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MESSIANISME, RÉALISATION DANS LE N. T.


unanimement et continuellement prêché que Jésus-Christ avait apporté au monde le salut si souvent annoncé et si ardemment attendu : toutes les promesses s’étaient réalisées en lui, II Cor., i, 20.

D’après ces affirmations si autorisées, il ne peut y avoir de doute que le Nouveau Testamente soit l’accomplissement de l’espérance israélite. D’autre part la comparaison entre le contenu de cette espérance et la mission du Christ montre qu’il ne s’agit pas d’une concordance absolue : le salut, tel qu’il s’est réalisé, et la prédiction, telle qu’elle en avait été faite, ne coïncident pas comme les deux membres d’une équation. Il y a accord, mais il y a aussi désaccord.

Il y a accord : Comme les prophètes l’ont annoncé, le royaume de Dieu embrasse tout l’univers. Les membres non seulement d’un seul peuple mais de tous les peuples y appartiennent. Avec une rapidité miraculeuse la croyance au Dieu unique a remplacé l’idolâtrie du monde antique, et sans arrêt elle s’est répandue jusqu’aux confins de la terre. Les peuples les plus civilisés sont monothéistes ; leur civilisation remonte en dernière analyse à leur évangélisation et repose sur les principes chrétiens.

Conformément aux oracles messianiques, le culte de Dieu est devenu surtout intérieur et consiste essentiellement en l’accomplissement de sa sainte volonté : il se pratique en outre de l’Orient jusqu’à l’Occident par un sacrifice sublime et pur. En union intime avec ce culte se réalise par les moyens les plus efficaces la sanctification des âmes tant de fois prédite par les voyants de l’Ancien Testament

Toute cette religion absolue et parfaite a été communiquée au monde, comme il avait été prédit depuis Abraham, par l’intermédiaire d’Israël : les apôtres étaient des Juifs, et elle n’est autre chose que le plein développement du culte mosaïque : non veni solvere sed adimplere.

Dans le nouveau royaume de Dieu, le Christ, c’est-à-dire le Messie, occupe une place unique. En Jésus le Messie des prophètes est vraiment venu. En harmonie avec les prédictions d’Isaïe et de Michée il sortit de la souche de David, il naquit d’une vierge à Bethléem. Il posséda la nature divine dans une mesure tout autre que n’avaient pu le soupçonner David en le nommant « fils de Dieu » et Isaïe en le désignant par « Dieu fort ». Comme il avait été annoncé dans les quatre chants du Serviteur de Jahvé, il enseigna la vérité comme personne avant lui, il gagna les hommes, surtout les pécheurs, par sa bonté et sa sainteté ; il acheva sa vie pour expier les péchés du monde par le supplice le plus douloureux.

Mais il y a aussi désaccord ; d’une part, eh effet, à côté des prédictions qui se rapportent au caractère spirituel du règne messianique, il y en a un bon nombre qui visent le cadre national et le bonheur matériel de ce règne ; d’autre part, le rôle du Christ pour le salut éternel des âmes dans le monde transcendant dépasse singulièrement ce que les prophètes avaient prédit de lui.

Ce désaccord ne doit pas étonner : il est la suite inévitable de l’imperfection de l’Ancien Testament. Autant la fleur est plus développée que le bouton, autant le Nouveau Testament dépasse sous tous les rapports l’Ancien. Non seulement les institutions, mais aussi les révélations de la vieille alliance étaient accommodées à l’état primitif d’Israël et de l’humanité. Parmi ces révélations, celles qui ont trait à l’ère messianique semblent avoir été tout particulièrement revêtues de formes qui les rendaient accessibles à la mentalité juive. Plus on étudie les différents textes qui les contiennent, plus on constate combien Dieu s’y est adapté aux contingences d’Israël, et combien il a laissé aux prophètes la liberté de présenter les idées, qui leur étaient révélées sur l’état définitif de la

religion, sous des formes personnelles et aptes à frapper l’attention de leurs auditeurs. « Parce que la promesse (messianique) était énoncée par des hommes, que ces hommes appartenaient à une certaine race, et vivaient dans un certain pays, elle devait refléter leurs préoccupations, leurs angoisses, leur attente et presque jusqu’à leurs passions, comme la loi se conformait aux faiblesses du peuple d’Israël et à la dureté de son cœur », Lagrange, Pascal et les prophéties messianiques, dans Revue biblique, 1906, p. 557.

