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MIGÉTIUS — MIGNE

une violente invective, adressée à Migétius lui-même, ibid., col. 859-867 ; elle énumère les erreurs diverses du personnage. Enfin d’Espagne encore nous vient un renseignement sur Migétius dans la lettre écrite par les évêques de ce pays aux évêques francs, après la première condamnation par ceux-ci de l’adoptianisme espagnol. Voir ici, t. i, col. 404-405. Pour discréditer Béatus, l’adversaire d’Élipand, les prélats espagnols le comparent à Migétius : Cui similem dixerimus antiphrasium Beatum nisi Migetio Cananorum et Salibanorum (?) magistro. Cela leur donne l’occasion de raconter sur ce dernier quelques anecdotes propres à le discréditer. P. L., t. ci, col. 1330 BC. — D’autre part le pape Adrien Ier a été mis au courant des erreurs de Migétius. Bien qu’il soit hostile aux vues d’Élipand, il ne laisse pas de signaler les erreurs de Migétius, auxquelles s’est laissé prendre l’évêque missionnaire Égila : Non recte ille Egila prædicat, sed errores quosdam Mingentii magistri sui sequens extra catholicam disciplinam, ut fertur, conatur docere. Dans Codex carol., 97 (al. 95), P. L., t. xcviii, col. 376 A, et Mon. Germ. hist., Epîst., t. iii, p. 637. — Si l’on ajoute enfin une allusion aux Migentiani, qui sont rapprochés des donatistes et des lucifériens dans une lettre de l’évêque Saul de Cordoue (dans Florez, España sagrada, t.xi, p. 166), on aura fait le tour des documents qui se rapportent à notre personnage.

Le plus clair, c’est encore ce que dit Élipand dont la passion malheureusement obscurcit bien les expressions. A Migétius il reproche une conception fausse de la Trinité, sur laquelle nous reviendrons ; puis un rigorisme moral qui se traduit par des exigences trop grandes en ce qui concerne la sainteté des prêtres, par la prohibition de certains aliments, par l’interdiction de manger avec les infidèles ; enfin une tendance à exalter outre mesure la dignité et l’importance de l’Église et de la ville de Rome. Ce dernier point explique bien comment l’évêque missionnaire Égila, envoyé en Espagne par l’archevêque Willicar de Sens, pour y travailler à la réforme ecclésiastique, s’est lié avec Migétius chez qui il trouvait une « dévotion » à l’endroit du Siège romain bien rare dans l’Espagne de cette époque. Ensemble aussi Égila et Migétius auront protesté contre divers abus d’ordre moral ou disciplinaire qui s’étaient multipliés depuis la conquête arabe ; surtout ils auront lutté contre le laisser-aller général qui portait les chrétiens à se conformer aux habitudes des Sarrasins. Ils l’ont dû faire avec quelque véhémence et en érigeant en principe des maximes contestables. Ils auront dû remarquer aussi que le comput pascal différait de celui qui était désormais suivi à Rome. Sur cette activité d’Égila, voir deux lettres fort louangeuses d’Adrien Ier, Cod. carol., 96 et 95 (al. 97) P. L., t. xcviii, col. 336 et 333, Mon. Germ. hist., Epist., t. iii, p. 643, 647. Tout cela les a signalés à la susceptibilité des évêques espagnols et tout spécialement du primat de Tolède, qui ont fini par les dénoncer à Rome.

