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MONTALEMBERT


unique de James Forbes des comtes de Gramard, Charles fut élevé jusqu’à neuf ans par cet aïeul, homme de haute culture, imbu de toutes les traditions du libéralisme anglais et protestant austère. De lui Montalembert apprit à aimer par-dessus tout Dieu et la liberté. Son grand-père eût voulu lui réserver le droit de choisir, à vingt ans, entre la religion de son père et celle de sa mère. Mais, en 1819, le comte, revenu en France avec Louis XVIII et nommé ministre plénipotentiaire à Stuttgard, rappela son fils et, afin de l’élever « en français », le mit une année pensionnaire au lycée Bourbon, 1819-1820 ; puis, devant la souffrance de l’enfant dans cette vie nouvelle, il le garda à Stuttgard jusqu’au moment où, créé pair de France, il revint à Paris.

En mars 1822, Mme de Montalembert abjurait le protestantisme ; en 1823, Charles faisait sa première communion ; déjà, il ne séparait plus Dieu de l’Église catholique. En octobre 1827, après avoir travaillé plusieurs années avec des maîtres particuliers, il devenait pour deux ans élève à Sainte-Barbe. Libéral mais catholique, il eut beaucoup à souffrir de ses condisciples, presque tous libéraux, mais à la mode du temps, c’est-à-dire hostiles aux Bourbons et voltairiens. Il commence alors de précieuses relations ; pendant ses vacances de 1827, il est, à la Roche-Guyon, l’hôte du futur cardinal de Rohan qu’en des circonstances tragiques il retrouvera plus tard à Rome. Cf. Baille, Le cardinal de Rohan-Chabot, in-8°, Paris, 1904, p. 175 sq.

Ses études terminées, en août 1828, il rejoint son père à Stockholm, préoccupé de ce problème : pourquoi l’Église, soutenue par le pouvoir, est-elle impopulaire ? comment la réconcilier avec le peuple ? avec le monde intellectuel ? et hanté d’apostolat. Pour l’apostolat, il lui faut se former encore. A Stockholm, il étudie donc les institutions et les hommes puis, alors que Cousin l’oriente vers Kant, il connaît par un abbé Studach V École de Munich, qui entend mettre l’histoire et la philosophie au service du christianisme, et réconcilier celui-ci avec la pensée moderne : il abandonne Kant pour étudier Schelling, Zimmer, Baader.

En 1829, il revient en France où -meurt sa sœur, suit à Paris les cours de Cousin, Jouffroy, Guizot et aussi de Villemain qui ne lui plaît guère, entre en relations avec Michelet, Vigny, Sainte-Beuve, Lamartine et surtout Victor Hugo ; il est « dans le romantisme ». Cf. P. de Lallemand, Montalembert et ses amis dans le romantisme, 1830-1840, in-8°, Paris, 1927. Il donne à la Revue française, mai 1830, que dirigent Guizot, de Broglie, de Barante, un article : De la liberté constitutionnelle en Suède et de la diète de 1822 à 1830. Cf. Œuvres de Montalembert, 9 in-8°, Paris, 1860-1868, t. iv, p. 3, et entre au premier Correspondant qui a fait sienne la devise de Caming. Enfin, à la veille de la révolution de Juillet, il gagne l’Angleterre pour de là visiter l’Irlande et O’Connell.

La révolution de 1830, à laquelle il applaudit d’abord puisqu’elle s’est faite au nom de la Charte et de la liberté, mais que bientôt il jugera sévèrement, le spectacle de l’Irlande catholique d^autre part, lui fournissent la solution des problèmes qui le préoccupent : Si l’Église est impopulaire en France, c’est qu’elle y a lié sa cause à celle des Bourbons : elle a été compromise par leurs fautes ; si elle est puissante en Irlande, c’est qu’elle y est comme le peuple, séparée du pouvoir, pauvre, proche de lui.

