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MITIGATION DES PEINES DE LA VIE FUTURE


sous une forme ou sous une autre, implorent la miséricorde divine en vue d’apporter un soulagement aux tourments de l’âme qu’on a tout lieu de craindre damnée : ut saltim vcl inler ipsa tormenta quæ forsilan palitur re/rigerium de habundunliu miseralionum luarum sentiatur ; ut vel veniam opéra manuum luarum sentiatur in inferis quem ad imaginent luam creatus es ; … inlerccdentibus sanctis luis anima funuili lui illius pro habundantia démentis tuæ pium te sentiai in inferis quæ mullorum forsitan pcr justiliæ meritum sentit in pœnis.

L’oraison principale, que nous avons citée en premier lieu, ne s’appuie pas seulement sur les paroles de saint Augustin ; elle reflète également l’influence de certains passages de l’Écriture, interprétés dans un sens favorable à la mitigation. Elle invoque la puissance divine qui fait mourir et qui fait vivre, qui fait descendre aux enfers et qui en fait remonter : Deus qui habes potestatem morlificare et ilerum vivificare, deducere ad inferos et reducere, et vocare ea quæ non sunt tanquam ea quæ sunt… On sent ici l’influence de I Reg., ii, 6, et de Rom., iv, 17. « On ne peut songer, écrit dom Cabassut, art. cit., p. 69, à donner une liste complète des sacramentaires et des missels manuscrits ou imprimés, dans lesquels on rencontre la messe pro cujus anima dubitatur. Elle n’est pas dans tous. Mais… cette messe eut une assez grande diffusion. On notera qu’elle fut admise assez tardivement (xve siècle) par le missel romain d’où elle ne fut éliminée qu’à l’époque de la réforme de saint Pie V. » On retrouve en effet le plus grand nombre des formules du sacramentaire de Gellone dans un manuscrit de SaintGall, qui n’est autre que le Sacramentarium triplex (aujourd’hui à Zurich, biblioth. de la ville, C. 43, xe -xie siècle), dans un manuscrit de Saint-Biaise ; dans un sacramentaire de Subiaco (xi c s.), conservé à la Vallicellane (i ?, 24, fol. 95). Cf. Gerberl, Monumenta veleris lilurgiæ alemannicæ, Saint-Biaise, 1777, t. i, p. 329 ; 329-330. Dans son ouvrage Vêtus liturgia alemannica, Saint-Biaise, 1776, t. ii-m, p. 1027, Gerbert mentionne également un ancien sacramentaire (vm* s. environ) de l’abbaye de Saint-Corneille de Compiègne, où l’on trouve, au mémento des défunts, des prières pour les âmes qui sont en enfer. On retrouve une messe semblable à celle du sacramentaire de Gellone dans des missels imprimés à Constance, Bâle et Worms, au xv siècle, ainsi que dans les éditions du missel romain publiées à Nuremberg, en 1484, et à Venise, en 1479. 1491, 1501 et 1510. On en lit des parties notables dans une messe du missel romain imprimé à.Milan, en 1474, et dans les éditions successives de Venise, 1505, 1508, 1509 ; de Paris, 1530, 1540 ; de Venise, 1543, 1558, 1560, 1561. Elle est donnée par Pamelius, Liturgicon Ecelesiæ latinæ, Cologne, 1571, t. ii, p. 157. Mais elle disparaît du missel après la révision de saint Pie V.

D’autres textes liturgiques font allusion à un adoucissement des peines de l’enfer, en raison principalement de la croyance, fort répandue dans le haut Moyen Age, à une interruption totale des supplices éternels qui aurait eu lieu lors de la descente du Christ aux enfers. Dom Cabassut rappelle les vers de Dracontius († 450) ;

Duin vita per émois.

J.imina mortis adit, Stygii tremuere ministri EOugiunt tormenta reos, invita pepercit Tortorum metuenda manus… P. L., 1. i.x, col. 812.

