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MOGHILA, ECRITS
« orthodoxes », auxquels il accorda non seulement

le libre exercice de leur religion dans toute la Pologne, mais aussi toutes les églises de Kiev, y compris la métropole, et cinq évêchés enlevés aux catholiques. Cf. dom Guépin, Saint Josaphat, t. ii, t. VII, c. ii, Poitiers, 1871. Cette victoire, les « orthodoxes » la devaient à l’habile intervention de Pierre Moghila, qui avait su gagner Ladislas à leur cause. Une des premières mesures du souverain en faveur de l’Église dissidente fut de déposer les évêques dont la promotion avait été irrégulière. Isaïe Kopinskii, ennemi personnel de Pierre, fut compris dans la liste des prélats destitués. Il fut aussitôt remplacé par Pierre Moghila, qui réunit l’unanimité des suffrages du collège électoral. Au dire de certains historiens russes, comme C. Goloubiev, le nouvel élu ne fut pas étranger à l’intrigue qui aboutit à la déposition de son rival. Son élection fut confirmée par Ladislas, le 12 mars 1633, et bientôt reconnue par le patriarche de Constantinople, Cyrille Lucar, de qui dépendait encore à cette époque la métropole de Kiev. Pierre reçut l’ordination épiscopale non à Kiev, où Isaïe Kopinskii se trouvait encore, mais à Léopol, des mains de l’évêque de cette ville, Jérémie Tissarovskii, alors exarque du patriarche œcuménique (28 avril 1633). Goloubiev, Le métropolite de Kiev, Pierre Moghila et ses compagnons d’armes (en russe), t. i, Kiev, 1883, p. 545. Il prit possession de son siège, le 5 juillet, après avoir fait expulser de force son prédécesseur qui, tout le temps qu’il vécut, c’est-à-dire jusqu’en 1640, lui créa bien des embarras. Se souvenant que la Pcchtcherskaïa Lavra était stavropégiaque, et pouvait, de ce chef, échapper à son autorité, il se garda bien de résigner son titre de grand archimandrite du monastère, dont il put ainsi utiliser les ressources pour l’exécution de ses desseins.

Son activité pour la réorganisation et le développement de l’Église ruthène dissidente fut, dès lors, débordante. Elle s’étendit à tous les domaines : fondation de confréries, d’écoles et d’hôpitaux, installation d’une imprimerie à Krzemienec ; restauration ou reconstruction d’églises et de monastères ; édition d’œuvres liturgiques, théologiques, catéchétiques ou polémiques par l’imprimerie de la Lavra de Kiev ; développement de la culture et du goût de la prédication parmi les moines. Le métropolite mit tout en œuvre pour que les siens ne fussent pas trop inférieurs au clergé latin et uniate qui les entourait. Rompant avec, le vieux conservatisme hérité de Byzance, il ne recula pas devant les innovations qui lui parurent nécessaires pour lutter contre les adversaires de l’orthodoxie orientale, et il emprunta hardiment aux Latins les idées et les méthodes qui lui parurent justes et utiles. L’école de Kiev fut medelée sur les collèges des jésuites de Pologne, et l’on y enseigna la théologie avec les principes et la méthode et dans la langue de saint Thomas d’Aquin. On dit adieu aux vieilles querelles byzantines sur les rites et les usages, et l’on ne conserva guère que deux divergences d’ordre dogmatique avec l’Église catholique : la primauté du pape et la procession du Saint-Esprit. Moghila voulut aussi doter l’Église orientale d’un manuel d’instruction religieuse supérieure, analogue au catéchisme du concile de Trente. Cette idée lui vint à l’occasion du désarroi que jeta parmi les « orthodoxes » d’Orient et de Pologne le calvinisme du patriarche de Constantinople, Cyrille Lucar, hautement affiché dans une Confession de foi publiée pour la première fois en 162V. Cf. article Lucar (Cyrille), t. ix, col. 1003 sq. Les Grecs de Constantinople avaient sans doute anathématisé le novateur au synode de 1638, présidé par le patriarche Cyrille de Berrhée ; mais cela ne pouvait suffire. Le métropolite

