter et Éleuthère. auraient officiellement blâmé le montanisme, et Praxéas aurait pu faire valoir au pape Victor l’attitude de ses prédécesseurs. Cela n’a rien que de vrai semblable. Nous ne savons rien de Soter ; mais la mission remplie par saint Irénée auprès de saint Éleuthère avait pour but d’amener le pape à une décision ferme. Ce que désirait Irénée, ce que devait aussi souhaiter Éleuthère, c’était la paix des Églises : comment la paix était-elle possible aussi longtemps que les communautés étaient troublées par les extases des nouveaux prophètes’.'. Nous pouvons donc être assurés que, dès le début, Rome a pris parti contre le montanisme.

Mais alors, il faut expliquer la volte-face que Tertullien attribue à Victor, sous l’influence de Praxéas. A l’inverse de ses prédécesseurs, Victor aurait été disposé à reconnaître les montanistes et à leur envoyer des lettres de paix. On admet généralement que ces lettres étaient destinées aux Églises d’Asie et de Phrygie, et quelques historiens ajoutent qu’elles devaient assurer à Victor de précieuses alliances, dans la lutte qu’il avait entreprise contre les évêques d’Asie au sujet de la date de Pâques. Ce dernier argument n’a pas grande valeur ; il est même plus probable que Victor n’avait en vue que les montanistes romains, et que c’est à eux seulement qu’il destinait ses lettres de communion. En Asie, les hérétiques étaient déjà trop compromis ; à Rome au contraire, leurs extases, leurs attitudes extraordinaires étaient plus rares, et ce qui les distinguait de l’ensemble des fidèles était surtout une morale plus austère ; il était donc facile de s’y tromper. Mais Praxéas, qui arrivait d’Asie, ne pouvait pas être dupe ; sous leurs apparences vertueuses, il eut tôt fait de démasquer les montanistes romains, et tôt fait aussi de persuader Victor de la nécessité d’une condamnation. Cf. G. La Piana, loc. cit., p. 248, n. 51.

Malgré cette condamnation, un groupe montaniste continua à subsister à Rome après la mort de Victor. Durant les premières années du in c siècle, il avait pour chefs Eschine et Procius : Eusèbe signale à deux reprises ce dernier comme le président de la secte cataphrygienne, H, E., II, xxv, 6, et le champion de l’hérésie cataphrygienne, H. E., VI, xx, 3. Ce Procius jouissait de son temps même d’une grande autorité, à en juger par la vénération avec laquelle Tertullien parle de lui, Advers. Valent., 5, édit. Kroymann, p. 182 : Proculus noster, virginis senectw et ehristianæ eloguentiæ dignitas. Nous ne savons d’ailleurs rien d’autre sur son compte, sinon qu’il fut pris à partie, sous le pontificat de saint Zéphyrin, par un prêtre romain du nom de Caïus, qui en fit le personnage d’un dialogue après avoir eu peut-être avec lui une discussion orale, Eusèbe, H. E., III, xxi, 4 ; VI, xx, 3. Caïus était, semble-t-il, un esprit extrêmement audacieux : il niait l’authenticité du quatrième Évangile, et celle de l’Apocalypse, dont il attribuait la composition à Cérinthe, Denys Bar Salibi, Comm. in Apocal., trad. I. Sedlacek, Rome-Paris-Leipzig, 1910, p. 1 ; en faisant ainsi, il voulait sans doute retirer aux montanistes le bénéfice des arguments qu’ils empruntaient à ces ouvrages : l’Évangile leur apportant avec la promesse du Paraclet une garantie en faveur de leurs prophètes, et l’Apocalypse leur annonçant la venue de la Jérusalem céleste. Caïus fut réfuté par Hippolyte, dans des Capita, dont Denys Bar Salibi a transcrit quelques fragments : il est le premier écrivain qui nous apprenne l’usage des écrits johanniques par les montanistes ; il est aussi le seul représentant connu des hétérodoxes que saint Épiphane appelle du nom d’aloges. Cf. A. Bludau, Die ersten Gegner der Johannes-Schriften, dans les Biblische Studien, t. xxii, fasc. 1-2, Fribourg-en-B. , 1925, p. 40-73, 220-230, et l’article Aloges.

Après Procius, nous n’entendons plus parler du montanisme à Rome. Il est vraisemblable que la