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MOLINISME, CONTROVERSES AU XVII* SIÈCLE


l’atmosphère anti-moliniste entretenue par Janson, disciple de Baïus ; il s'était plongé avec son ami Duvergier de Hauranne dans l'étude de saint Augustin ; il avait approuvé diverses conclusions du synode de Dordrecht contre Arminius, d’après lequel la prédestination suit la prévision des mérites, la grâce suffisante est accordée à tous, et la grâce efficace n’est pas irrésistible. Art. Jansénisme, col. 319-322. Son Augustinus (1641) devait se ressentir de tout cela. Sans doute, l'évêqued’Ypres s’en prend en général aux « scolastiques », aux « clabaudeurs de l'École », comme il les appelle ailleurs, qui ont voulu, dit-il, concilier Aristote et saint Paul, la philosophie humaine et la révélation ; mais c’est aux « nouveaux théologiens » surtout qu’il en veut : à Molina, à Lessius, à Bellarmin, à Suarez, à Vasquez, qu’il attaque à chaque instant. Il leur reproche de s'être écartés de la tradition et de prétendre, au surplus, reproduire la pensée de saint Augustin ; de proclamer la volonté salvifique universelle ; de soutenir un impossible congruisme, alors que toute pensée bonne est nécessairement une grâce de Dieu qui imprègne la volonté et la fait agir ; de minimiser le rôle de la grâce, etc. Il consacre enfin un appendice spécial de son livre à un parallèle entre les erreurs des « Marseillais » et la doctrine de ces « théologiens modernes » ; et conclut qu’il n’y a aucune différence essentielle entre le molinisme et le semi-pélagianisme, en particulier au sujet de l’universalité de la grâce suffisante, de l’identité intrinsèque de la grâce suffisante et de la grâce efficace, de la prédestination post prævisa mérita.

Jansénius, il est vrai, n’admet pas la prémotion physique ; mais il déclare que les thomistes ont mieux saisi la pensée de saint Augustin que les molinistes et que, du moins, ils sont d’accord avec lui sur la puissance de la grâce. T. iii, t. VIII, c. n et ni.

Ses disciples qui, avec Arnauld, Saint-Cyran, Quesnel, Pascal, font profession de défendre la vérité catholique contre deux erreurs contraires : le protestantisme et le molinisme, se sont volontiers présentés aux thomistes comme des alliés contre un adversaire commun. On conçoit dès lors que des thomistes se soient rangés à leurs côtés, sans prendre garde que leurs formules captieuses impliquaient la négation de la liberté ; et que des molinistes aient voulu plus t-ard faire rejaillir sur tous leurs adversaires la condamnation des jansénistes. A la faveur de ces équivoques les incidents se multiplieront. Il suffira d’en signaler ici quelques-uns.

III. Multiples incidents qui s’ensuivent. — 1° A Louvain les thèses des jésuites contre V Augustinus. — Les premiers, les jésuites, tout en se défendant euxmêmes, attaquèrent V Augustinus, dans les six thèses qui furent soutenues à leur collège de Louvain, le 22 mars 1641. Ce fut le signal d’une polémique, au cours de laquelle Urbain VIII promulgua la bulle In eminenti (6 mars 1642) portant condamnation de l' Augustinus et des thèses des jésuites, en vertu de la défense de publier des écrits sur la grâce sans l’autorisation de l’Inquisition. Voir art. Jansénisme, col. 450-454.

2° A Toulouse, la querelle du P. Réginald, 0. P., et du P. Annat, S. J. — - Brusquement un libelle anonyme daté de Venise, 1607, fut mis en circulation contre les jésuites. Il était intitulé : Quæstionemtheologicain, historicam et juris pontificii. En réalité, il avait été imprimé à Toulouse en 1644, et l’auteur, le P. Béginald, O. P., l’avait antidaté pour échapper aux sanctions prévues par Paul V et Urbain VIII. Le P. Annat, S. J., professeur à Toulouse, répliqua dans sa Scientia média contra novos ejus impugnatores defensa, Toulouse, 1645. Censuré par la faculté de théologie de cette ville, il se justifia dans Solutio quæslionis theolo gicæ, historicæ et juris pontificii, quæ fuerit mens concilii Tridentini circa gratiam efjicacem et scientiam mediam, 1645 ; et ici encore, les écrits pour et contre se multiplièrent. Le Parlement de Toulouse fut mêlé à l’affaire et le procès fut arrêté par l’Assemblée du clergé. Gerberon, Hist. du jansénisme, t. i, p. 206-210.

