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MOLINOS

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XVIIe siècles, Paris, 1880 ; dans les thèses de Jean Laporte sur La doctrine de la grâce chez Arnauld, et sur Saint-Cyran, 2 vol. in-8°, Paris, 1922 ; ou mieux dans le grand ouvrage du même auteur : Les doctrines de Port-Royal.

E. Vansteenberghe.


MOLINOS Michel, quiétiste (1628-1696).

I. Vie.

Michel Molinos naquit à Muniessa, gros village au sud de Saragosse, le 29 juin 1628. Ses parents semblent avoir été de condition modeste. Il étudia d’abord à Muniessa, ou aux environs, puis à Valence (1646). Il dut y obtenir le grade de docteur en théologie. En 1663, la province de Valence, clergé, armée, députés, l’envoyait à Rome pour obtenir la béatification du vénérable FrançoisJérôme Simon, mort un demisiècle auparavant.

Molinos ne put atteindre le but de sa mission : François Simon n’a jamais été béatifié. Par contre, il entra dans une confrérie espagnole, YÉcnle du Christ, en devint bientôt le chef, et acquit dans Rome la renommée d’un directeur incomparable : des femmes du monde, des religieuses, des religieux, des prélats, des cardinaux se mirent sous sa conduite.

En 1675, il publia en espagnol un Petit traité sur la communion quotidienne, Brève tratado de la comunion quotidiana, et la même année son œuvre principale, la Guide spirituelle. Il l'écrivit aussi en espagnol : Guia espiritual, puis la traduisit lui-même en italien. Il obtint avec surabondance toutes les approbations d’usage. Le traité se répandit très rapidement. Il fut traduit dans les principales langues de l’Europe. C’est un livre de deux cents pages minuscules, un petit livre, comme la plupart de ceux qui ont eu de l’influence sur l’humanité. L’auteur y substituait la contemplation à la méditation, une contemplation facile, quiétiste (voir ci-après : Doctrine).

De bonne heure, la Guide provoqua des contradictions. En réponse, Molinos publia ou fit publier les Lettres écrites à un Espagnol désabusé pour l’amener à l’oraison mentale, et lui donner une méthode pour la pratiquer (1676). Peu après, il écrivait la Défense de la contemplation ; mais cette seconde réponse est restée manuscrite. Les critiques continuèrent. Elles vinrent surtout de la Compagnie de Jésus ; dès son titre, le livre par excellence de cette congrégation, les Exercices de saint Ignace, parle contre la contemplation facile de Molinos. En 1678, le P. Gottardo Bell’huomo publia contre lui Le prix et l’ordre des oraisons ordinaires et mastiques. Peu après, Molinos écrivit deux longues lettres au général des jésuites, le P. Oliva. Il s’y montre d’une obséquiosité facile, de manières insinuantes, mais, au fond, d’une obstination douce et invincible. Des mots onctueux, des yeux dans l’azur, un doux entêtement : ce sont bien là les notes caractéristiques de certains mystiques. Oliva resta fort réservé. En 1680, Segneri, le jésuite le plus connu de l’Italie d’alors, publiait contre Molinos La concorde entre lu fatigue et le repos dans l’oraison.

En sens opposé, des hommes haut placés dans l'Église, des écrivains de talent, se déclaraient pour lui : l’archevêque de Païenne, Jaime Palafax y Cardona, le cardinal Alderano Cybo, secrétaire d'État, et pardessus tout l’oratorien Pier Matteo Petrucci, évoque d’Iesi.

Vers 1680 la lutte devint d’une extrême acuité. Le 2 « novembre 1081, les ouvrages de Bell’huomo et de Segneri furent mis à l’Index. Innocent XI penche vers les Jansénistes ; il est au plus mal avec les jésuites ; Molinos est a l’apogée de la faveur.

En 1082, le vent se mit à tourner. I.e 30 janvier, [ftigo Caracclolo, archevêque de Naples, dénonce au pape les méfaits des qiiiélistes ; c’est lui qui employa le mol pour la première fois. Le cardinal Albizzi, l’oratorien François Marchese écrivent dans le même sens.

