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MOLINISME, CONTROVERSES RÉCENTES


adressé au général des jésuites, le 30 décembre 1892, que si les grands écrivains de l’Ordre sont « une gloire de famille qu’il faut maintenir et respecter », l’attachement à leurs écrits ne devait pas devenir un obstacle à l’unité de doctrine, qui devait résulter de l’acceptation de saint Thomas comme docteur commun et propre. N'était-ce pas là une invitation discrète à abandonner le molinisme ? Les thomistes étaient fort portés à le croire. « On ne peut, écrit le P. Mandonnet, O. P., dans Le décret d’Innocent XI contre le probabilisme, p. 68, simultanément être moliniste et être très préoccupé de se conformer aux indications doctrinales fournies de temps à autre par l’autorité ecclésiastique compétente. » Les jésuites démontrèrent par de bons arguments qu’il n’en était rien. Ibid., col. 1039.

4° Le P. N. del Prado et les molinisles d’aujourd’hui. — Ils trouvèrent dans le P. N. del Prado, O. P., leur plus vigourenx adversaire. Le professeur de Fribourg consacra tout un volume de son traité, De gratia et libero arbitrio, à l'étude et à la critique de Molina : Pars tertia, Concordia liberi arbitrii cum divina motione juxta doctrinam Molinse, in-8°, Fribourg, Suisse, 1907. On y lit en exergue ces mots de l’encyclique JEtemi Palris : Doctrinam Thomæ Aquinatis studeant magistri in discipulorum animos insinuare, ejusque præ cœteris soliditalem atque excellentiam in perspicuo ponant. L’argumentation est simple : l’accord que Molina prétend établir entre la motion divine et la liberté repose sur quatre principes : le concours simultané, l’influx spécial de Dieu, la science moyenne, la prédestination ayant sa raison dans le prédestiné lui-même. Aucun de ces principes n’est conforme à la doctrine de saint Thomas ; aucun n’est raisonnablement soutenable. Leur ensemble ne conduit qu'à un accord illusoire fondé sur des absurdités, à une position instable entre le pélagianisme et le calvinisme, sans parler du libéralisme. Bellarmin et Suarez ont bien essayé de rendre le système viable ; mais leur congruisme se ramène logiquement au pur molinisme. Quant au bannésianisme, ce n’est qu’une « comédie » inventée par le « chœur des molinistes ». Pas de milieu entre Molina et saint Thomas, entre la science moyenne et la prémotion physique. Il faut choisir. « La prémotion physique est la véritable voie de la philosophie chrétienne, par laquelle nos bonnes œuvres libres sont ramenées à Dieu comme à leur première cause efficiente. C’est la voie de saint Thomas et de saint Augustin. » La science moyenne, elle, est renouvelée d’Origène, des pélagiens, des ariens, d’Ambroise Catharin.

Telle est, dans ses lignes essentielles, la thèse développée par le P. del Prado. Son livre, que le P. R. Garrigou-Lagrange appelle « le meilleur traité thomiste de la grâce paru depuis les grands commentaires du xvp et du xviie siècle », Dieu, son existence et sa nature, 2 8 éd., Paris, 1915, p. 419, n., exprime bien dans l’ensemble, la position des thomistes d’aujourd’hui. Il est, semble-t-il, la somme et l’arsenal où la plupart puisent à la fois leur connaissance du molinisme et leurs arguments contre lui.

Les molinistes, au contraire : Chr. Pesch, Frins, J. Muncunill, J. Van der Mersch, L. Lercher, J. Hontheim, A. Sanda, A. d’Alès, etc., persistent à considérer leur système comme présentant après tout, selon l’expression de Joseph de Maistre, De l'Église gallicane, 1. 1, t. I, c. ix, « le plus heureux effort qui ait été fait pour accorder ensemble, suivant les forces de notre faible intelligence », la liberté humaine et la souveraineté divine. Eux aussi font profession de fidélité à saint Thomas d’Aquin. Certes, ils ne soutiennent pas que leur doctrine ait été enseignée par le docteur angélique ; mais ils affirment que le « thomisme »

