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MOLINOS — MONACO


de quiétude, l’abandon des prières vocales, et du culte extérieur. En 1660 et 1664, l’A/p/ia&e/ de Falconi fut traduit en italien. Ces années-là, François Malaval, le laïque aveugle de Marseille (1627-1719) commençait à avoir de l’influence. En 1664, il avait publié sa Pratique facile pour élever l’âme à la contemplation ; à partir de 1669, l’ouvrage parut plusieurs fois en italien. Enfin, à partir de 1673, l’oratorien Pierre Petrucci (1636-1701) fit paraître plusieurs traités quiétistes : La Vergine assunt a ; Meditationi, etc. ; partout, il y enseigne l’oraison de pure foi, où l’intelligence agit au lieu du raisonnement, où se produit l’anéantissement des puissances de l’âme.

Molinos résuma tout ce mouvement et en devint le principal représentant.

Mais ses erreurs étaient subtiles et peu apparentes. Ainsi, il permettait de communier sans se confesser. Mais c’était assez l’usage de la primitive Église et, depuis Pie X, la confession est redevenue d’un usage moins fréquent. De même, nombre de mystiques orthodoxes ont parlé de la contemplation acquise en des termes ressemblant quelque peu aux siens. Voir, par exemple, G. Picard, S. J., La saisie immédiate de Dieu, dans la Revue d’ascétique et de mystique, avril 1923, p. 161. L’un des principaux mérites de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse aurait même été d’avoir mis en lumière « l’importance capitale de cet état d’oraison pour la conduite des âmes ». R. P. Théodore-de-Saint-Joseph, Essai sur l’oraison selon l’école carmélitaine, Bruges, 1923, p. 74 ; voir aussi Revue d’ascétique et de mystique, avril 1924, p. 185. Et l’idée de la corruption intégrale de l’homme est généralement au fond de la mystique du xviie siècle. On s’explique donc mieux la faveur prodigieuse dont vingt ans durant Molinos a pu jouir, dans l’Église entière et notamment au siège même de la doctrine. Ainsi, la déviation venait de son époque autant et plus que de lui-même.

Ces erreurs intellectuelles une fois rétractées, on admettrait donc difficilement qu’elles eussent pu suffire à entraîner les rigueurs dont Molinos et ses partisans continuèrent d’être l’objet. Griefs contre les mœurs de Molinos et des siens, plus encore, relation directe entre leur doctrine et une conduite relâchée, voilà donc quelle dut être la cause capitale de ces rigueurs. A l’endroit de Molinos, ces griefs étaient-ils fondés ? Nous l’avons vu : ici, la principale source d’informations, les documents du Saint-Office, nous fait défaut. Puis certains détails laissent perplexe. Lors de son arrestation, son domestique proclame qu’il est digne des autels. Dudon, p. 169. Le cardinal d’Estrées, le grand adversaire de Molinos, dit même plus fortement encore : « Quand on le voulut menei dans le carrosse [pour le conduire en prison ], ses valets, après avoir chaussé ses souliers, se jetèrent à terre et lui baisèrent les pieds. » E. Michaud, Louis XIV et Innocent XI, 1883, t. v, p. 457.

Plus tard, il est vrai, une domestique déposera contre lui ; il semble même que ce soit uniquement le témoignage de cette femme qui pesa contre la conduite personnelle de l’accusé. Dudon, p. 193, 290. Mais, à Rome, pendant le procès, la surexcitation fut extrême ; certaines dépositions semblent avoir été obtenues par la torture. Et de cette femme, l’acte d’accusation a conservé des dépositions qui nous semblent étranges, celle-ci, par exemple : Velle mulierem illam non raro mingenlem aspicere. Dudon, p. 290. En Italie, peut-être plus encore dans l’Italie d’alors, était-il donc si difficile de se procurer des spectacles de ce genre ?

Entre cette femme et le docteur, il ne semble pas y avoir eu de relations intimes. Avec toutes les autres libertés que relate l’acte d’accusation, c’est là une réserve hautement invraisemblable. Comment l’expliquer ? « Le détail des accusations invite à conjecturer

que Molinos était un sensuel plus ou moins anormal. » Dudon, p. 194. Dans le cas de Molinos, tout aura donc été exceptionnel. Ces obscurités et invraisemblances, la faveur persistante du pieux et austère Innocent XI laissent quelque peu songeur.

