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MOLINISME, LA PROVIDENCE


Pour qu’il y ait providence, il n’est pas nécessaire, contrairement à ce que pensait Cajétan, que les fins providentielles soient toujours atteintes. Malgré la simplicité du décret providentiel, on peut, en effet, y distinguer une intention absolue et une intention conditionnelle, une intention primaire et une intention secondaire. La providence dirige les anges et les hommes vers leur fin, en ce sens qu’elle veut réaliser un ordre de moyens par lequel ils atteindront cette lin, s’ils le veulent. Cette providence n’inclut pas une volonté absolue, mais conditionnelle ; voilà pourquoi l’ordre providentiel est souvent frustré.

Toutefois, si le péché est opposé aux fins providentielles, il rentre cependant dans le plan de la providence de le permettre, puisque la liberté est directement voulue par Dieu ; la providence peut même avoir l’intention secondaire d’utiliser le péché au profit du coupable ou de tiers, ou. d’en prendre pour ainsi dire occasion de manifester davantage sa bonté, sa puissance ou sa justice, par l’incarnation, la rédemption ou le châtiment.

Providence et prescience.

Pour être parfaite,

la providence implique la connaissance préalable de ce qui résultera des moyens établis par elle.

En raison de cette prescience, on dit que la providence de Dieu est infaillible, parce que ce qu’elle prévoit se réalise toujours. La prescience nfest cependant pas essentielle à la providence ; car autre chose est l’ordre des choses, des causes et des moyens établis par Dieu, autre chose la connaissance de ce que, étant donné cet ordre, les créatures feront librement. On comprend facilement, dès lors, que la providence n’est pas nécessairement liée aux événements, tandis qu’il y a lien nécessaire entre la prescience et eux : la providence étant ce qu’elle est, les effets pourraient être le contraire de ce qu’ils seront ; tandis que, s’ils devaient être différents, la prescience ne serait pas ce qu’elle est. (Q. xxii, a. 1, disp. II, p. 405-414.)

Son universalité.

 Bien que l’ordre providentiel ne soit pas toujours observé, tout est soumis à la

providence, car tout arrive par sa volonté ou sa permission. Elle atteint le péché, soit qu’elle l’empêche d'être commis, soit qu’elle coopère par le concours général à l’exercice de la volonté libre qui le commet, encore que l’acte peccamineux comme tel doive être attribué à sa cause particulière seule. Elle atteint les effets dits « fortuits », qui tous lui sont soumis, comme le dit saint Thomas (q. xxii, a. 2, ad lnm), encore que cette « soumission » puisse ne consister que dans une simple permission. Elle atteint les effets naturellement nécessaires, puisque Dieu est l’auteur de la nature.

A côté de cette providence générale, il y a d’ailleurs une providence spéciale : à elle se rapportent les secours qui orientent l’homme vers sa fin surnaturelle, et les grâces de choix dont Dieu entoure certains justes. (Q. xxii, a. 2, p. 414-416.)

Conciliation de la providence et de la liberté.


Cajétan se donne beaucoup de peine pour concilier la providence et la liberté. Il n’admet pas l’opinion commune d’après laquelle, si les elîets des causes secondes sont les uns contingents, les autres nécessaires par rapport à leurs causes, ils n’en sont pas moins tous inévitables, parce que tous se réaliseront selon les desseins éternels de la providence. « Dieu, dit-il, dépasse toutes les causes nécessaires ou contingentes, dont il possède éminemment en lui les effets ; voilà pourquoi tous les effets sont librement produits par lui, tout en étant nécessaires ou contingents par rapport à leurs causes. De même, sa providence n’entraîne pour les événements, ni qu’ils soient évitables, ni qu’ils soient inévitables ; elle dirige les uns et les autres d’une manière plus haute, qui échappe à notre intelligence. »

Ces explications sont, pour Molina, l’occasion de préciser ses propres idées sur la question. Il refuse d’abord absolument d’admettre que tous les événements aient été voulus par Dieu, d’une volonté efficace ou absolue ; que Dieu ait préparé et disposé les causes pour qu’ils se produisent comme ils le font : les abus de la liberté, les péchés, nous l’avons vii, ne sont ni voulus, ni préparés par Dieu, mais seulement permis pour des fins supérieures. Il nie que la providence implique la réalisation des fins pour lesquelles elle a disposé les moyens : la volonté salvifique universelle ne se réalise pas parfaitement, quoique Dieu pourvoie au salut de tous. Il dénonce, enfin, la confusion fréquente entre la certitude et le caractère inévitable des événements : un effet est dit inévitable par rapport à sa cause ; il est dit certain par rapport à l’intelligence ; de ce qu’un effet est prévu infailliblement par Dieu, on peut conclure qu’il arrivera, non qu’il sera produit inévitablement.

En somme, conclut-il, il n’est pas plus difficile de concilier la liberté et le caractère évitable des événements avec la providence, que de les concilier avec la prescience divine ; le problème est le même ; la solution aussi. Ce n’est pas parce que Dieu prévoit les effets contingents et y pourvoit qu’ils arriveront, mais c’est parce qu’ils seront librement produits qu’il les prévoit et y pourvoit. S’ils devaient être autres, comme ils le peuvent, Dieu aurait prévu le contraire et y aurait pourvu. (Q. xxii, a. 4, p. 41$1-$223.)

IV. La Prédestination et la réprobation. — Après une analyse générale, on étudiera successivement la cause de la prédestination (col. 2124) et celle de la réprobation (col. 2135).

I. ANALYSE aÉsÉRALE.

1° La prédestination. -1. Sa notion. — La prédestination rentre pour une

part dans le domaine général de la providence : elle est l’ordre ou l’ensemble des moyens par lesquels Dieu prévoit que la créature raisonnable doit être conduite à la vie éternelle, en se proposant de le réaliser. Elle est donc formellement en Dieu et par conséquent éternelle ; mais son exécution ou ses effets, comme la vocation, la justification, les miracles, etc., sont temporels et se réalisent dans les prédestinés ou dans d’autres créatures. (Q. xxiii, a. 1 et 2, disp. I, p. 424-427).

2..Son siège. — - La prédestination divine nécessite un acte d’intelligence, par lequel Dieu prévoit les moyens qui permettent au prédestiné d’atteindre la vie éternelle, et un acte de volonté, par lequel il choisit et décide de les lui donner ; tous les docteurs en conviennent. Ils se divisent quand il s’agit de dire si la prédestination signifie ces deux actes ou un seul et, dans le premier cas, lequel elle signifie principalement. Scot affirme que le mot prédestination signifie seulement l’acte de volonté (In / uni, dist. XL) et saint Ronaventure, qu’elle le signifie principalement (In 7um, dist. XL, a. l, q. h). Molina déclare au contraire qu’elle signifie à la fois les deux actes, parce que sa définition les implique l’un et l’autre ; et principalement l’acte d’intelligence, parce qu’elle tire son nom d’un acte d’intelligence (prœdestinare, præordinare) et qu’elle relève de la providence qui se rapporte principalement à l’intelligence.

Plusieurs estiment qu’avant cet acte d’intelligence et l’acte de volonté qui le complète, Dieu, par un acte de volonté absolue, a choisi ceux qu’il voulait sauver ; c’est ensuite seulement qu’il les aurait prédestinés, au sens où nous entendons ce mot, car on veut la fin avant de prévoir et de vouloir les moyens. Molina rejette sans hésitation cette élection antérieure à la prédestination : il a montré déjà que la prévision des moyens de salut pour chacun, dans l’hypothèse où