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MOLINISME, LA SCIENCE DIVINE
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perfectionne la nature pour que ses actes soient salutaires. De là ce corollaire très important : pour discerner les mouvements de la grâce et les expliquer, il faut tenir compte de l’ordre que suivraient la nature ou les facultés si elles produisaient seules, dans leur substance, les actes salutaires.

2. Son rôle dans la justification.

Voici donc comment il faut décrire la série des grâces qui conduisent

à la justification.

La foi. — Tandis que l’homme, instruit par la prédication ou autrement des vérités révélées, y réfléchit, Dieu l’aide à les mieux comprendre ou élève sa pensée aux limites de la connaissance surnaturelle. Cet influx divin est un mouvement de grâce prévenante, une illumination ; et la connaissance ainsi rendue surnaturelle est une grâce prévenante de foi ex parte intellectus.

Quand l’homme considère combien les vérités ainsi connues sont dignes d’assentiment, un mouvement naît naturellement dans sa volonté, qui l’invite en quelque sorte à commander à l’intelligence l’assentiment. Dieu insère, pour ainsi dire, son secours dans ce mouvement, pour le rendre à la fois plus pressant et surnaturel. Cet influx divin est encore un secours de grâce prévenante ; et le mouvement ainsi devenu surnaturel est une grâce prévenante de foi ex parte voluntatis. Cette double grâce constitue la vocation à la foi. Elle laisse à l’homme la liberté de croire ou de ne pas croire. S’il veut croire, sa volonté aidée du mouvement de la grâce prévenante commande l’assentiment : et en même temps son intelligence, mue par ce commandement et aidée de l’illumination divine, produit l’acte surnaturel d’adhésion aux vérités révélées.

Enfin, l’homme bien disposé par ces actes surnaturels d’intelligence et de volonté reçoit V habitas fidci qui lui est infusé par Dieu seul, et grâce auquel il peut ensuite produire lui-même des actes surnaturels de foi. Cet habitus comprend deux parties, dont l’une réside dans la volonté pour mouvoir l’intelligence, l’autre dans l’intelligence pour produire les actes commandés par la volonté. La dernière seule est appelée proprement habitus fidsi supernaturalis.

L’espérance. — - Quand l’intelligence éclairée par la foi pense à l’excellence de la béatitude et à la bonté de Dieu, un mouvement spontané de la volonté la porte à aimer la béatitude, d’un amour de concupiscence, et à l’espérer de Dieu. Dieu s’ingère en quelque sorte dans ce mouvement, pour l’intensifier et le surnaturaliser. C’est la grâce prévenante, qui excite la volonté à espérer. Si, à l’aide de cette grâce, elle pose librement le premier acte surnaturel d’espérance, elle reçoit de Dieu {'habitus spei supernaturalis qui lui permettra de multiplier à son gré les actes semblables.

La contrition. — Lorsque, pourvu de la foi et de l’espérance, l’homme considère la perfection de Dieu et ses bienfaits, il est naturellement porté à l’aimer. Dans ce mouvement aussi, Dieu insère un secours de grâce qui l’excite et le rend surnaturel ; en tant qu’il vient de Dieu, ce mouvement s’appelle grâce prévenante de charité. Prévenue par eue, la volonté peut faire l’acte surnaturel de contrition qui est l’ultime disposition à la grâce sanctifiante.

Si la pensée du péché évoquait celle de la félicité perdue ou de la damnation méritée, elle engendrerait naturellement dans la volonté un mouvement de crainte de Dieu qui, lui aussi, serait ordinairement excité et surnaturalisé par un influx divin. La volonté pourrait alors, sous l’empire de cette crainte surnaturelle, faire un acte d’attrition qui, avec le sacrement de baptême ou de pénitence, suffirait pour obtenir la grâce de la justification. (Q. xiv, a. 13, disp. XI. VI, p. 253-25'J.)