Mais Élipand n’insiste pas seulement sur cette agitation indiscrète, mais aussi sur les incongruités théologiques de Migétius. A l’en croire, celles-ci auraient été énormes : Tres personas corporeas in divinitate esse protestaris. Il aurait dit (ou insinué) qu’il y avait dans la divinité trois personnes corporelles : la personne du Père, ce serait David, celle du Fils serait l’homme-Jésus ; celle du Saint-Esprit l’apôtre Paul. P. L., t. xcvi, col. 860 D. Les critiques modernes ont essayé de donner un sens pensable à ces expressions ; ils ont imaginé chez Migétius une sorte de sabellianisme ou de samosaténisme, qui aurait décrit l’activité divine s’exerçant. dans l’histoire, par trois hommes tout spécialement inspirés de Dieu : David, Jésus, Paul. Pour appuyer cette accusation de sabellianisme, ils traduisent par Sabellianorum l’étrange Salibanorum de la lettre des évêques espagnols. Quelques-uns ont trouvé un souvenir du priscillianisme, la vieille hérésie espagnole, une influence des mahométisme. Tout cela est peut-être bien raffiné. N’y aurait-il pas ici, tout simplement, un procédé de polémique d’Élipand de Tolède, prêtant, sur des indices très ténus, des énormités à son adversaire ? Il aurait profité par exemple d’une exégèse trop littérale que donnait Migétius du psaume Eructavit ou du Conserva me, pour lui faire dire une absurdité sur David, d’un mot sur Paul, organe de l’Esprit-Saint, pour inventer cette fable que Paul est la troisième personne de la Trinité. Et quant à l’enseignement de Migétius sur la seconde personne, il est conforme à l’orthodoxie, et les accusations que porte contre lui Élipand trahissent tout justement les insuffisances de sa propre christologie. Tout ceci est si conforme aux procédés de la polémique en général et de la polémique théologique en particulier, qu’il faut attendre d’autres preuves pour prêter, même à l’ignorant et à l’illuminé que put être Migétius, les absurdités dont l’accuse Élipand.

Les sources ont toutes été citées dans l’article. En fait de travaux, voir J.-B. Einhüber, Dissertatio dogmatica de hæresi Elipandi et Felicis, reproduite dans P. L., t. ci, col. 337-438, sur Migétius, voir col. 355 sq. ; Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. mb, col. 985 ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, 3e-4e édit., t. ii, Leipzig, 1912, p. 298-301.

É. Amann.


MIGNE Jacques-Paul, prêtre français publiciste et éditeur, né à Saint-Flour (Cantal), le 25 octobre 1800, mort à Paris, le 24 octobre 1875. I. Biographie. II. Œuvre (col. 1725). III. Appréciation (col. 1738).

I. Biographie. — Après une enfance quelque peu turbulente, Jacques Paul Migne fut emmené, en 1817, par l’abbé Salesse du collège de Saint-Flour à Orléans, où il fit ses études de théologie. Quand il eut terminé sa formation cléricale, trop jeune encore pour recevoir les ordres, il fut envoyé, comme professeur de quatrième, au collège de Châteaudun, où il fit montre de telles qualités pédagogiques, que le principal lui proposa de se démettre en sa faveur. Après un stage de trois ans, il reçut l’ordination sacerdotale, en 1824 ; mais auparavant, voulant revoir sa théologie, il consacra à cette étude, pendant six mois, quinze heures par jour. Il fut alors immédiatement chargé de l’administration de trois paroisses du canton de Châtillon-sur-Loing, Aillant-sur-Milleron, la Charme et Dammartin ; puis, comme le climat marécageux de cette région était contraire à sa santé, il fut envoyé à Auxy que, à peine installé, il quittait pour Puiseaux, gros chef-lieu de canton du Gâtinais.

Son ministère fut très fructueux : il partageait son temps entre l’étude et le soin des âmes, se faisant déjà remarquer par une infatigable activité, montrant les qualités caractéristiques de ses compatriotes, l’énergie, l’endurance et une indomptable ténacité qui devaient assurer le succès de ses entreprises. La révolution de 1830 eut sa répercussion à Puiseaux : un incident se produisit le jour de la Fête-Dieu 1831 : il fut grossi et exagéré. L’abbé Migne répondit à ses détracteurs dans une brochure intitulée De la liberté, par un prêtre. Élargissant le débat, il traitait des questions importantes du droit ecclésiastique, dans ses rapports avec l’autorité séculière. Mgr Brunault de Beauregard, ayant appris la prochaine publication de cet opuscule, demanda à l’auteur de lui en communiquer les épreuves. Celui-ci les lui apporta. Sans avoir, dit-on, pris le soin d’examiner la brochure, l’évêque s’opposa à sa publication. Le curé de Puiseaux se soumit et garda le silence. Cf. Biographie du clergé contemporain, Paris, 1841, t. iii, p. 305-306.

Quelque temps après cet incident, préoccupé de