Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/361

Cette page n’a pas encore été corrigée
2015
2016
MODERNISME, PRÉPARATION


de Schleiermacher et de Ritschl, dont l’influence reste encore prépondérante sur la théologie d’outre-Hliin. Voir G. Goyau, L’Allemagne religieuse : Le protestantisme, Paris, 1898, p. 72-122. En Angleterre, une ligue d’ecclésiastiques libéraux existe depuis la lin de 1898, cjui viennent de prendre officiellement le titre de « modernistes ». Voir P. Charles, Le modernisme anglican, dans Xouvelle revue llwologique, 1924, t. li, p. 1-14, et H. D. A. Major, English modernism, Cambridge et Londres, 1927.

Favorisé par le « lidéisme » d’Eug. Ménégoz, le libéralisme a notoirement envahi le calvinisme français avec Aug. Sabatier. L’Esquisse d’une philosophie de la religion de ce dernier, Paris, 1897, complétée par Les religions de i autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1901, connurent le plus grand succès et sont encore aujourd’hui des œuvres classiques. On leur doit d’avoir vulgarisé chez nous la doctrine des libéraux allemands.

2. Portée du protestantisme libéral.

Qu’il en prenne ou non l’étiquette, le protestantisme libéral est, à n’en pas douter, au double sens négatif et positif du terme, un véritable modernisme doctrinal.

En effet, tous ses partisans sont d’accord pour accepter les postulats de la critique kantienne. Il est entendu que Dieu est inaccessible à l’intelligence, que toute révélation objective est impossible, que les dogmes qui prétendent en exprimer le contenu sont des créations subjectives dénuées de valeur. A la place de ce système périmé, on établit la religion sur les seuls besoins intimes de l’âme. De cette expérience religieuse la révélation chrétienne n’est qu’une forme plus parfaite, que des énoncés dogmatiques nécessairement inadéquats et toujours révisables s’efforcent de traduire en propositions intellectuelles appropriées aux exigences variables des individus et des temps. Toutes ces thèses sont exposées et systématisées dans l’Esquisse d’Aug. Sabatier. Voir .Mgr Mignot, L’évoluliunnisme religieux, dans le Correspondant du 10 avril 1897, repris dans L’Église et la critique, Paris, 1910, p. 3-87.

A cette philosophie s’ajoute une histoire, aux ternies de laquelle l’Évangile de Jésus fut la pure « religion de l’esprit », sans dogmes, ni rites, ni hiérarchie, tandis que l’organisation ecclésiastique est expliquée par l’influence du milieu sur le christianisme naissant. Le second ouvrage du même A. Sabatier est la parfaite expression de ce système. On ne saurait concevoir une plus complète liquidation du christianisme traditionnel.

Cependant le protestantisme garde figure d’Église. D’où la nécessité, pour les pasteurs libéraux, d’employer les formulaires et les rites reçus, quitte à les accommoder à leur théologie par un jeu de perpétuelles transpositions. Le protestantisme libéral s’achève ainsi, dans la vie ecclésiastique, par ce qu’on a fort bien appelé L’organisation de l’équivoque ». (i. Govau, art. Réforme, dans Diction, apolog., t. iv, col. 677.

A ce double titre, le protestantisme libéral donne l’image de ce qui se serait produit dans l’Église si le modernisme s’y fût installé. Volontiers on lui attribue parfois le rôle de cause par rapport au modernisme catholique. Les faits autorisent foui au plus à lui reconnaître une influence lointaine, dans la mesure où sa philosophie religieuse a pu imprégner l’esprit public.

3° Milieu immédiat de la crise catholique. Il était inévitable que l’action des mêmes causes se fil également seul ir dans l’Église. Api es la querelle du vieux libéralisme politique, qui a passionné toute la première moitié du ix siècle, voir LIBÉRALISME, après les débats sur la papauté dont les définitions du

concile de Vatican furent le centre, allait, en effet, surgir le gros problème de la critique et de ses répercussions sur la dogmatique ou l’apologétique traditionnelles. En même temps que les plus légitimes efforts, l’optimisme qui caractérise le pontificat de Léon XIII, voir t. ix, col. 353, risquait de susciter indirectement des initiatives imprudentes ou mal venues. Suivant le milieu plus ou moins favorable que créaient aux sciences religieuses les facteurs locaux, le modernisme allait être plus ou moins actif dans les diverses branches de la chrétienté.

1. En France.

Avec cette passion pour les idées, ce besoin de logique et cette générosité intellectuelle qui sont les marques du tempérament national, la France est, sans nul doute, le pays du monde qui réunissait le plus d’éléments pour une crise doctrinale.

Dans l’ordre scientifique, le besoin se faisait sentir de reprendre les traditions d’activité intellectuelle qu’avait brisées la Révolution. La reconstitution des Instituts catholiques favorisait le renouvellement des sciences sacrées. Sous la haute impulsion de Mgr d’Hulst, Paris donnait le ton : L. Duchesne y régénérait la critique historique, tandis qu’un de ses jeunes disciples, A. Loisy, semblait prédestiné à la même œuvre dans l’ordre de l’exégèse. La province emboîtait le pas : Toulouse surtout, grâce à P. Batiffol, se spécialisait dans les travaux de théologie positive, qui allaient bientôt provoquer, à Lyon, les ouvrages classiques de J. Tixeront sur l’histoire ancienne des dogmes chrétiens. En même temps, le P. Lagrange créait à Jérusalem un centre d’études bibliques qui prenait dès ses origines une place de premier plan.

Ces divers foyers rayonnaient à l’extérieur par des publications qui portaient au loin leur influence. Aux œuvres de fond il faut ajouter les périodiques diversement spécialisés. La science et l’esprit de L. Duchesne avaient longtemps animé le Bulletin critique ; dès 1892, l’école de Jérusalem éditait la Revue biblique internationale ; en 1896, sous la direction d’A. Loisy et de P. Lejay, commençait à paraître la Renie d’histoire et de littérature religieuses ; trois ans plus tard, â Toulouse, P. Datiffol publiait le Bulletin de littérature ecclésiastique. En même temps se créaient des revues de vulgarisation à l’usage du grand public : savoir, en décembre 1891, la Rame du clergé français, destinée surtout aux prêtres ; en novembre de la même année, la Quinzaine, qui atteignait davantage les milieux laïques.

Un travail analogue s’accomplissait dans l’ordre des études philosophiques. Tandis que s’ébauchait lentement la restauration scolastique encouragée par Léon XIII, un certain nombre de laïques et de prêtres s’appliquaient de préférence à l’utilisation de la philosophie moderne. Rajeunies, en avril 1895, par Ch. Denis, les Annales de philosophie chrétienne leur servaient d’organe.

Parallèlement à cet élan général de la science ecclésiastique, les démocrates chrétiens, groupés autour des abbés Lemire, Dabry, Naudet, puis de Marc Saugnier et du Sillon, travaillaient au renouvellement de L’action sociale. Étrangers aux préoccupations scientifiques, les uns ou les autres ne s’en Laissaient pas moins entraîner parfois, dans l’intention de moderniser l’apostolat catholique, à des Interventions sur le terrain doctrinal.

Il s’en faut que tout rôt d’égale valeur dans les

œuvres ou les tendances de ces personnalités et de

ces groupes. En laissant de côte les apôtres de la démocratie, trop incompétents en matière île science pour n’y point faire quelques faux pas. tous ceux qui

Invoquaient à pleine voix la critique n’avalent pas