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MONARCHIANISME, A ROME AU 1 1 le SIÈCLE


lui. Saint Hippolyte ne le mentionne pas ; et le silence d’Hippolyte a paru si extraordinaire, que de nombreux historiens ont proposé d’identifier Praxéas à l’un des prédicateurs monarchiens, soit Épigone, soit Cléomène, cités dans les Philosophoumena, ou même, par une assimilation vraiment extraordinaire au pape Victor. Cf. G. Esser, Wer war Praxeas ? Bonn, 1910. Il semble cependant que Praxéas est autre chose qu’un nom, et que si Hippolyte n’en dit rien, c’est parce qu’il était uniquement préoccupé des événements romains qui se déroulaient sous ses yeux, lors de la composition des Philosophoumena, et qu’à ce moment Praxéas était déjà trop ancien pour mériter de retenir son attention.

La notice de Tertullien, si incomplète soit-elle, fournit de précieuses indications : … Nam iste primas ex Asia hoc genus perversitatis intulit romanse humo [homo] et alias inquietus, insuper de jactatione martyrii inflatus ob solum et simplex et brève carceris tsedium ; quando, elsi corpus suum tradidisset exurendum, nihil profecisset, dilectionem Dei non habens, cujus charismata quoque expugnavit. Nam idem tune episcopum romanum, agnoscentem jam prophetias Montani, Priscæ, Maximillæ et ex ea agnitione pacem Ecclesiis Asise et Phrygim inferentem, falsa de ipsis prophetis et Ecclesiis eorum adseverando et prsecessorum ejus auctoritates defendendo coegit et lilleras pacis revocare jam emissas et a proposito recipiendorum charismatum concessare. lia duo negotia diaboli Praxeas Romse procuravit : prophetiam expulit et hæresim intulit, Paracletum fugavit et Patrem crucifixit. Advers. Prax., 1, édit. Kroymann, p. 227-228.

Tertullien, on le voit, s’élève contre Praxéas non seulement à cause de ses théories monarchiennes, mais encore à cause de son opposition au montanisme. Il le rend responsable d’avoir empêché le pape de reconnaître officiellement les prophéties des Phrygiens. Malheureusement il ne donne pas le nom du pape qui, après s’être montré favorable au montanisme, se serait ainsi rétracté sous l’influence de Praxéas ; et les historiens ont longuement discuté le problème. Suivant les probabilités, il doit s’agir de Victor ; cf. G. La Piana, The roman Church at the end of the second century, dans The Harvard theological review, 1925, t. xviii, p. 245, n. 48 ; et c’est sous le pontificat de Victor que se place sans doute la prédication de Praxéas à Rome.

On peut ici faire appel, malgré son obscurité, au témoignage du pseudo-Tertullien qui met en rapport l’activité de Praxéas avec les décisions prises par le pape Victor en faveur de l’hérésie : Sed post hos (hserelicos) omnes etiam Praxeas quidam hæresim introduxil quam Viclorinus corroborare curavit. Finale apocryphe du De prsescript., 25, P. L., t. ii, col. 74. Sous le nom de Victorinus, c’est en réalité Victor qui est désigné, tout comme dans le Constitutum Silvestri, document apocryphe du vie siècle, que nous aurons l’occasion de retrouver. Mansi, Concil., t. ii, p. 621. Dans le texte du pseudo-Tertullien, il faut évidemment distinguer le renseignement chronologique qu’il fournit de l’accusation d’hérésie qu’il porte contre Victor. Cette accusation est injustifiée. Les rares documents qui nous parlent de lui font connaître Victor comme un pontife très énergique, très résolu à faire valoir tous ses droits, et très attentif à la défense de la foi. Nous savons en particulier qu’aux environs de 192, et plutôt après cette date, il excommunia solennellement Théodote de Byzance : cet hérétique, installé à Rome, y enseignait que « Jésus n’était qu’un homme, né d’une vierge, qui avait vécu plus religieusement que ses semblables. A son baptême dans le Jourdain, le Christ était descendu en lui sous la figure d’une colombe, et lui avait communiqué les puissances dont