Pourtant, les aveux ou accusations de cette complice indiquent à tout le moins chez Molinos de graves imprudences. Puis, plusieurs témoins, des lettres, des aveux de Molinos ont mis en lumière sa théorie des violences diaboliques ; d’après lui, le démon pouvait prendre sur nos membres un empire irrésistible ; dès lors, il pouvait se produire dans notre corps des actes extérieurs de colère, de haine, de blasphème, d’irréligion, d’impureté, sans que nous en fussions responsables ; notre âme n’y avait aucune part. Pour qui était parvenu à l’état passif, les actes en apparence impudiques n’étaient pas criminels ; chez les parfaits, la partie inférieure ne pouvait contaminer la partie supérieure. Acte d’accusation du 3 septembre 1687 ; dans P. Dudon, p. 275, 277, 279, 280).

Sans doute, cette théorie elle-même a une part de vérité. Depuis plusieurs siècles, tous les théologiens catholiques parlent de ces mouvements spontanés, où la volonté n’a pas de part, et qui ne sont pas coupables. Les anciens augustiniens les regardaient comme des péchés (ci-dessus, article Luther, col. 121 1). Mais saint Thomas a posé le principe qu’à engager notre responsabilité il n’y avait que l’acte vraiment humain, c’est-à-dire l’acte auquel prennent part notre intelligence et notre volonté ; depuis lors, l’école dite augustinienne est allée constamment en décroissant.

Etait-ce là le sens de Molinos ? Le contraire paraît prouvé ; pour lui, la spontanéité inconsciente devait aller très loin, peut-être, jusqu’à l’acte sexuel. Dudon, p. 275. Quand les violences diaboliques se produisaient, il n’y avait qu’à laisser Satan agir en nous ; c’était la voie la plus facile et la plus sûre pour atteindre la désappropriation. Voilà ce qui ressort de l’acte d’accusation lu dans l’église de la Minerve. Voilà du reste ce qui, a priori, en face de la doctrine de Molinos, paraîtrait déjà fort vraisemblable ; ici-bas, l’homme n’est pas fait pour se reposer béatement : Militia est vita hominis super terram. S’il s’abandonne à un repos quiétiste, il sera sans force contre lui-même.

Ainsi, grief de tous peut-être le plus grave, les désordres moraux de Molinos et des siens étaient liés à la doctrine du maître : la doctrine quiétiste mène à un manque d’énergie contre soi-même, et finalement à l’indifférence à l’endroit de la morale. Le quiétisme était un chaînon de cette longue suite de mystiques voluptueux qui comprend les Albigeois, les Frères du Libre-Esprit, les Illuminés d’Espagne, et nombre d’autres groupements.

I. Paquier, Qu’est-ce que le quiétisme ? 1910 ; Paul Dudon, S. J., Michel Molinos, 1921, œuvre passionnée contre Molinos, beaucoup de faits. « Ce travail permettra une étude dogmatique approfondie. » F. Cavallera, dans Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 443. |

J. Paquier.

MONACO (François Marie del) (1593-1651), naquit à Trapani (Sicile), entra en 1600 dans la congrégation des somasques, enseigna à Vicence et à Padoue, et occupa diverses charges de son ordre, finalenii’iit celle de provincial de France ; c’est ainsi qu’il vint à Paris en 1644, où la protection de Mazarin, dont il devint le confesseur, lui assura des succès, comme prédicateur à la Cour et à la Ville. Le siège de Reims étant devenu vacant le 8 avril 1651, il y fut nommé par Mazarin, mais mourut avant d’avoir pu l’occuper. Il a laissé outre plusieurs panégyriques : 1° In adores et speclalores comœdiarum nostri temporis parienesis, in-l°, Padoue, 1621 ; 2° De pauperlate evangelica, info ! ., Rome 1644 ; 3° De futei unitate libri III ad Caro-