La justification. Saint Thomas (MP, q. cxiii, a. 7, ad lum ; a. 8, ad 211m), Cajétan Médina, Soto, Cano pensent que l’ultime disposition de l’adulte à la grâce sanctifiante est produite par la grâce même, au moment où elle est infusée. Molina avoue n’avoir jamais compris comment la grâce sanctifiante peut concourirà un acte libre, qui est la dernière disposition requise pour cette grâce. C’est l’occasion pour lui de s’expliquer sur la nature de la justification, qui se définit : translatio ab statu lethalis culpæ in statum glorias et udoptionis filiorum Dei per Jesum Christum Salvatorem nostrum. Le mot juslificatio, remarque Molina, peut signifier, soit l’acte par lequel Dieu justifie l'âme : l’infusion de la charité et de la grâce habituelle, soit la transformation qui en résulte : l’expulsion du péché et le passage à l'état de justice. En ce sens, on dit que la grâce et la charité justifient et que Dieu justifie par elles, comme par leur cause formelle, quoiqu’il soit lui-même cause efficiente de leur infusion dans l'âme. Mais il importe de ne pas confondre la justification et les actes qui y disposent : celui qui coopère avec Dieu se dispose toujours à être justifié, il ne se justifie pas lui-même. (Q. xiv, a. 13, disp. XLV1, p. 259-273.)

La prescience de Dieu.

Molina a montré qu’il

y a de la contingence, tant dans les œuvres de la nature que dans celles de la grâce. Il revient maintenant au texte de saint Thomas pour discuter la source de cette contingence ; il pourra ensuite montrer comment Dieu connaît les futurs contingents et comment la prescience divine s’accorde, soit avec la liberté de notre volonté, soit avec la contingence des choses.

1. Racine de la contingence.

On l’a dit, contre

Scot, la contingence ne provient pas de la seule liberté de Dieu (cf. supra, col. 21 12). Quelle est donc sa source ? La réponse à cette question ne peut être simple, car il y a lieu de distinguer parmi les choses : 1° celles dont la production et la conservation dépendent à ce point de Dieu qu’aucun agent naturel ne peut les détruire, par ex. les anges, le ciel, l'âme humaine, la matière première ; 2° celles dont la conservation ne dépend pas de Dieu seul ; 3° celles qui se rapportent à l’ordre de la nature ; 4° celles qui se rapportent à l’ordre de la grâce.

La racine de la contingence de toutes les créatures est dans la seule liberté divine ; car, par rapport à Dieu, rien n’est nécessaire. — Mais le monde une fois établi, à supposer que Dieu ne fasse rien qui sorte du concours commun et de l’ordre naturel, la contingence disparaîtrait de tous les effets des causes secondes, si l’on supprimait la liberté dans les créatures. La racine éloignée de la contingence de ces effets est donc la volonté de Dieu, qui a créé libres les anges et les hommes, et doté les animaux de l’appétit sensible, sorte de vestige de liberté ; mais sa racine prochaine et immédiate est cette liberté même. — Enfin, pour les effets qui se rapportent à l’ordre de la grâce, la racine prochaine et immédiate de leur contingence est la volonté divine ou la volonté humaine, selon qu’ils émanent de la seule volonté de Dieu, comme par ex. l’incarnation, ou d’une volonté créée aidée d’un secours spécial de Dieu. (Q. xiv, a. 13, dis]). XI. VII, p. 27-1280.)

2. Comment Dieu connaît les futurs contingents.

a) Dans leur existence propre. — Saint Thomas admet que tous les êtres qui ont été, sont, ou seront présents dans le temps, sont présents à Dieu de toute éternité. et selon leur existence propre. I. 'éternité est une sorte de durée indivisible qui contient en son unité toute l'étendue de la durée, et qui correspond à la fois au temps tout entier et à chacune de ses parties, comme l'âme humaine est tout entière dans tout le corps et dans chacune de ses parties Telle est du moins