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MONARCHIANISME, A ROME, AU IIIe SIÈCLE


devaient avant tout maintenir la tradition. Cf. J. Lebreton, Le désaccord de la foi populaire et de la théologie savante dans l’Église chrétienne du IIIe siècle, dans Revue d’histoire ecclésiastique, 1923, t. xix, p. 481-506.

Au pape Zéphyrin, Hippolyte ne craint même pas d’attribuer une profession de foi qu’il trouve nettement monarchienne : » En public, il déclarait : Je connais un seul Dieu, le Christ Jésus, et hors de lui aucun autre qui soit nascible et passible. D’autre fois il disait : Ce n’est pas le Père qui est mort, mais le Fils. » Philosoph., IX, xi, 3, p. 246. A vrai dire, on peut porter un jugement moins sévère sur cette formule. La foi de Zéphyrin s’exprime par deux thèses qu’Hippolyte sépare l’une de l’autre, mais qui sont également indispensables l’une et l’autre. La seconde tout au moins est strictement orthodoxe et traduit l’opinion commune : ce n’est pas le Père qui est mort, mais le Fils ; et la première doit être lue à la lumière de l’autre : elle affirme surtout la divinité du Christ, en termes qui ne sont peut-être pas très heureux, mais qui sont vrais : en dehors du Christ, il n’y a pas d’autre Dieu qui soit nascible et passible. Lors donc que Harnack voit dans la profession de Zéphyrin une formule d’un modalisme extrême et farouche, lorsqu’il déclare que ce décret interdit de spéculer non seulement sur le Pneuma et le Logos, mais, bien plus, même sur le Fils ; lorsqu’il affirme que ce fut un effort un peu naïf pour restreindre le problème de Dieu au Christ historique, A. von Harnack, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1923, p. 51-57, il se méprend sur la vraie portée des expressions attribuées à Zéphyrin. Ces expressions rejettent sans aucun doute les spéculations aventureuses des apologistes et de leurs successeurs : le pape devait médiocrement goûter les théories savantes d’Hippolyte. Mais elles contiennent l’essentiel de la foi populaire : la divinité du Christ et l’attribution au seul Christ de l’incarnation et de la passion.

D’ailleurs, il n’est pas même assuré que la formule attribuée à saint Zéphyrin lui appartienne véritablement. Dom Capelle a mis en relief l’étrange parallélisme qui existe entre cette formule et celle que No et aurait tenté de justifier devant les presbytres de Smyrne, et il conclut : « Il paraît évident que Zéphyrin n’a pas prononcé la phrase qu’on lui prête. Non qu’Hippolyte ait menti. Le pape a dû formuler une déclaration blâmant les excès de la théologie de l’oîxovo(xîa, peut-être a-t-il rejeté le terme ërepoç 0e6ç. Hippolyte, qui identifiait l’orthodoxie avec son système, en aura conclu que Zéphyrin avait parlé en modaliste, disciple de Noët. C’est probablement tout ce qu’il a voulu dire en mettant dans la bouche du pape la formule même de l’hérésiarque. Si Hippolyte ne savait pas au juste quels termes avait employés Zéphyrin, le procédé n’est pas calomnieux. Il est certes parfaitement discourtois, mais ce pamphlétaire n’y regardait pas de si près. » Art. cit., p. 329.

Vers la fin du pontificat de Zéphyrin, un nouveau personnage entre en scène dans le camp modaliste, dont le nom tout au moins était destiné à une remarquable fortune, il s’agit de Sabellius. Hippolyte l’introduit dans le récit des Philosophoumena comme si tout le monde le connaissait bien de son temps, sans se croire obligé de rappeler ses origines. Plusieurs écrivains du ive siècle, entre autres saint Basile, en font un Africain, ou plus exactement un Libyen, ce qui est possible, car dès le milieu du nie siècle sa doctrine était très répandue dans la Pentapole et donnait beaucoup de tracas à saint Denys d’Alexandrie. Du moins est-il assuré qu’il n’était pas natif de Rome et qu’il y vint un peu avant 217. Tout de suite, il y prit grande autorité, et donna au modalisme un éclat nouveau. Nous sommes malheureusement mal renseignés sur sa doctrine authentique : nous savons assez bien ce que

