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MOLINISME, LA LIBERTE


inefficace, un secours particulier est indispensable pour la résolution efficace. Pareille distinction se retrouve dans Barthélémy de Médina, à propos de la charité. (In /* m -/i®, q. ax, a. 3). Discutant le passage où saint Thomas enseigne que l’homme, avant le péché, n’avait pas besoin d’un secours particulier pour aimer Dieu par-dessus toutes choses, mais qu’il en a besoin dans l'état de déchéance : « il s’agit là, dit-il avec raison, d’un amour qui inclut l’observation de tous les commandements relatifs à la loi naturelle et à la fin naturelle, pendant la vie entière. » Puis, se croyant d’accord avec saint Thomas, il distingue deux actes d’amour naturel de Dieu : l’un, par lequel on veut lui plaire en tout et par-dessus tout, d’une volonté inefîlcace et faible, qu’il appelle velléité ; l’autre par lequel on le veut d’une volonté absolue et efficace, à laquelle est lié par conséquent l’accomplissement réel de tous les commandements. « Le premier, dit-il, ne suppose que le concours général de Dieu ; le second exige un concours spécial. » (Q. xiv, a. 13, disp. XIV, memb. 2, p. 63-66.)

Molina veut pousser plus loin cette analyse : il estime qu’il faut admettre, entre l’amour absolu et efficace de Dieu d’une part, et la velléité d’autre part, un amour absolu inefficace. En effet, l’amour efficace de Dieu n’est pas un acte simple ; son efficacité ne dépend pas seulement de la décision prise de servir Dieu, mais de l’observation actuelle des commandements. Elle exige deux conditions : que la volonté décidée à les observer ait reçu les forces suffisantes pour cela, et qu’elle en use librement. Or, l’homme déchu, même s’il est en état de grâce, n’a plus la force d’observer longtemps toute la loi, naturelle ou surnaturelle, sans un secours spécial de Dieu. Ce secours, qui se répartit sur la série de ses actes quotidiens, est très différent de celui par lequel il est justifié ; voilà pourquoi la persévérance dans le bien, même dans l’ordre purement naturel, dépend de la libre coopération de l’homme au secours « quotidien » de Dieu. Un seul et même acte d’amour absolu peut donc être efficace ou non, selon que l’exécution suivra ou fera défaut. Cette remarque permet d’interpréter dans le sens de l’opinion commune des scolastiques le passage de saint Thomas étudié par Médina ; elle permet aussi d’affirmer que, si dans l'état actuel l’homme ne peut plus avoir avec le seul concours général de Dieu, un amour naturel qui inclue l’accomplissement de toute la loi naturelle, comme il le pou ait avant le péché, il lui reste néanmoins possible, quoique plus difficile, de faire un acte absolu d’amour inclinant la volonté à observer toute la loi naturelle. (Q. xiv, a. 13, disp. XIV, memb. 3, p. 65-71.)

Quel amour la contrition inclut-elle ? Il est clair que le contrition naturelle ou même surnaturelle n’inclut ni n’exige l’amour efficace ; l’amour absolu suffit, qu’il doive ou non être efficace : quand le concile de Trente (sess. vi, can. 22) dit que le juste ne peut persévérer dans la justice sans un secours spécial de Dieu, il suppose une justification réelle, et donc une réelle contrition, indépendante de la persévérance. En définitive, Molina soutient que l’opinion des scolastiques anciens sur le pouvoir de la volonté dans l’acte de contrition est probable : 1. parce qu’en l’absence d’objets ou d’occasions de péché, il est facile à l’homme de se décider à éviter le péché à l’avenir, sa nature le portant à choisir de deux maux le moindre ; 2. parce que pareille décision est un acte purement naturel et propre à la volonté libre ; 3. parce

qu’il n’est pas moins difficile d’adhérer aux mystères

révélés que de décider d'éviter le péché à l’avenir ;

4. enfin, parce qu’il se rencontre souvent des hommes

qui se confessent avec la volonté d'éviter tous les péchés mortels sauf un et que cette résolution, en

raison de la restriction qu’elle inclut, ne peut évidemment être prise avec le secours particulier de Dieu. Mais il ne se prononce pas sur l’opinion contraire, adoptée communément dans les écoles de tous les pays, devant y revenir à propos des tentations. (Q. xiv, a. 13, disp. XIV, memb. 4, p. 7$1-$24.) Il s’attache seulement à montrer qu’elle ne s’impose pas du fait que le concile de Trente (sess. xiv, c. iv) a défini que l’attrition est un don de Dieu et un mouvement produit par l’Esprit-Saint. (Q. xiv, a. 13, disp. XIV, memb. 5, p. 71-79.)

