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MODERNISME, CONDAMNATION PAR L’ÉGLISE


le drapeau de la « réforme catholique », mais sans parvenir à prendre beaucoup de crédit. Le Reformkatliolizismus trouvait cependant un soutien dans la Krausgesellschaft, « société pour le progrès de la religion et de la civilisation », fondée en 1904, et qui maintenait dans le monde laïque les traditions libérales ainsi que les préventions anti-romaines de l’illustre historien rhénan. De ces tendances et de ces milieux naquit une ligue pour la réforme de l’Index, qui se constituait secrètement à Munster au printemps de 1906 avec le concours de plusieurs députés du Centre, mais qui s’effondra aussitôt qu’elle fut dénoncée au grand public.

Sur le terrain doctrinal, en revanche, la situation de l’Allemagne restait, dans l’ensemble, calme et saine. Quelques feuilles libérales firent seules bon accueil aux publications d’A. Loisy, et G. Tyrrell semble y être resté fort peu connu. La polémique soulevée en 1907 par les attaques d’Ern. Commer contre la mémoire théologique d’H. Schell, avait surtout un caractère personnel et ne touchait pas aux principes du dogme catholique. Comme manifestations inquiétantes dans l’ordre des idées, on n’a pu relever après coup que la brochure de K. Gebert : Katholischer Glaube und die Eniwickelung des Geisleslebens ( La foi catholique et le développement de la vie de l’esprit), Munich, 1905, programme d’une philosophie religieuse adaptée au subjectivisme kantien, et le volume de Th. Engert, Die Urzeit der Bibel (Les premiers temps de l’histoire biblique), Munich, 1907, où l’auteur donnait son adhésion aux thèses les plus radicales de la critique et proclamait, en conséquence, la nécessité de reviser le concept de l’inspiration. L’un et l’autre, du reste, n’étaient que des personnages de second ordre, dont les écrits n’eurent pas le moindre retentissement.

Est-il besoin de dire que, grâce aux informations de presse ou aux traductions d’ouvrages, ces facteurs de modernisme se multipliaient l’un par l’autre à travers les différents pays ? Il n’en fallait pas tant pour constituer une de ces crises doctrinales graves, auxquelles l’autorité du magistère ecclésiastique peut seule mettre fin.

IV. Condamnai ion du modernisme par l’Église.

— Dès la fin de 1903, l’Index avait frappé les principaux ouvrages d’A. Loisy, en même temps que La question biblique… au XIXe siècle d’A. Houtin. Au cours des années suivantes, de semblables condamnations atteignirent successivement les plus caractéristiques des productions déjà signalées : les deux volumes de L. Laberthonnière (5 avril 1906), La question biblique au xx° siècle d’A. Houtin (Il décembre 1906), Dogme et critique d’Éd. Le Roy (26 juillet 1907). C’étaient là de premières indications.

Un coup plus grave fut porté au modernisme italien par les mandements épiscopaux qui se succédèrent à partir de décembre 1905. Voir Un allarme dell’episcopato ilaliano contrn il rilormismo religioso, Gênes, 1906. La série fut close par l’encyclique Pieni l’animo (28 juillet 1900), où Pie X dénonçait en termes émus les tendances novatrices du mouvement, et prenait des dispositions pratiques pour l’arrêter A peine paru, le Rinnovamento se voyait condamné par l’archevêque de Milan sur les ordres du cardinal préfet de l’Index (29 avril 1907). Chez nous, des mesures de blâme, prises par le cardinal Richard et les évêques de la région parisienne, désavouaient également Demain (28 novembre 1906), puis la Revue d’histoire et de littérature religieuses (28 mai 1907).

Mais ces interventions étaient purement locales ou de trop faible autorité. Aussi bien ne faisaient-elles que préluder à des actes plus importants qui allaient bientôt voir le jour.

1° Décret « Lamentabili sane exilu » (3-4 juillet 1907).

— C’est au Saint-Office que, préoccupé des erreurs qui menaçaient l’Église, le pape réservait d’en porter une première et solennelle condamnation.

1. Histoire.

En raison de leur gravité, les petits « livres rouges » d’A. Loisy firent, de bonne heure, concevoir l’idée d’un document pontifical qui en dégagerait nommément les erreurs. Aussi, par analogie avec l’acte célèbre de Pie IX, parlait-on couramment, un peu partout, d’un nouveau Syllabus.

De fait, cette censure était tout au moins préparée, dès octobre 1903, par les soins de deux théologiens parisiens, G. Letourneau et P. Rouvier, qui présentaient au cardinal Richard une liste de trente-trois propositions extraites des deux ouvrages litigieux. Cette pièce fut transmise au Saint-Office, qui n’en tint pas compte momentanément mais ne la perdit pas de vue. On a remarqué, en eiïet, que le décret définitif reprend « mot à mot ou à peu près » une vingtaine des propositions indiquées dans le projet parisien. Voir M. Clément, Vie du cardinal Richard, p. 408.

Suivant les habitudes de la Sacrée Congrégation, une commission spéciale dut y être constituée, dont auraient fait partie, entre autres, les cardinaux Rampolla, Steinhuber, Vives y Tuto. Au franciscain David Fleming aurait été confié le rôle de rédacteur. Voir A. Michelitsch, Der neue Syllabus, Graz et Vienne, 1908, p. 75. La liste parisienne prise pour base fut remaniée, enrichie de plusieurs nouveaux éléments, allégée de quelques autres. Dans l’intervalle de cette élaboration, les commentaires de la presse allaient leur train : tantôt on donnait le futur Syllabus comme imminent, tantôt on le disait ajourné. Il fut définitivement arrêté dans la séance du 3 juillet 1907 et soumis à la signature du pape le lendemain.

2. Objet.

Ce document s’ouvre par une petite préface qui en indique le but. On y déplore les « erreurs graves » commises par des écrivains catholiques « en assez grand nombre », qui, « sous prétexte d’intelligence plus profonde et d’investigation historique, recherchent un progrès des dogmes qui en est, en réalité, la corruption ». Ce travail funeste s’accomplit sur deux champs principaux : l’interprétation des Écritures et l’explication des mystères de la foi. En vue de remédier à ce mal, le souverain pontife a chargé « la sainte Inquisition romaine et universelle » de < noter et réprouver les principales de ces erreurs. »

Après cette introduction vient une série de 65 propositions, qui se suivent sans autre indication que celle de leur numéro d’ordre. On y distingue aisément sept groupes consécutifs : autorité du magistère de l’Église en matières bibliques et autres, n. 1-8 ; inspiration et historicité des Livres saints, des Évangiles en particulier, n. 9-19 ; notions fondamentales de révélation, de dogme et de foi, n. 20-26 ; origine et développement du dogme christologique, n. 27-38 ; puis du dogme sacramentaire en général et des divers sacrements, n. 39-51 ; institution et constitution de l’Église, n. 52-57 ; caractères généraux et valeur de la doctrine chrétienne dans son ensemble, n. 58-65.

Dans ces divers groupes, les erreurs visées se réfèrent aux thèmes suivants : indépendance du travail scientifique, spécialement de l’exégèse sçripturaire, par rapport à l’autorité de l’Église ; naturalisme qui ramène l’inspiration des Écritures à un phénomène tout humain et conteste l’inerrance des Livres saints ; criticisme qui enlève à ces écrits leur valeur historique ; subjectivisme qui fait de la révélation une simple perception de notre conscience ; pragmatisme religieux qui ne veut voir dans le dogme qu’une règle de conduite ; évolutionnisme qui, après avoir coupé les dogmes catholiques de leurs origines dans l’Évangile, en explique la genèse par l’élaboration progressive