disaient ses disciples, et les docteurs du iv c siècle nous font connaître sous le nom de sabellianisme une théorie assez compliquée, qui se rapproche en bien des points de celle que prêcha Marcel d’Ancyre. Comme Hippolyte, son contemporain, ne signale entre son enseignement et celui de Cléomène aucune divergence, il est prudent d’attribuer à ses continuateurs les développements sur lesquels nous aurons à revenir, et d’admettre que Sabellius lui-même se contentait de prêcher à Rome le modalisme sous sa forme la plus simple.

Suivant Hippolyte, Sabellius aurait été en quelque sorte l’âme damnée de Calliste. A plusieurs reprises, il aurait accepté les remontrances que lui adressait Hippolyte lui-même ; mais il lui suffisait d’un tête à tête avec Calliste pour le retourner et l’incliner à nouveau aux idées de Cléomène. Philosoph., IX, xi, p. 245. Cette affirmation est fort peu vraisemblable. Elle doit être mise sur le compte des rancunes qu’Hippolyte gardait contre Calliste. On croira plus simplement que Sabellius resta toujours cohérent avec lui-même, et ne cessa jamais d’opposer une fin de non-recevoir aux théories complaisamment développées par Hippolyte.

Aussi longtemps que dura le pontificat de Zéphyrin, aucune décision ne fut prise ; l’école modaliste, qui reconnaissait maintenant Sabellius pour maître put continuer son enseignement. En face d’elle se dressait l’école dont Hippolyte était le docteur éloquent et écouté. Les deux didascalées, qui n’avaient aucun caractère officiel, s’opposaient l’un à l’autre, tandis que le pape se contentait d’affirmer la doctrine traditionnelle, en proclamant à la fois l’unité de Dieu et la divinité du Christ. Hippolyte aurait désiré davantage, et sans doute multipliait-il les démarches pour obtenir l’excommunication de Sabellius, mais il n’obtint pas la satisfaction dont il était si avide.

Les choses changèrent après la mort de Zéphyrin. Hippolyte espérait recevoir sa succession : n’était-il pas prêtre de l’Église romaine, et le plus savant parmi tous ses docteurs ? Ce fut pourtant Calliste, le confident et l’auxiliaire fidèle du pontife défunt, qui fut élu. Toutes les rancunes de l’ambition déçue s’exhalent encore dans le récit des Philosophoumena. « A la mort de Zéphyrin, raconte saint Hippolyte, Calliste crut toucher au but de son ambition. Il excommunia Sabellius en reprenant sa doctrine, car il avait peur de moi, et sentait le besoin de donner le change aux Églises sur sa propre hétérodoxie. Par ce charlatanisme, le misérable fit en son temps bien des conquêtes. Le cœur plein de venin, l’esprit plein d’idées fausses, n’osant plus dire vrai depuis qu’il nous avait traités publiquement de dithéistes, d’ailleurs en butte aux reproches de Sabellius, qui l’accusait constamment d’avoir trahi sa première foi, il inventa un nouveau système… et ne rougit pas de donner tantôt dans les erreurs de Sabellius, tantôt dans celles de Théodote. A force d’audace, le charlatan se fit une école, et enseigna contre l’Église. » Philosoph., IX, xii, p. 248.

Naturellement ce nouveau récit doit, comme les précédents, être interprété en tenant compte du caractère de son auteur. Hippolyte veut laisser entendre que c’est lui qui représente la doctrine traditionnelle et qui est le chef de l’Église véritable, tandis que son rival n’exerce d’autorité que sur une école. Dans la réalité, les choses étaient exactement inverses. L’élection de Calliste avait causé un tel dépit au docteur le plus en vue de l’Église, que celui-ci s’était séparé avec éclat de la communauté, et avait organisé une église schismatique, analogue à celles des théodotiens, des marcionites, des montanistes et des autres hérétiques. Hippolyte fut-il alors l’objet d’une sentence précise d’excommunication ? Lui-même se garde