La conclusion de tout cela est que : l.dans la production de tous les actes surnaturels nécessaires à la justification nous sommes libres, et que celle-ci dépend de nous ; 2. après la justification nous sommes libres de faire, à l’aide des vertus surnaturelles reçues et des autres secours divins, des actes qui nous mériteront une augmentation de grâce et de gloire, et nous pouvons librement, soit persévérer dans la justification, soit la perdre par le péché mortel. (Q. xiv, a. 13, disp. XV, p. 81-85.)

e) Pouvoir de la volonté libre par rapport ù l’accomplissement de la loi. — Le concile de Trente a défini (sess. vi, c. xi, can. 23) que personne, même en état de grâce et avec les secours qu’ont eus les saints, ne peut sans un privilège spécial, comme celui qu’eut Marie, éviter toute sa vie tout péché véniel. L’opinion commune admet cependant que l’homme peut éviter chaque péché véniel en particulier, puisqu’il n’y a péché que s’il y a liberté. (Q. xiv, a. 13, disp. XVI, p. 85-86.)

Quant à la loi qui oblige sub gravi, la foi enseigne que l’homme en état de grâce peut l’observer longtemps, et même toute sa vie, avec les secours quotidiens que Dieu est toujours prêt à lui donner (C. Trid., sess. vi, c. xi), mais qu’une longue persévérance dans l’accomplissement de toute la loi n’est pas possible sans un secours spécial de Dieu (ibid., c. xiii et can. 22). Il faut ajouter qu’un secours spécial peut devenir nécessaire en raison de la fréquence ou d’une notable difficulté de l’obligation. Les mêmes conclusions s’imposent a fortiori pour l’homme privé de la grâce habituelle. (Q. xiv, a. 13, disp. XVII, p. 87-91.)

La question du pouvoir de la volonté libre, aidée du seul concours général de Dieu, en face des tentations graves et des difficultés parfois considérables que présente l’accomplissement de la loi naturelle, est plus obscure et mérite examen. André de Vega (De justifications et gratin, q.xii, sq.) la résout par la négative : « dans l'état de nature déchue, dit-il, la volonté libre est incapable, avec le seul concours général de Dieu, de surmonter les tentations fortes et même de faire un acte moralement bon qui soit difficile, comme de 'aire profession religieuse, de donner une très large aumône ». Ce fut aussi, semble-t-il, l’opinion de Médina (In II iim -II iii, q. cix, a. 3) et peut-être de Grégoire de Kimini (In Z* iii, dist. I, q. iii, a. 2, ad3nm) ; niais à la connaissance de Molina, elle n’a pas d’autres partisans, quoique Vega la déclare commune et l’attribue a Pierre Lombard, saint Thomas, Durand, Scot. Biel. (Q. xiv, a. 13, disp. XIX, memb. 1, p. 93-9(1.)

Au contraire, saint Thomas, Cajétan, saint Anselme, Durand, Scot, Biel, sont au fond d’accord avec Soto {De natum et gratin, t. I, c. XXII, conclus. 2) et Kuard Tapper (art. De libéra nrbitrio, fol. 316), qui affirment expressément qu’il n’est aucune œuvre bonne pure

ment naturelle que l’homme ne puisse faire avec le seul concours général de Dieu. (Disp. cit., inenib. 2, p. 96 101.)

Après avoir développé les arguments allégués de

part et d’autre (disp. cit., inenib. 8, 1, 5, p. 101-109), Molina se refuse à conclure ; la seconde opinion lui

paraît probable et vers elle vont manifestement ses