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MODERNISME, APPARITION HISTORIQUE


entretenait une correspondance régulière avec A. Loisy et Mgr Mignot ; en Italie, il était l’intime de G. Semeria. Sa vaste culture et l’ardeur de sa foi, l’une et l’autre servies par sa situation de grand seigneur, lui permettaient d’être pour tous, suivant les individus ou les occasions, le maître qui stimule, l’ami qui encourage, le Mécène qui protège, plus rarement le Mentor qui conseille et retient. Au développement de l’apostolat scientifique et de l’école restreinte où il le croyait exclusivement représenté, il devait consacrer toute sa vie.

Un semblable rôle a tenté le zèle du pasteur Paul Sabatier (1858-1928). Formé lui-même à la théologie la plus libérale par son homonyme Aug. Sabatier, il fut tourné par ses études franciscaines vers les choses catholiques, et en garda le goût de travailler à la réforme de l’Église. Son libéralisme personnel le poussait à rechercher les relations ecclésiastiques et lui permit souvent d’en trouver. Mais son action devait surtout s’exercer au dehors par la parole et la presse, en vue d’intéresser l’opinion protestante ou laïque de France, d’Angleterre et d’Italie aux personnes et aux œuvres qu’il jugeait propres à régénérer l’Église catholique. Ce genre de ministère l’a fait surnommer plaisamment le « pape du modernisme ><.

Après un quart de siècle, le recul de l’histoire commence à mettre en suffisante lumière l’existence et la convergence de ces divers facteurs. Sans qu’on pût alors s’en apercevoir, ils préparaient en sourdine l’explosion d’un mal dont seul le fait de cette lente incubation explique la subite gravité.

III. Apparition historique du modernisme. — C’est en France d’abord, comme tout le faisait prévoir, que la crise se produisit.

Quelques épisodes précurseurs en dénoncèrent la proximité. Les premiers débats sur la question biblique, tranchés par l’encyclique Providenlissimus (1893), laissaient derrière eux une sourde agitation. Puis ce fut la controverse américaniste qui troubla les dernières années du xixe siècle. Voir A. Houtin, L’américanisme, Paris, 1904. Elle ne portait que sur des questions d’ordre pratique et la lettre de Léon XIII au cardinal Gibbons (22 janvier 1899), voir Américanisme, 1. 1, col. 1043-1049, eut pour résultat de ramener aussitôt la paix. Mais des entraînements et des passions polémiques s’y manifestèrent, dans les deux camps opposés, qui présageaient des troubles autrement graves quand le dogme serait en jeu.

La controverse apologétique, provoquée par L’Action de Maurice Blondel, Paris, 1893, et sa Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique, dans Annales de phil. chr., janvierjuillet 1890, touchait davantage à la doctrine et commençait à poser, non sans beaucoup de confusions, le problème de l’immanence. Voir Apologétique, t. i, col. 1577-1578. Par sa nature et par les discussions qu’il souleva, le sujet n’allait plus cesser d’être brûlant.

En même temps, la critique naissante se heurtait à de graves difficultés. Tandis que la Revue d’histoire et de littérature religieuses s’intitulait < purement critigue> et faisait profession de n’étudier que des faits en laissant aux théologiens le soin de les concilier avec la doctrine, ailleurs on acceptait l’enseignement ecclésiastique comme une donnée ferme, et P. Batiffol, A propos de. Richard Simon, dans Bulletin de litt, ceci., 1900, p. 257-208, diagnostiquait, smisjacente à cette critique sans frein, les premières formes (runc philosophie religieuse incompatible avec les dogmes de l’Église. Néanmoins le jésuite.1. Fontaine

dénonçait pèle mêle les uns et les autres dans un volume au titre provocant : Les infiltrations proiestantes et le clergé français, Paris, 1901, qui avait

bientôt pour suite Les infiltrations kantiennes et protestantes, Paris, 1902. Contre ces attaques injustes et passionnées, le P. Lagrange, P. Batiffol et son collaborateur le jésuite E. Portalié de réagir avec énergie, en revendiquant à la fois, contre les extrémistes de droite aussi bien que de gauche, les droits de la critique et la suprême juridiction de l’Église. Voir Bulletin de litt. eccl., 1901, p. 91-93 ; Revue du clergé français, 1901, t. xxvi, p. 526-527, et t. xxvii, p. 189193, 305-307.

Une via média se dessinait de la sorte, qui permettait de concilier les exigences respectives de la science et de la foi, mais que le tumulte des controverses rendait difficile à tracer non moins qu’à tenir. Ce qui préparait bien des confusions supplémentaires pour le moment où éclaterait le grand débat.

Modernisme philosophique.

Pour autant qu’on

puisse introduire des classifications dans un mouvement aussi complexe, il y a lieu de distinguer un modernisme d’ordre principalement philosophique. Ce fut la première en date de ses manifestations et celle qui, sous diverses formes, devait persister le plus longtemps.

1. Symbolisme religieux.

Il ne s’agit guère ici que d’un cas individuel, mais déjà significatif d’une tendance : celui de Marcel Hébert (1851-1916). Voir A. Houtin, Un prêtre symboliste, Paris, 1925.

Comme directeur de l’école Fénelon, l’auteur occupait une position honorable et très en vue dans le clergé de Paris. Spéculatif par tempérament et par goût, il n’avait pas tardé à prendre une place assez importante aux Annales de philosophie chrétienne. Mais la critique kantienne avait miné peu à peu dans son esprit les fondements rationnels de la foi, en particulier la notion du Dieu personnel qui fut pour lui la pierre d’achoppement. Pour ne pas renoncer, malgré tout, au bénéfice des trésors de vie spirituelle que renferme l’Église, il en était venu à interpréter ses dogmes et tout autant les postulats de la religion naturelle, comme autant de symboles sous lesquels se cacheraient les vérités morales dont a besoin l’humanité.

A peine d’ailleurs laissa-t-il transpirer ses convictions intimes au cours d’un dialogue entre Platon et Darwin, qu’il donnait aux Annales dans les premiers mois de 1893. Un second de tendance plus accusée : Quand viendra le parfait… parut anonyme dans la même revue, en mai 1900. Mais l’un et l’autre passèrent à peu près inaperçus.

Dans l’intervalle, M. Hébert avait écrit un exposé plus clair et plus complet de son système, sous la forme d’une conversation avec un vieux capucin qui devenait le confident et le patron du symbolisme le plus décidé. La brochure était intitulée : Souvenirs d’Assise et circulait sous le manteau, sans nom d’auteur, depuis 1899. Une indiscrétion la lit tomber entre les mains de l’autorité diocésaine en juin 1901 et M. Hébert, ayant refusé toute rétractation, fui aussitôt relevé de son poste. Une étude sur « la dernière idole », savoir la personnalité divine, publiée en juillet 1902 dans la Revue de métaphysique et de morale, acheva sa rupture avec l’Église.

Au total, M. Hébert ne fut jamais qu’un isolé sans Influence notable : son cas n’a pas d’autre intérêt que celui d’un témoignage sur la crise qui était en voie de s’accomplir dans certains milieux cultivés.

2. Le <’dogmatisme moral ». En revanche, une

véritable école philosophique sciait formée, qui se réclamait de M. Blonde] et, sous le nom de dogmatisme moral », appliquait les principes de L’Action, non plus seulement à la méthode apologétique, mais à l’ensemble du problème religieux.

Sa tendance générale elail de substituer à l’intellec-