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    1. MIRACLE##


MIRACLE, DÉFINITION THÉOLOGIQUE

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Toutefois, il faut bien admettre un sens acceptable des formules : dérogation à la loi, violation de la loi. Chez saint Thomas, l’expression contra naturam est certainement employée ; elle ne signifie nullement une violence imposée à la nature ; car la nature des choses est essentiellement dépendante de leurs causes ; or, Dieu est la cause de tout être ; donc Dieu peut agir en lui selon sa libre volonté ; il ne lui fera aucune violence. Dieu ne change pas la nature des êtres : le miracle n’est pas contra rationes séminales rerum. Dieu ne pose, par rapport à lui, aucune dérogation aux lois qui régissent l’activité des êtres. Seulement, en vertu de l’intervention de Dieu, résultent dans la nature des elîets qui sont proportionnés à l’intervention divine et sont préternaturels comme elle. La nature constituée reste ce qu’elle est ; elle n’agit pas, si on la considère en elle-même, autrement que sa loi ne l’y porte ; mais l’intervention ûi Dieu superpose à la nature quelque chose qui, dépassant les forces de toute nature créée, est proprement préternaturel ou divin. Le miracle qualifié contra naturam est donc simplement celui qui rencontre dans la nature une disposition contraire à l’effet qu’il pose. Considéré du côté du sujet dans lequel il se réalise, ce miracle paraît contra naturam ; considéré du côté de l’agent qui le pose, il est, comme tout miracle, un simple prœter naturam. « En réalité le miracle comporte seulement la suspension de l’application d’une loi naturelle à un cas particulier par l’intervention de la cause qui est supérieure à toute la nature. » Van Hove, op. cit., p. 89. Mais, peut-on ajouter avec le même auteur, « comme l’exercice de l’activité est le terme normal d’une puissance opérative, on peut dire que son empêchement constitue une violation de la loi. » Cf. Cxarrigou-Lagrange, De revelatione, t. ii, p. 45 ; Ottiger, Theologia fundamenlalis, Fribourg-en-B., 1897, t.i, p. 179-180.

3. La finalité du miracle. —

Par définition, le miracle suppose une intervention spéciale de Dieu, modifiant dans un cas particulier le cours normal des choses ; on ne peut donc le concevoir, de potentia ordinala Dei, qu’en raison d’un motif proportionné à cette intervention spéciale. Loin donc de considérer le miracle comme ayant sa fin en lui-même, ou comme une correction apportée par Dieu à son œuvre première, la théologie catholique enseigne expressément que le miracle est ordonné à une fin particulière supérieure, principalement sinon exclusivement une fin religieuse. Ainsi saint Thomas nous le présente comme opéré en témoignage de la foi, Sum. the.ol., I a, q. cxii, a. 2 ; Ia-IIæ, q. exi, a. 4, ad3um ; II^-II 33, q. ii, a. 1, ad lum, a. 9, ad 3um ; q. clxxviii, a. 1, ad 5um ; III a, q. vii, a. 7 ; q. xxix, a. 1, ad 2um ; q. xxxi, a. 1, ad 2um ; q. xliii, a. 1 ; q. xliv, a. 1 ; q. lui, a. 1 et 2, et loc. parai. ; en témoignage de la divinité du Christ, III a, q. xl, a. 1, ad lum ; q. xliii, xliv, lui, a. 1 ; q. lv, a. 6 ; en témoignage de la sainteté du thaumaturge, IF-II 33, q. clxxviii, a. 2 ; III a, q. lxiii, a. 1 ; en vue du salut de l’humanité et de l’utilité de l’Église. Ia-IIæ, q. exi, a. 5 ; III a, q. xliv, a. 1, ad 3um et 4um ; a. 3, ad lum, a. 4. Et d’autre part, se fondant sur l’Évangile, Marc, vi, 5, saint Thomas admet que le miracle devient impossible de potentia ordinata, si, à cause par exemple de la prévision certaine de son mm jue d’efficacité, sa raison d’être n’existe pas. IÏI a, q. xliii, a. 2, ad 2um. Cf. Van Hove, op. cit., p. 126.

