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attentif au problème biblique. Cette préoccupation le lit sympathiser de bonne heure avec la personne et l’œuvre de RI. Alfred Loisy. Leur confiance réciproque fut telle que le manuscrit de L’Évangile et l’Église passa sous les yeux de l’archevêque, et de lui seul, avant sa publication (1902). Le prélat écrivait, à son sujet, au P. Hyacinthe, le 19 avril 1903 : « C’est une remarquable réfutation de Harnack. On l’attaque violemment ; on le défend de même : et l’on a raison de l’attaquer parce qu’il expose la doctrine d’une façon insuffisante. Riais on a raison aussi de le défendre, car je ne sais rien de plus remarquable depuis l’Esquisse d’une philosophie [d’Auguste Sabatier]. »

Cette insuffisance dans l’exposition de la doctrine consistait, à ses yeux, en ce que l’auteur ne faisait pas une part assez grande à l’argument de la tradition orale comme base historique de la croyance de l’Église. Il essaya de combler cette lacune dans un article du Correspondant (10 janvier 1904) : Critique cl tradition. « J’ai voulu, écrivait-il à son même correspondant, le 25 janvier suivant, rassurer les consciences inquiètes sans sacrifier les droits de la critique. » Il ne doutait pas alors que l’auteur du « petit livre » ne s’inclinât « avec respect devant les décisions de l’autorité religieuse » qui venait de frapper ses ouvrages. En fait, au témoignage de son confident et ami, le baron von Hûgel, « si joyeux étaient-ils, l’un et l’autre, du caractère fortement catholique de l’œuvre », à savoir de l’instinct social et du sens de la communion ecclésiastique, qu’elle mettait si vigoureusement en relief, qu’ils n’en discernèrent point l’individualisme latent, cette analyse ne tendant, en fait, qu’à un approfondissement de la personnalité de l’auteur, sans égard à la poursuite des réalités positives et ultimes.

Rlgr Rlignot revint plus tard sur ces questions fondamentales dans deux études publiées par le Correspondant (1907) : L’Église et la science, la Bible et les religions. En 1908, l’clîervescence s’étant calmée, il publia en volume ses Lettres sur les études ecclésiastiques auxquelles il joignit le discours sur « la méthode de la théologie », et, en 1910, ses articles du Correspondant, qu’il grossit de deux panégyriques, sous le titre : L’Église et la critique. Un troisième volume était alors annoncé : Jésus-Christ et l’Église, où il avait l’intention de rééditer quelques lettres pastorales : L’Église (1901), Le Pape (1902), L’Église médiatrice de vie surnaturelle (1903), Quelques accusations portées contre l’Église (1904), La divinité de Notre-Seigneur d’après le témoignage de l’Écriture (1905), d’après les témoignages de la primitive Église jusqu’au IIIe siècle (1906). Ces instructions familières, au dire de leur auteur, « laissent de côté les problèmes que la critique moderne a soulevés ». La guerre de 191 1 en a retardé indéfiniment la réédition.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer son activité pastorale et la part qu’il prit aux grandes affaires ecclésiastiques de l’époque. Tout en déplorant la séparation de l’Église et de l’État, il n’a jamais caché qu’il était partisan de l’essai loyal des associations cultuelles, établies par la loi. En 1910, il fut au nombre des cinq ou six évêques français qui s’appliquèrent à couvrir le Sillon. Il souffrit, dans sa personne parfois et toujours pour l’Église, des violences de 1’ « intégrisme », et profita de l’avènement de Benoît XV pour exprimer ses doléances à ce sujet dans un Mémoire au cardinal Ferrata qui n’a été publié qu’après sa mort. En même temps qu’ils attestent son tempérament irénique, à qui déplaisaient tous les extrêmes. ces divers actes témoignent de la conviction qui a fait l’unité de sa vie et de son œuvre, savoir la nécessité de ne rien négliger pour maintenir le contact entre l’Église et les aspirations de beaucoup de nos contemporains.