Voir la même idée reprise dans le poème De Actibus ApOSlolorum, t. I, ꝟ. 178 sq., du sous-diacre Aralor, P. L., t. Lxviii, col. 112-113 (vi* s.) ; exprimée dans Le J’osl soucias de la Missa prima die sanettim l’ascluc du Missale gothicum (vn’-vm* s.), éd. 11. M. Bannister, Londres, 1917, t. i, p. 8I( ; et dans le Post sanctus d’une

messe pour le mercredi de Pâques dans le sacramentaire mozarabe édité par dom M. Férotin, dans Monumenta Ecclesiæ titurgica, t. vi, p. 270. Tous ces textes s’expriment au passé : ce n’est que pendant le séjour du Christ aux enfers que les damnés cessèrent momentanément de souffrir. D’après quelques auteurs, chaque année, à Pâques, en souvenir de cet événement, les supplices des damnés sont suspendus ou adoucis. Cf. Prudence, Catliemerinon, hyinn. v, 125 sq. ; P. I… t. ux, col. 827. Toutes ces indications sont fournies par dom Cabassut, art. cit.

3. Rien d’étonnant que des théologiens scolastiques se soient emparés de cette croyance pour en formuler la théorie. Sans souscrire à l’exagération du P. Faber, I.e précieux sang. c. iii, p. 167. qui assure qu’ « avant Pierre Lombard, la généralité des théologiens soutenaient qu’à la longue il survenait quelque adoucissement dans la rigueur des tourments de l’enfer », il faut reconnaître avec saint Thomas, In /vum Sent., dist. XLV, q. ii, a. 2, quatre opinions ayant cours, relativement à la mitigation des peines de l’enfer, eu égard aux suffrages des fidèles en faveur des damnés. — 1° L’opinion de Prévostin admet, en raison des prières, une dilation de la peine éternelle jusqu’au moment du jugement. Mais le Docteur angélique repousse cette hypothèse, comme contraire à la divine providence qui ne peut supprimer la peine, si auparavant la faute n’est enlevée. — 2° L’opinion de Gilbert de la Porrée et de ses disciples imagine une progression indéfinie dans la mitigation, tout au moins jusqu’au jugement dernier. Cette progression suivrait une loi arithmétique qui n’aboutit pas à la suppression totale : ainsi la division et subdivision d’une ligne peut se faire théoriquement à l’infini sans jamais aboutir à la négation totale de la quantité. Mais saint Thomas considère cette opinion comme défectueuse à plusieurs litres : on peut d’abord critiquer la comparaison établie entre une quantité matérielle et une « quantité spirituelle » ; puis, dans l’application des suffrages aux damnés, il reste inexplicable que la valeur d’application de suffrages identiques aille toujours en décroissant ; on s’étonnera, de plus, que la peine puisse être remise en partie tant que la coulpe demeure intégralement ; et enfin, la comparaison même de la subdivision de la ligne nous conduit à une quantité imperceptible par les sens, c’est-à-dire à l’équivalent du néant. — 3° L’opinion de Guillaume d’Auxerre, In IVum Sent., dist. XIV. q. i, admet, non une diminution ou une interruption de la peine en raison de nos prières, mais une force nouvelle accordée aux patients. Et saint Thomas de rejeter cette doctrine connue présomptueuse, vaine cl déraisonnable. Présomptueuse, parce qu’elle est contraire aux dires des saints ; vaine, parce qu’elle ne repose sur aucune autorité sérieuse ; déraisonnable, parce qu’elle a contre elle l’enseignement de la saine théologie : « Les damnés en enfer sont en dehors du lien de la charité, qui permet aux bonnes œuvres des vivants de se reverser sur les défunts : ils sont parvenus à l’état de terme et sont rétribués selon leurs mérites, tout comme les saints dans la patrie. Ce qui manque de peine ou de gloire aux défunts par rapport à leur corps ne modifie pas en eux l’étal de ferme… et ne peut in Huer en rien sur la peine ou la gloire essentielle. > 1° Saint Thomas n’accorde quelque

consistance qu’à l’opinion selon laquelle nos prières seraient utiles aux damnés, non par un allégement quelconque de leurs peines, mais par la connaissance qu’ils auraient de la pensée pieuse qui s’est portée vers eux : opinion cependant inadmissible, eu égard à la loi commune qui veut que les damnés ne sachent pas ce que font sur ferre les vivants.

1. Au xvii"’siècle, le P. Petau et, au début du