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sur la tradition vivante de l’Église, et l’Eglise suffît à sa propre justification, mole sua stat. C’est une telle position que Faguet caractérisait d’ « ultra-catholique. .. extrêmement forte pour le solvantur objecta ». S’il ajoutait qu’elle est « faible en raison de sa force », c’est qu’il ne prêtait pas attention à la garantie que l’Église olïre de son autorité et de sa mission, savoir le témoignage vivant de ses œuvres.

Application à la théologie.

 1. « Science conditionnée ». — L’objet propre de la théologie, la vérité

révélée, remarque Mgr Mignot, est donné dans la tradition tant scripturaire qu’ecclésiastique, donc dans la nature, alors même qu’il est surnaturel. Aussi, « à ce point de vue, la théologie dogmatique dépend-elle de l’histoire générale, de l’exégèse, de la philosophie, de l’épigraphie… » Quant aux formules dogmatiques, la théologie a mission de les justifier, voire de les élaborer en prévision de leur définition, ce qu’elle ne peut faire qu’à l’aide d’idées générales que lui fournit la philosophie, et des analogies que lui révèle l’étude des sciences et de la nature. « La théologie se trouve [donc] également à ce titre, dans la dépendance des sciences philosophiques et naturelles. » D’un mot très plein, Mgr Mignot la tient pour « une science conditionnée, précisément parce qu’elle occupe le "ommet du savoir humain ».

Cet état de « science conditionnée » est devenu plus manifeste depuis la substitution progressive, dans les recherches scientifiques, de la méthode expérimentale et analytique à la méthode déductive et synthétique. « La théologie qui était au point de départ de la science déductive, ne peut être qu’au point d’arrivée de la science analytique. » Cela explique en partie pourquoi « la théologie catholique n’a pas encore atteint le degré de précision auquel sont parvenues d’autres sciences de moindre importance. »

A l’endroit de l’objet révélé s’impose au théologien un double travail : un travail d’information positive, consistant dans le groupement et l’étude des textes bibliques, palristiques, conciliaires ; un travail d’interprétation systématique, tendant « à rattacher ces données à une conception plausible de l’humanité et de l’univers ». Mgr Mignot a exprimé ses vues au sujet de la méthode qui doit présider à cette double tâche.

2. Base d’information positive. Tradition et progrès doctrinal. — La théologie est, par excellence, « la science de la tradition ». Ce dépôt de foi qui constitue son trésor documentaire, elle ne le trouve pas seulement dans le texte obvie de l’Écriture, mais dans le sens que l’Église a donné, dans la suite des temps, à ce texte même.

Ce fond s’est parfois enrichi de développements ou même de dogmes nouveaux, en germe dans la foi traditionnelle. L’histoire révèle, en effet, un certain progrès doctrinal dans le Credo catholique, « en quelque sorte une vérité, croissante ». « Une certaine façon d’entendre l’évolution », dont on trouve l’idée dans saint Augustin, canonisée déjà par Vincent de Lérins, lorsqu’elle est « appliquée à l’histoire religieuse, peut apporter de grandes clartés en des problèmes qui seraient restés insolubles. » Mgr Mignot avait expérimenté la bienfaisance de cette conception à l’occasion de la définition de l’infaillibilité pontificale. « J’avais lu, à l’époque du Concile, écrit-il au P. Hyacinthe, le 1 er avril 1904, le livre de Janus… Ma foi aurait été troublée… si M. llogan ne m’avait ouvert l’esprit pendant mon séminaire et si je n’avais cru au développement réel de la doctrine chrétienne. Ce que Janus-Dôllinger appelle les empiétements de l’Église, j’y vois un développement de la vie d’autorité, nécessaire à l’Église. » La théologie positive doit donc mettre ses soins à tracer exactement la courbe de développement des dogmes catholiques.

3. Interprétation systématique. Rôle respectif de P « />clesia discens », et de l’ « Ecclesia docens ». — Les écoles de théologiens constituent proprement VEcclesia discens. Mgr Mignot fait siennes à ce sujet les réflexions du Weeklij Register, 19 juillet 1901 : Docens distendu.

On se gardera bien de prétendre que « le rôle de VEcclesia docens se borne à sanctionner les opinions communes de VEcclesia discens », pour employer les termes de la vu » proposition condamnée du décret Lamenlabili. C’était l’erreur de Dôllinger. « Le rôle de VEcclesia docens est doublement souverain : d’abord, en ce que seule elle est dépositaire authentique du dépôt révélé ; ensuite, en ce que seule elle détermine la formule par laquelle il s’exprime. Elle poursuit les données du problème, et finalement le tranche. Dans cette définition, VEcclesia docens utilise ordinairement le travail de VEcclesia discens. » Celle-ci, l’élite intellectuelle de l’Église enseignée, « pose des questions, suggère de nouveaux points de vue, lance toute sorte de ballons d’essai sous forme de nouveautés sociales, théologiques ou politiques ». Il faut même lui accorder « le droit très humain de se tromper quelquefois ». Son concours est indispensable. La conception d’une Église dont la vie serait enfermée dans la pensée d’un seul homme, même lorsque cet homme est revêtu d’un pouvoir d’infaillibilité, « est incompatible avec la nature de l’esprit humain et les caractères de la science… Dans un corps, les membres sont aussi nécessaires à la tête que la tête l’est aux membres, et, s’il appartient au chef de l’Église de fixer sous sa forme canonique la pensée chrétienne, il nous appartient à tous d’en préparer les éléments. »

Au reste, que VEcclesia discens attende sans impatience ni inquiétude les verdicts de VEcclesia docens. « Tant que l’Église rejette ou tient pour suspecte une théorie nouvelle, tenez pour certain que, si séduisante qu’elle soit, elle n’est point achevée ; la preuve n’en est point faite ; il reste des antinomies à résoudre dans la trame du système. Si la lumière s’achève, si la théorie revêt une forme, sinon définitive, du moins conciliable avec les vérités acquises, les écoles les plus conservatrices ne tarderont pas à l’accueillir… »

Mgr Mignot jouit, de son vivant, d’une rare considération, non seulement parmi les catholiques cultivés de notre pays, mais encore dans des milieux étrangers et même hostiles au catholicisme. Le rayonnement de son influence tenait peut-être moins à la diffusion de ses écrits qu’au nombre et à la qualité de ses relations privées. Il entretint une correspondance plus ou moins assidue avec des personnalités telles que le baron Frédéric von Hùgel, Hyacinthe Loyson, George Tyrrell, Alfred Loisy et Paul Sabatier. N’eût été son désistement spontané, il aurait succédé au cardinal Mathieu à l’Académie française. Par ailleurs, son libéralisme politique et intellectuel lui valut parfois, de la part des « intégristes », d’injurieux soupçons, et il n’est pas rare que sou nom soit inscrit au catalogue des « modernistes », du moins chez les historiens étrangers. Voir l’anthologie de J. Schnitzer, Der katholische Modernismus, Berlin-Schoneberg, 1912, p. 101-110. Personne ne fut, en réalité, plus attaché à la foi catholique ; mais personne aussi n’eut le sentiment plus vif de ce qu’il y avait à faire pour en tenir l’interprétation à jour, en raison des exigences scientifiques de notre époque. Aujourd’hui, son souvenir reste comme celui d’un des prélats les plus éclairés qu’ait connus l’Église de France au tournant du xxe siècle, et son œuvre écrite peut toujours servir d’utile initiation aux grands problèmes religieux qui hantèrent son esprit et qui ne cessent pas de se poser.

1° Ouvrages de Mgr Mignot. — Lettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1908 ; L’Église et la critique, Paris,