Cette finalité religieuse du miracle est, dans l’ordre présent, une finalité surnaturelle, puisque la religion que le miracle confirme est, en fait, surnaturelle. Les théologiens se demandent si le miracle est essentiellement ordonné à une finalité surnaturelle, de telle sorte que, dans un ordre hypothétique purement-naturel, il n’eût pu trouver place. Certains textes de saint Thomas semblent favoriser la réponse qui affirme la possibilité d’une finalité religieuse naturelle. Tels les textes où il est dit que le miracle doit servir à l’instruction des hommes, II a -II ie, q. xcvii, a. 2, ad 3um ; à la confirmation des prophéties, IIa-IIæ, q. v, a. 2 ; q. clxxi, a, 1 ; clxxiv, a. 3, ad 3um et a. 4 ; ou à celle de la doctrine du thaumaturge, IIa-IIæ, q. clxxviii, a. 2 ; III 1’, q. xxvii, a. 5, ad 3um ; q. xxxviii, a. 2, ad 2um ; q. xlii, a. 1, ad 2um ; q. xliii ; q. lv, a. 6, ad lum, quoiqu’il soit vraisemblable ici qu’il s’agisse de l’ordre surnaturel. Il faut endire autant des textes où, selon saint Thomas, le miracle est présenté comme un moyen par lequel les hommes parviennent à la connaissance de Dieu ou de la vérité en général, Il a -Il æ, q. clxxviii, a. 1, ad4um ; Cont. Gentes, t. III, c. xcix ; comme un moyen de manifester la puissance divine, I a -II 1E, q. li, a. 4 ; q. exi, a. 4 ; ou comme le moyen de procurer l’utilité des hommes, P-II 36, q. clxxviii, a. 1, ad 2um ; III a, q. xliv, a. 1. ad 3um et ad 4um. Ce qui semble rendre cette interprétation vraisemblable, c’est que saint Thomas, à propos des guérisons miraculeuses corporelles, déclare expressément que la guérison du corps est ordonné à celle de l’âme. III a, q. xliv, a. 3, ad 3um. Le seul texte qui soit vraiment e î faveur de l’hypothèse d’une finalité d’ordre naturel serait tiré du De potentia, q. vi, a. 5, ad 5um : ici, le miracle est présenté comme attestant la virginité d’une vestale, c’est-à-dire une vertu purement naturelle. Cf. Garrigou-Lagrange, La grâce de la foi et le miracle, dans la Revue thomiste, 1918, p. 310. Il semble toutefois à de bons auteurs que ce texte ne serait pas suffisant pour déclarer la possibilité du miracle dans l’ordre purement naturel. Cf. Van Hove, op. cit., p. 132. Et pourtant cette possibilité est admise assez communément. A. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, p. 62 ; Le miracle et ses suppléances. p. 236 et 302-306 ; J. D. Folghera, art. cit., p. 337, R. Garrigou-Lagrange, Le surnaturel essentiel et le surnaturel modal selon les thomistes, dans la Revue thomiste, 1913, p. 326 ; La surnaturalilé dans la foi, id., 1914, p. 29 ; La grâce de la foi et le miracle, id., 1918, p. 305, note 1 et p. 310 ; De.revelatione, t. i, p. 212-213 ; H. L. Janssens, De vi demonslrativa miraculorum, dans Ephemerides theologicw lovanienses, 1924, p. 26 ; A. Mercier, Le surnaturel, dans Revue thomiste, 1902, p. 552 ; A. Van Weddingen, De miraculo, deque ejus in christiana demonslratione usu et valore, Louvain, 1869, p. 210-212.

Quoi qu’il en soit de la controverse, deux points sont à retenir sur lesquels s’accordent tous les théologiens. Dans l’ordre présent, la finalité religieuse du miracle s’affirme incontestablement, et cette finalité est en fait d’ordre surnaturel, dès qu’il s’agit des miracles accomplis en faveur de la religion révélée. Ce nonobstant, le miracle n’est pas intrinsèquement une réalité surnaturelle. C’est le surnaturel quoad nodum seu effective des thomistes : car c’est uniquement en raison de sa finalité nécessaire que le miracle ne trouverait pas place dans un ordre purement naturel.

4. Le miracle est-il nécessairement un fait sensible ?

Les théologiens postérieurs au concile du Vatican, considérant dans le miracle le signe de la crédibilité de la révélation, font entrer dans sa notion le caractère de fait sensible. Cf. C. J. Callan, The nature and possibility of miracles, dans The irish theological Quarterlꝟ. 1910, p. 477, 481 ; L. de Grandmaison, Les signes divins et le miracle, dans Recherches de science religieuse, 1914, p. 115, et Dict. apologétique, art. Jésus-Christ, t. ii, col. 1412 ; A. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, p. 92 ; Le miracle st ses suppléances, p. 153 et 160 ; J. Didiot, Logique curnaturetle objective, p. 126 ; V. Frins, Zum Begriffe