Puis, trois années durant, de 1682 à 1685, tous documents font défaut. Un calme lourd planait, précurseur de l’orage. Molinos aura été étroitement surveillé ; tout à coup le 18 juillet 1685, il était mis en prison.

Le principal représentant de Louis XIV à Rome était alors le cardinal César d’Estrées. Dans cet emprisonnement et dans tout ce qui s’ensuivit, quel a été son rôle ? On ne sait pas bien ; mais certains indices pourraient faire croire que ce rôle a été considérable. Cf. ci-dessus, article Innocent XI, col. 2010-2011. Mabillon, alors à Rome, écrivait dans son journal : « Sur Molinos, les avis sont très partagés. Pourquoi a-t-il été arrêté? On ne croit pas que ce soit à cause de la doctrine de son ouvrage imprimé, mais pour des lettres, ou du moins pour des interprétations fâcheuses que ses adhérents ont faites de sa pensée. Il ne semble pas de si tôt sorti de prison. » (1685-1686) J. Mabillon et M. Germain, Muséum italicum, 1. 1, Paris, 1687, p. 72. Dans ces lignes, on sent percer une pointe d’ironie amère. Après deux siècles et demi, c’est encore le jugement le plus plausible que l’on puisse porter sur Molinos.

Innocent XI prévoit qu’il ne pourra sauver Molinos ; il veut du moins épargner la prison à Petrucci ; le 2 septembre 1686, il le crée cardinal.

Les incarcérations se multiplient. Le procès traîne en longueur. Enfin, au printemps de 1687, après bientôt deux ans de réclusion, Molinos se reconnaît coupable ; il désavoue sa doctrine, regrette ses mauvaises mœurs et renonce à présenter sa défense. De ses ouvrages, de ses lettres, de ses aveux et de ceux de ses disciples, on extrait 263 propositions ; puis on les condense en 68.

L’abjuration eut lieu dans l'église de la Minerve, le 3 septembre 1687. La foule était immense. Quand arriva Molinos, on se mit à crier : Al fuocol Si le vent avait tourné, on aurait aussi bien dit : Evviva il Santo ! La lecture de l’accusation et de la sentence dura deux heures ; quatre dominicains se relayèrent pour la mener à bonne fin. Molinos est condamné à la prison perpétuelle. Il se lève et lit sa rétractation.

Constamment, il demeura calme, « le visage gai », dit un récit contemporain. [G. Burnet ], Trois lettres touchant l'étal présent d’Italie… Cologne 1688, p. 126. Son attitude ne trahit pas le moindre trouble. Tous les assistants furent frappés de cette contenance tranquille, et sans apparence d’apprêt. Dudon, p. 205-208.

Le soir, entre 8 et 9 heures, on le mena à sa prison. Sur le parcours, des bandes vociféraient : Al fiume ; al fuoeo. Pour la première fois, Molinos pâlit. Mais il se reprit bientôt, et dit à ses gardes : » Il faut les excuser ; c’est pour eux un jour de fête. » Arrivé à la porte de sa cellule, il aurait dit au moine qui l’accompagnait : i Adieu, mon Père ; nous nous reverrons au jour du jugement ; alors, il paraîtra de quel côté est la vérité, du mien ou du vôtre ». [G. Burnet], Trois lettres… 1088, p. 128 ; reproduit avec nuances de traduction dans [Jean Carnaud de la Croze], Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme et les quiétistes, 1688, p. 329, récit protestant, favorable à Molinos.

Le 19 novembre suivant. Innocent XI publia contre Molinos la bulle Cselestis Pastor ; on y inséra les 68 propositions déjà condamnées le 28 août. Texte de ces propositions dans Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1221-1288.

Molinos vécut encore plus de neuf ans. toujours en prison. Il y mourait le 28 décembre 1696. Tous s’accordent à dire que ces dernières années et cette mort furent pieuses et exemplaires. D’ailleurs, aucun écho ne nous révèle ce qui, pendant ces neuf années, non plus que dans les deux années de prison préventive, se passa dans cette âme ardente et tourmentée.