DICT. DE THÉOL. CATHOL,

de leurs adversaires ne l’a pas été davantage. Ce « thomisme », disent-ils avec Suarez, n’est en réalité qu’un bannézianisme ; et ils estiment que la réponse moliniste au problème de l’accord de la grâce et de la liberté, cadre mieux avec l’ensemble de la pensée de l’ange de l'École, que la réponse de ceux qu’ils appellent les « néo-thomistes ». Ils ne prétendent pas pour cela imposer leur doctrine ou y rallier leurs adversaires par voie de persuasion ; ils entendent seulement rester libres de l’enseigner, sans se voir objecter une soi-disant réponse de saint Thomas à une question qu’il ne s’est pas posée.

L’appel à l’autorité étant ainsi écarté, les molinistes défendent pied à pied la valeur philosophique et théologique de leur système. On lui cherche des antécédents ; ils l’acceptent volontiers, mais nient qu’on puisse les trouver chez les hérétiques comme tels. On veut les mettre en contradiction avec eux-mêmes, on veut tirer de telles de leurs expressions des conclusions évidemment fausses ou dangereuses pour la foi ; ils expliquent qu’on les a mal compris. On veut les acculer à l’absurde ; ils esquivent le coup et prennent l’offensive : l’absurde n’est nulle part dans la réalité ; s’il ne faut pas introduire le contradiction en Dieu, il ne faut pas l’introduire non plus dans son œuvre ; la science moyenne sauvegarde la toute-puissance divine ; qu’on prenne garde, avec la prédétermination physique, de supprimer la liberté humaine.

Cette attitude, les molinistes l’ont gardée, jusque dans les controverses les plus récentes, qu’il nous reste à signaler rapidement.

5°. R. Garrigou-Lagrange et A. d’Alès. — Le P. A. d’Alès, S. J., est le plus ardent défenseur du molinisme en France, à l’heure actuelle. Depuis plus de dix ans, il ne manque pas une occasion de rompre des lances en sa faveur.

Dans son gros ouvrage sur Dieu, son existence, sa nature, Paris, 1915, le P. Garrigou-Lagrange, professeur au Collège angélique à Rome, avait été amené à plusieurs reprises à établir un parallèle entre le thomisme et le molinisme, à propos de la prescience et de la providence, de la motion divine, de la liberté humaine et de la causalité divine universelle, de la grâce suffisante. Ce fut l’occasion d’un échange de vues qui se poursuivit dans les Recherches de science religieuse en 1917 : le P. d’Alès écrivit : Science divine et décrets divins : le P. Garrigou : Une nouvelle mise en valeur de la science moyenne, article qui parut en brochure avec des développements, Rome, 1917 ; le P. d’Alès, Autour de Molina.

L’article Providence, paru dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, sous la signature du P. d’Alès, fut le signal d’une seconde polémique avec le P. Garrigou-Lagrange. Elle se déroula d’abord en trois articles de la Revue thomiste, en 1924 ; le P. d’Alès publia ensuite Prédéterminisme physique dans les Recherches de science religieuse, 1925 ; puis la controverse passa à la Revue de philosophie, où le P. Garrigou donna successivement : Prédétermination non nécessitante ; Détermination et motion intrinsèque, 1926 ; Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu, 1927 ; et le P. d’Alès : Prédétermination nécessitante ; Détermination et motion, 1926 ; Question de mots et question de principe : Dieu déterminant ou déterminé, 1927.

Sur ces entrefaites, le P. Synave, O. P., intervint dans le débat, en publiant dans la Revue thomiste, 1927, une note intitulée : Prédétermination non nécessitante et prédétermination nécessitante. Le P. d’Alès répondit par une Lettre au R. P. Synave, qui fut discutée par le destinataire dans la même revue : Saint Thomas d’Aquin et la prédétermination non nécessitante. La discussion rebondit avec le dilemne : Dieu déterminant ou déterminé, du P. Garrigou-Lagrange dans

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