3° A Paris, les PP. Sirmond et Dechamps, S. J., et Libert Fromond. — En même temps, le De libero arbitrio du P. Petau, Paris, 1643, et le Preedestinatus du P. Sirmond s’attiraient d’amères répliques de la part de Libert Fromond : Chrysippus seu de libero arbitrio epistola circularis ad philosophos peripateticos, in-8°, 1644 (anonyme), et de Martin de Barcos, neveu de Saint-Cyran : Censure d’un livre que le P. Sirmond a fait imprimer sur un vieil manuscrit et qu’il a intitulé : Prœdestinatus, in-8°, 1644. — Petau avait exhumé une censure de la faculté de Paris (27 juin 1560), le P. Etienne Dechamps, S. J., appuya sur elle les thèses sur le libre arbitre qu’il soutint au Collège de Clermont, à Paris, le 4 janvier 1644, et lui donna la plus large diffusion dans sa Defensio censurée sacrée jacultatis Parisiensis… seu dispulatio theologica de libero arbitrio, in-8°, Paris, 1645 (sous le pseudonyme d’Antoine Bichard) ; d’où une polémique avec Libert Fromond, l’un des éditeurs de l' Augustinus, qui, dans sa Theriaca adversus Dion. Petavii et Antoni Ricardi libros de libero arbitrio, Paris, 1648, affirma avoir vu « une bulle proscrivant 50 propositions de Molina et suffisant, si elle était publiée, pour dirimer toute la controverse en faveur de saint Augustin et de saint Thomas ».

4° A Rome, le mémoire janséniste de 1652 et la bulle Cum occasione (1653). — Quand les « cinq propositions » de Nicolas Cornet résumant V Augustinus eurent été dénoncées à Borne par l’Assemblée du clergé (mai 1650), les jansénistes cherchèrent plus que jamais à gagner les faveurs ou l’indulgence des thomistes, en s’attaquant ouvertement à Molina.

C’est alors que parurent des ouvrages comme ceux du docteur de Navarre, Noël de La Lane : De la grâce victorieuse de Jésus-Christ ; ou Molina et ses disciples convaincus de l’erreur des pélagiens et des semi-pélagiens, selon les actes de la congrégation De auxiliis, in-4°, Paris, 1651 ; ou de l’abbé de Bourzéis, Saint Augustin victorieux de Calvin et de Molina, in-4°, Paris, 1652. A en croire un mémoire présenté au pape en février 1652, par leurs délégués à la commission pontificale, les jansénistes ne combattaient que « la grâce suffisante, versatile et soumise au libre arbitre, telle que l’a défendue Molina » et ne se faisaient les défenseurs que de la grâce efficace. Les consulteurs dominicains et le P. Béginald lui-même se laissèrent prendre à ces déclarations, et s’efforcèrent d’empêcher la condamnation. Schneemann, p. 337-338.

La bulle Cum occasione, par laquelle, le 31 mai 1653, le pape qualifiait chacune des cinq propositions, n’arrêta pas la tentative de diversion. On reparlait sans cesse de soi-disant actes des congrégations De auxiliis relatés par François Pena, alors doyen de la Bote, ou par Thomas de Lemos, et du prétendu autographe de Paul V condamnant Molina. Innocent X déclara, par décret du 23 avril 1654, qu'à ces actes et à la soi-disant constitution de Paul V il ne fallait ajouter aucune foi, nullam omnino esse fldem adhibendam. Il défendait en conséquence de les alléguer et ordonnait d’observer, sur la question De auxiliis divinæ gratiie, les décrets de Paul V et d’Urbain VIII ses prédécesseurs. L. de Meyer, préface, p. lu. F. Cavallera, Thésaurus doctrinæ catholicse, Paris, 1920, n. 921. D’autre part, l’issue des conférences engagées à Comminges (1663) entre le P. Ferrier, S. J., et des jansénistes comme Arnauld, La Lane, Martin de Barcos, fit apparaître en vive lumière la distance qui séparait le jansé-