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MONOPHYSISME, SECTES DÉRIVÉES


d’une manière abstraite et universelle, est considérée par les philosophes comme commune à tous les individus humains, à toutes les personnes humaines. Mais c’est là une manière de parler humaine, une abstraction de notre esprit. Dans la réalité, la nature divine, loin d’être universelle, ou même répétée trois fois en trois personnes est essentiellement concrète et unique et personnelle, car elle s’identifie réellement avec chacune des personnes divines : Le Père, c’est la nature divine avec un mode spécial d’exister, Tpo7roç Û71 : âpt ; ecoç ; le Fils, c’est la même unique nature divine avec un autre mode spécial d’existence ; le Saint-Esprit, c’est la même nature divine avec un autre mode d’existence : les trois sont une même nature divine ; la nature divine est les trois : Dieu, c’est le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Dans la réalité, on peut donc dire, et l’on doit dire : la cpûatç divine est non seulement hyposlase, personne, mais elle est trois fois hypostase, personne ; ou mieux : elle est trois personnes. Le principe posé par Philopon : que toute cpûatç concrète et réellement existante est nécessairement personnelle, hypostase se réalise donc surabondamment dans la Trinité, si l’on se place sur le terrain de la réalité, et si l’on renonce au mode de parler abstrait, reçu depuis longtemps dans l’Église et conforme au langage commun. Le langage commun est celui-ci : Il y a en Dieu une seule natur et trois personnes réellement distinctes entre elles. Le langage de la réalité serait celui-ci : Dieu (ou la nature divine concrète et réellement existante comme telle) est trois personnes ou : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Asquçnagès, Philopon et leurs disciples, par procédé polémique et pour établir le postulat du monophysisme que toute cpûatç est aussi ÛTCÔOTaaiç, et que ces termes sont équivalents, abandonnent le langage communément reçu, qui est le langage abstrait, et adoptent le langage concret, celui de la réalité : Ils disent : Dieu est trois personnes. Le Père est la cpûatç divine, et il est hypostase. Le Fils est la cpûatç divine, et il est hypostase. Le Saint-Esprit est la cpûatç divine, et il est hypostase. Dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, cpûatç et Û7roaTaatç se confondent donc et ne sont pas réellement distinctes. Les novateurs vont plus loin : adoptant la terminologie aristotélicienne, d’après laquelle les mots : jveptxT] ouata, cpûatç et Û7roaTaatç sont synonymes, ils diront indifféremment : Dieu est Tpeïç ^teptxal ouatai, ^toi <pûaetç, 7)youv Û710arâaetç. Mais en usant de cette terminologie, ils se garderont bien d’enseigner que l’ouata ou cpûatç divine est répétée trois fois dans chaque personne divine, comme la nature humaine abstraite et universelle, la xoivyj oûala d’Aristote, est répétée autant de fois qu’il y a d’individus humains. Ils maintiennent énergiquement l’unicité de la cpûatç divine et ne supportent pas qu’on dise qu’il y a trois dieux ou trois divinités. Ils n’ignorent pas le procédé d’abstraction par lequel l’Église est arrivée à la formule : une nature divine et trois personnes. Philopon écrit : « L’unique nature de la divinité qu’est-elle autre chose que la notion commune de la nature divine, considérée en elle-même et séparée par une opération de l’esprit de la propriété de chaque hypostase ? Tî yàp àv e’iY) ji.ta cpûatç Ôeôttjtoç tj ô xotvàç "rrjç Getaç cpûaewç Xoyoç, aûxoç xaO’éauTOv Ostopoûptevoç, xal tïj èrrtvoîa -rrjç éxâar/jç ÛTtoaTaæcoç ïSigt7)toç xeycjpta[iévoç ; » S. Jean Damascène, loc. cit., col. 748 (extrait du Disetetès). Mais cette unique nature divine, séparée ainsi par la pensée de chaque personne, n’existe pas comme telle dans la réalité. Elle s’identifie en fait avec chaque personne divine. Elle est hypostase en chacune d’elle. Elle est trois fois hypostase tout en restant unique. Que ce soit bien là la véritable pensée de Philopon, c’est ce qui ressort du court résumé que donne de sa doctrine le prêtre Timothée de Cons DICT. DE THÉOL. CATHOL.