Or, au même moment paraissait le prospectus de l’Avenir ; Lamennais appelait à lui les hommes épris d’amour pour Dieu et pour la liberté. Le 4 novembre 1830, Montalembert rentrait à Paris ; le 5, il voyait Lamennais ; le 12, chez Lamennais, il rencontrait Lacordaire. I.acordaire et lui devenaient ainsi

les collaborateurs de l’Avenir. Montalembert avait alors vingt ans. Sur cette période, cf. Bucaille, Quelques années de la jeunesse de Montalembert, in-8°, Paris, 1911.

IL Montalembert aux côtés de Lamennais (1830-1834). — Tel était l’ascendant du Lamennais de 1830, « le Maître », que jamais les deux disciples ne s’opposèrent sur un seul point à son rêve. Il y avait plus d’affinité toutefois entre Montalembert et lui, bien qu’il dût s’acheminer vite vers l’idée républicaine et démocratique, et que Montalembert fût monarchiste et crût à l’efficacité d’une aristocratie pour le bien d’une nation, qu’entre Lacordaire et lui, bien que Lacordaire crût à la vertu et à la mission quasi divine de la démocratie. Sur ce point, d’autre part, Montalembert et Lacordaire ne cessèrent de différer.

Montalembert aux côtés de Lamennais, mena courageusement la lutte pour l’affranchissement de l’Église et des peuples, et pour la réconciliation de l’Église et des peuples dans la liberté. Cf. Libéralisme catholique, t. ix, col. 526 sq. Il collabore à l’Avenir et en même temps au Correspondant. Il voudrait bien unir les deux revues, mais Lamennais qui n’admet pas la modération du Correspondant s’y oppose et Montalembert cède, persuadé que Lamennais « seul peut faire quelque chose de valable pour le catholicisme », Lettre du 24 novembre 1830, citée par Lecanuet, Montalembert, 1. 1, p. 141, n. 1, Le Correspondant devait bientôt disparaître provisoirement.

Comme de juste, il est membre de l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse, dont l’Avenir publie les statuts le 18 décembre 1830 ; il est même du conseil des sept qui la dirige. Il en attend, en France et au dehors, les résultats de l’Association catholique irlandaise. C’est comme membre de l’Agence qu’avec Lacordaire et de Coux, il ouvre à Paris « l’école libre », le 10 mai 1831. On sait le procès auquel cette école donna lieu, cf. Libéralisme, col. 567 sq., et comment ce procès aboutit finalement, les 19 et 20 septembre, à la cour des pairs où Montalembert venait d’entrer - - sans avoir cependant le droit de siéger, vu son jeune âge — par la mort de son père, 20 juin. Ce fut pour Montalembert l’occasion d’un magnifique discours devant les pairs étonnés. Cf. Articles de l’Avenir, 7 in-8°, Louyain, 1831, n. 339, 20 septembre 1831, Procès de l’école libre, Cour des pairs, t. vi, p. 256-257, et n. 341, 21 septembre ; Cour des Pairs, Procès, le discours de Montalembert, t. vi, p. 263 sq. On trouve également ce discours, Œuvres, t.i, p. 1.

Vers ce moment, l’Agence générale qui veut intensifier son action, partage la France et les pays étran gers qui l’intéressent, en trois régions : à Montalembert échoient le Midi de la France et au dehors l’Allemagne et l’Irlande. Il achevait une heureuse tournée de propagande dans le Sud-Est, lorsque, devant l’opposition de l’épiscopat français, l’Avenir suspendit sa publication et sollicita le jugement de Rome. Cf. Suspension de V « Avenir », n. 395, 15 novembre 1831, loc. cit., t. vii, p. 145 sq.

Il fut l’un des trois « pèlerins de Dieu et de la liberté ». Leur démarche était imprudente. Une Déclaration présentée au Saint-Siège par les rédacteurs de V « Avenir » le 3 février 1832, n. 113, 6 février 1832, ibid., t. ut, p. 457-478, pour parer à un mécontentement, était demeurée sans réponse. A Rome, ils eurent un autre tort, celui d’insister. Visiblement, Rome voulait garder le silence afin de n’avoir pas à condamner ; l’audience du 13 mars, que leurobtint, par égard pour -Montalembert, le cardinal de Rohan, fut un « blâme muet. Lacordaire le comprit et reprit le lendemain le chemin de la France. Lamennais s’obstina et Mon-