il avait besoin pour remplir sa mission. » J. Tixeront, La théologie anténicéenne, 9° édit., p. 350. Cf. Hippolyte, Philosoph., VII, xxxv, édit. "Wendland, p. 222. Il fut chassé de l’Église par Victor, et ses disciples organisèrent une communauté dissidente, qui, pendant quelque temps eut à sa tête un confesseur du nom de Natalis. Anonyme dans Eusèbe, H. E., V, xxviii, P. G., t. xx, col. 512 sq. Il n’est même pas impossible que la vigueur déployée contre Théodote par le pape Victor explique le jugement du pseudo-Tertullien, et que des esprits inattentifs aient cru voir dans la condamnation de l’adoptianisme théodotien un encouragement, sinon une approbation explicite, du modalisme de Praxéas. On doit en tout cas rappeler que, suivant l’anonyme contre Artémon, « la vérité de la prédication a été gardée jusqu’aux temps de Victor, le treizième évêque de Rome à partir de Pierre, mais que, depuis Zéphyrin, son successeur, elle a été altérée ». Eusèbe, H. E., V, xxviii, 3, P. G., t. xx, col. 512 B. Si obscur que soit ce dernier passage, il laisse du moins entrevoir les difficultés de la situation, qui résultait de la présence à Rome de tant de docteurs hérétiques et des troubles que causait leur enseignement parmi les fidèles.

Il est remarquable en tout cas que Tertullien, notre meilleur témoin dans l’affaire de Praxéas, ne reproche aucune défection sur le terrain du dogme trinitaire au pape qu’il accuse si violemment d’avoir écouté l’hérétique, lorsqu’il s’agissait de condamner la nouvelle prophétie et de mettre en fuite le Paraclet. Son silence sur ce point, dans un livre écrit au plus fort de l’ardeur montaniste du prêtre de Carthage, est de grande valeur. Si Tertullien avait connu une approbation quelconque donnée par le pape au modalisme, il aurait été trop heureux de la faire connaître. Si l’on ne peut donc attribuer à Victor aucune mesure en faveur des opinions trinitaires de Praxéas, il faut reconnaître cependant que la prédication de l’hérétique rencontra le plus grand succès auprès des simples. « On n’entend, écrit Tertullien, que des gens qui parlent de monarchie : « nous tenons la monarchie », ne cesse de répéter la foule ; et à la manière dont elle prononce ce^mot, on voit bien qu’elle le comprend aussi mal qu’elle l’exprime. » Adv. Prax., 3, édit. Kroymann, p. 230.

Peut-être y a-t-il quelque exagération dans ces formules : on estimera volontiers que Tertullien qui tient à sa théorie de l’économie, s’indigne du peu de faveur qu’elle rencontre dans la masse des croyants. Mais il apparaît bien certain que Praxéas obtint des résultats assez sérieux à Rome. Ce qui semble avoir surtout séduit les fidèles dans les doctrines monarchiennes, c’est leur simplicité. Un seul Dieu, tel est le cri de ralliement : quel est le chrétien qui ne le pousserait pas ? « Le vulgaire ne cherche pas à savoir ou à comprendre davantage : il s’effraye de l’économie », déclare Tertullien, Adv. Prax., 3, p. 230. Pourvu qu’on affirme à la fois l’unité de Dieu et la divinité du Christ, on est assuré d’avoir l’oreille des simples.

A y regarder de près, l’enseignement de Praxéas était plus compliqué cependant qu’il ne le paraissait d’abord, et bien fait pour déconcerter les tenants de la doctrine traditionnelle. Car il ne se contentait pas d’affirmer le monothéisme le plus strict ; il s’efforçait d’expliquer, en termes philosophiques, les noms de Père, de Fils et de Saint-Esprit qui étaient fournis par la Sainte-Écriture ; il interprétait aussi les textes évangéliques et s’attachait spécialement au récit de la passion, dont il prenait prétexte pour déclarer que le Père avait souffert ou plus exactement peut-être qu’il avait compati au Christ : d’où le nom de patripassiens que Tertullien donne aux disciples de Praxéas.

L’essentiel de la doctrine de Praxéas, telle que nous la connaissons par Tertullien, peut être ramené aux