III. Doctrines.

Tendance générale.

 Sans

avoir laissé d’œuvre méthodique, Rlgr Rlignot n’en a pas moins réfléchi sur les plus grands problèmes religieux du jour et exprimé sur chacun d’eux des observations pénétrantes et judicieuses.

La tendance de sa pensée est apologétique. Il se préoccupe de réaliser l’accord de la raison et de la foi, telles qu’elles se manifestent à l’heure actuelle. Disciple de Newman, il tient que la foi ne procède pas uniquement d’arguments rationnels. La raison n’en doit pas moins écarter les obstacles qui s’opposent à la foi, plus que cela, établir les motifs de crédibilité qu’authentique le savoir de notre temps. C’est la mission de l’apologétique, dont il s’est plu à tracer le programme et à déterminer les conditions. Il estimait qu’elle doit se renouveler tous les vingt ans : il n’écrit donc que pour ses contemporains immédiats. Notre époque a été témoin d’un renouvellement admirable des sciences auxiliaires ou annexes de la théologie. Les esprits, éblouis par ces lumières versées à flot, sont tentés de se défaire du patrimoine des idées traditionnelles. L’apologiste a le devoir de les rassurer, et, pour ce faire, il leur montrera « les limites que ne peut pas dépasser la science humaine » ; il placera « les doctrines essentielles hors de la portée des attaques de la critique rationaliste » ; il prouvera « que les données soi-disant scientifiques, critiques, historiques sont impuissantes à détruire le dogme ».

L’attitude du théologien apologiste varie selon que l’attaque vient de la philosophie, des sciences positives ou de l’histoire. En philosophie, il n’y a guère d’accommodement possible : au demeurant, Rlgr Rlignot n’y insiste guère ; il oppose un aristotélisme rajeuni au subjectivisme kantien. Quant aux sciences : cosmographie et cosmogénie, géologie et biologie, anthropologie et ethnologie, archéologie préhistorique, il n’exige d’elles qu’un minimum de renoncements, qu’elles ne pourraient d’ailleurs refuser qu’en reniant les principes de leurs méthodes toutes positives, et en franchissant les frontières de leur domaine propre — savoir d’admettre la création, le péché originel, l’unité de l’espèce humaine — les opinions inspirées d’un concordisme biblique aujourd’hui’dépassé devant faire les frais de l’accord durable et pacifique. Par ailleurs, l’Église n’a aucun traitement de faveur à solliciter de l’histoire qui la raconte. Elle ne réclame « ni une louange, ni une apologie, mais la vérité, rien que la vérité ; la justice, rien que la justice. » C’est pourquoi Léon XIII n’a pas eu d’autre loi à rappeler aux historiens catholiques que celle proclamée par l’orateur de l’antiquité latine : Quis nescit primam esse historiæ legem ne quid falsi dicere audeat, deinde ne quid veri non audeat ?

Application au problème biblique.

C’est la

critique qui a soulevé la « question biblique ». Le résultat de son analyse chez les savants incroyants a été de dénier un caractère strictement historique à plusieurs des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, notamment à ceux qui visent à livrer le secret des origines tant du christianisme que du monothéisme israélite. La preuve script maire, sur laquelle on a prétendu fonder la révélation, est donc une base ruineuse : partant, tout l’édifice de la religion judéochrétienne s’écroule, (/est la thèse que Mgr Mignot s’emploie à réfuter dans presque tous ses écrits.

1. Râle de la tradition.

D’une manière générale,

Rlgr Mignot aime à rappeler, à l’encontre du protestantisme, que la Bible n’est pas et ne peut pas être, à cause de ses obscurités, la source principale de notre foi. Ce lieu commun de l’apologétique lui fournit un principe de solution des problèmes actuels. A l’endroil de la critique, sa préoccupation est de montrer que la foi de l’Église tient moins à des textes qu’à une