tantinople : « Us confessent, dit-il, que chacun de la Trinité, c’est-à-dire le Père, le Fils et le Saint-Esprit est Dieu en vérité, et essence et nature ; que Ja Trinité est trois hypostases et trois personnes ; ils disent encore que la Trinité est trois ousies et cpûaetç numériquement distinctes, absolument semblables quant à la divinité. Us confessent également que la sainte et consubstantielle Trinité est une seule essence ou nature ou divinité ou un seul Dieu, non par le nombre (comme si cette divinité était multipliée en chaque personne), mais par l’immuable identité de la divinité. Mais ils évitent de dire trois dieux ou trois divinités ; ’0(i.oXoyoûat 0eôv eïvat xa-rà àX7)0etav, xal oûatav, xal cpûatv ëxaaTOv, tov IlaTspa Xéyto, xal tov Tiûv, xal t6 àytov Ilveûjjta, Tpeïç Û7roaTaætç ttjv àyîav TptâSa xal Tpta 7rp6aa>7ta - en u.7]v xal Tpeïç xtvaç tcô àp10fi.ç> oûataç xal cpoætç ïaaç à7TapaXXàxTcoç xarà tyjv ÔeoTTjTa XéyovTEç. Mtàv Se oûatav’/îyouv cpûatv, xal (Jtîav 6e6T7]Ta Tjyoov 0eôv ttjv àylav xal ôfzooûatov TptâSa 0^10X0yoôatv oûx àpt0(jt<îi, àXXaTy) àTcapaXXâxTO) -rrjç 6e6ty)toç TaÛTOT7)Ti. Tpeïç Se Œoùç ꝟ. 0eÛTT)xaç Xeyetv roxpai-Toùvxat. » Timothée, op. cit., col. 61.

Il est évident, d’après ce texte, que le trithéisme de Philopon et de ses disciples était purement verbal. L’innovation consistait à faire remarquer qu’au point de vue concret, la cpûatç divine était aussi hypostase et personne, et à employer la terminologie aristotélicienne pour désigner chaque personne divine ; à dire que chacune d’elles considérée concrètement était une ouata ptepixT), une cpûatç, une Û7t6aTaatç, un 7rp6aco7rov. C’est en prenant les mots ouata et cpûatç au sens abstrait, qui était le sens de ces mots dans les formules reçues par l’Église, qu’on a pu accuser les philoponiens de trithéisme réel. Mais ils s’en défendaient énergiquement, et ils se tournaient vers les chalcédoniens avec un air de triomphe : « Vous voyez bien que, même dans la Trinité, si vous voulez vous placer sur le terrain de la réalité et abandonner ce qui est fiction de l’esprit, la cpûatç divine est personnelle et trois fois personnelle ; que chaque personne divine est à la fois cpûatç et ûrcoaTaatç, puisque dans la réalité chaque personne s’identifie avec la nature divine. Le concile de Chalcédoine a donc tort en donnant un sens différent à cpûatç et à ÛTroaxaaiç, en affirmant dans le Christ une hypostase et deux cpûaetç. Au sens concret et réel, il n’y a dans le Christ qu’une seule cpûatç, qui est aussi ÛTrdaTaatç ou personne, à savoir l’unique cpûatç ou Û7r6axaatç de Dieu le Verbe, qui s’est incarné, fiia cpûatç xoû 0eoû Aûyou aeaapxw|iévirj. Si vous voulez poser dans le Christ deux cpûaetç, vous devez nécessairement reconnaître aussi en lui deux hypostases, et vous êtes, nestoriens. Ou bien, il ne vous reste qu’à dire que le Verbe s’est uni à la nature humaine universelle et abstraite, commune à chaque individu humain, à ce qu’Aristote appelle la xoivyj ouata. Mais alors, la nature humaine du Christ n’est qu’une abstraction sans consistance, une cpûatç àvuTroararoç, une vraie chimère de l’esprit philosophique. Ce n’est plus une nature individuelle, une ouata |i.epixrj. Si vous lui ajoutez les caractères distinctifs, les notes individuantes qui font l’individu et l’hypostase d’après saint Basile lui-même, vous avez alors une cpûatç, qui est aussi hypostase, et vous voilà de nouveau acculés au nestorianisme. Il n’y a qu’un moyen de sortir de cette impasse : c’est de confesser avec nous une seule cpûatç et Û7rôaTaatç du Verbe incarné. »

On sait ce que répondirent les théologiens catholiques à Philopon et à ceux de son école : sans contester qu’en Dieu chaque personne s’identifie réellement avec la nature divine, ce qui est le dogme catholique, ils firent remarquer le sophisme par rapport à la nature humaine du Christ. Ils approfondirent la notion de personnalité et complétèrent la notion superficielle

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