de Kiev vit clairement la nécessité, pour l’orthodoxie orientale, de se formuler en un corps de doctrine systématique pour s’opposer aux nombreuses cireurs des réformés. Il rédigea un catéchisme développé, qu’il fit d’abord examiner par un synode tenu dans l’église Sainte-Sophie de Kiev, en 1640, et qu’il soumit ensuite à l’approbation du patriarche de Constantinople, à la conférence théologique qui se tint à Iassy, à l’automne de 1642, entre théologiens grecs et théologiens kiéviens. De ces pourparlers sortit la Confession ortholoxe de la foi de l’Église catholique apostolique orientale, autrement dite Confession de foi de Pierre Moghila. Ce document, vu son importance et son histoire compliquée, mérite d’être examiné dans un paragraphe spécial, et n’est pas, en son intégrité, l’œuvre du métropolite de Kiev. Après les additions et corrections que lui fit subir le grec Mélèce Syrigos, Moghila n’y retrouva plus l’expression complète de sa pensée. Il l’oublia ; et n’ayant pu réussir à donner à la foi de l’Église orientale tout entière une expression commune et authentique, il limita désormais son zèle pastoral à l’instruction de l’Église ruthène. Pour elle il composa un catéchisme plus réduit, imprimé, en 1645, en polonais et en ruthène. Pour elle il prépara l’édition du Trebnik ou Grand Euchologe dont l’importance liturgique et dogmatique est considérable.

Ce dernier ouvrage sortait à peine des presses de la Pechtcherskaïa Lavra, lorsque l’actif prélat fut arrêté par la mort, au moment, où il venait de terminer sa cinquantième année (22 décembre 1646). L’Église dissidente de Pologne perdait en lui son chef incontesté, quoique peu aimé, à cause de son caractère cassant et autoritaire, l’Église catholique un adversaire décidé, mais non fanatique, qui par la largeur de ses vues et le tonmodéré de sa polémique laissait bien loin derrière lui la plupart des polémistes anticatholiques d’Orient et d’Occident. Son influence doctrinale et liturgique favorisa plus l’union que le schisme. Grâce à lui bien des éléments catholiques pénétrèrent dans l’Église russe proprement dite et y atténuèrent l’influence byzantine et grecque. Par lui et par ses disciples la pensée religieuse russe prit contact avec l’Occident catholique, presque à la veille du jour où Pierre le Grand allait ouvrir la Russie à la culture occidentale. Plus d’une fois il lit concevoir à Rome l’espoir de son adhésion à l’union de Brest. On conserve du pape Urbain VIII deux lettres relatives à des négociations en vue d’une entente sur les bases des décisions du concile de Florence. Lettres du 10 juillet 1636 et du 3 novembre 1643, publiées par A. Theiner, Vetera monumenta Polonix, Rome, 1860-1864, t. iii, p. 412, 425. Cf. A. Malvy et M. Viller, La confession orthodoxe de Pierre Moghila, métropolite de Kiev, Paris, 1927, p. xv-xvii. Cet espoir fut déçu, bien que certains aient parlé d’une adhésion secrète du métropolite au catholicisme, à son lit de mort. Cf. Guépin, op. cit., t. ii, p. 372.

IL Écrits et doctrine. — Pierre Moghila fut plutôt un homme d’action qu’un homme d’études, un administrateur et un pasteur plutôt qu’un théologien de profession. Les écrits qu’il a composés lui-même, ceux qu’il a fait éditer à l’imprimerie de la Lavra de Kiev, et ceux qu’il a inspirés portent presque tous la marque pastorale. Chez lui, point de spéculation philosophique ou théologique, point de dispute byzantine. Il ne vise qu’à enseigner au peuple les éléments de la doctrine, à former des prêtres suffisamment instruits, à leur fournir des livres liturgiques corrects avec des règles pratiques pour l’administration des sacrements et l’exercice du ministère paroissial. En cela même il est original, et prend des initiatives qui surprennent chez un prélat dépendant,