Cette adaptation à l’ambiance israélite de la révélation relative au bonheur messianique et le désaccord entre l’attente et la réalisation qui en résulte, se constatent surtout dans deux directions, savoir d’abord la multiplicité surprenante et complexe des conceptions du Sauveur et du salut, puis le caractère non seulement terrestre, mais matériel et national, de l’espérance juive.

Nous avons relevé le premier fait en essayant de faire la synthèse et de montrer le développement des idées messianiques. Elles sont si nombreuses et si différentes qu’elles nt peuvent pas être réunies dans une seule perspective. Les conceptions fondamentales reviennent toujours, mais chaque prophète leur donne des couleurs si nouvelles et surtout en fait à tel point le reflet de la situation de son époque, qu’il semble souvent plutôt transformer que compléter les vues de ses prédécesseurs.

Il s’ensuit que les détails des descriptions messianiques sont d’ordinaire accessoires. Il en est qui sont importants et, tout à l’heure, en esquissant la manière dont l’espérance juive s’est réalisée, nous en avons souligné quelques-uns. Mais, pour la plupart, ils sont secondaires et prouvent que « les prophètes étaient éclairés d’une lumière surnaturelle sur la substance des choses annoncées, rarement sur le temps et le mode de leur accomplissement… ils placent le fait prédit qui est certain, dans un milieu probable », Condamin, Prophétisme israélite, dans Dictionnaire apologétique, t. iv, col. 418 et 419. C’est pourquoi l’argument prophétique, pour démontrer le caractère surnaturel du christianisme, ne doit pas et ne peut pas consister en premier lieu en une confrontation d’une foule aussi grande que possible d’indications détaillées, ramassées dans la littérature prophétique et d’un nombre non moins considérable de traits particuliers de la vie et de l’œuvre du Christ ; il faut, au contraire, le faire valoir en fixant l’attention sur l’ensemble et en dégageant dans les oracles les grandes lignes. Alors seulement on voit le messianisme juif converger d’une façon admirable vers le christianisme, et l’Ancien Testament se réaliser pleinement dans le Nouveau. Cette nouvelle forme de l’argument prophétique imposée par l’exégèse, voir Lagrange, loc. cit. ; Condamin, loc. cit. ; Touzard, L’argument prophétique, dans Revue pratique d’apologétique, 1908, p. 81-116, 731-750, Les prophéties de l’Ancien Testament, dans Revue du Clergé français, 1908, t. lvi, p. 513-48 ; Comment utiliser l’argument prophétique ? 1911, est aussi celle qu’adoptent bien des théologiens et apologistes contemporains, par exemple, Tanquerey, Synopsis theologix dogmaticæ, 1. 1, 20e édit., p. 187 sq. ; Rivière, art. Christianisme, dans Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, t. ii, col. 148-150 (cf. art. Prophétisme, ibid., t. v, col. 838-811). Voir déjà Mgr Mignot, Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908, p. 284-290 ; et, parmi les anglicans conservateurs, A. B. Bruce, Apologetics, 1892, p. 246-261.

Si, jusqu’à nos jours, tant d’apologistes ont préféré l’autre manière qui argumente sur les détails, ils l’ont fait à la suite des évangélistes et de saint Paul, qui, tenant compte des méthodes et des besoins de leur temps et de leur milieu, ont voulu surtout faire ressortir que beaucoup de faits du Nouveau Testament