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MESSIANISME, PRÉTENDUES ANALOGIES


Ancient greek inscriptions in the British Muséum, n. 894, se lit la description suivante de son règne : i L’éternelle et l’immortelle force physique de l’univers a donné aux hommes le suprême bien en faisant entrer dans notre heureuse vie César Auguste, père de sa patrie… et sauveur du genre humain tout entier, dont la providence exauce non seulement toutes les prières mais les devance ; car la terre et la mer sont en paix, les villes fleurissent par suite des bonnes lois… et possèdent le comble de tout bonheur… » Ce qu’on gravait en province sur les rochers, les poètes l’exprimaient dans la capitale en vers plus artistiques. Horace et Virgile rivalisaient à cet égard avec Ovide. Horace chantait que l’empereur était un dieu semblable à Jupiter, Odes, III, v, 1 sq., que les dieux avaient donné à l’humanité en la personne d’Auguste le meilleur don et que, même si l’âge d’or revenait, ils ne pourraient rien donner de mieux, Odes, IV, ii, 37 sq. Virgile n’est pas d’un enthousiasme moins débordant. Dans l’Enéide, II, 789 sq., il décrit Auguste comme un descendant des dieux qui procure au Latium l’âge d’or.

Avec raison on a vu dans ces formules non seulement l’expression d’un servilisme exagéré, mais aussi le témoignage d’une profonde aspiration vers une période de paix et de joie, l’expression de l’espoir que l’empereur Auguste réaliserait ce rêve de bonheur.

Un poème surtout est devenu célèbre par l’attestation qu’il contient de ce désir de béatitude et la prédiction du sauveur qui doit la procurer. Une vingtaine d’années avant de composer l’Enéide, Virgile avait annoncé dans la quatrième églogue la naissance d’un enfant prodigieux qui donnerait la paix au monde et tout ce qu’il peut en outre désirer : aussi bien le dernier âge du monde annoncé par la sibylle de Cumes est sur le point de commencer, c’est le début d’une longue série de siècles :

Ultima Cumæi venit iam carminis aetas ; Magnus ab integro sseclorum nascitur ordo.

Un enfant va naître qui mettra fin à l’âge de fer et inaugurera l’âge d’or. Il vivra comme un dieu ; on le regardera avec admiration ; par son gouvernement il apportera la paix au monde ; toute trace de crime y disparaîtra. Dès son enfance la nature se transformera merveilleusement : pendant que soji berceau sera entouré des plus belles fleurs qui pousseront en partie sur place même, dans les prairies qui exhalent les parfums les plus délicieux les troupeaux de bœufs n’auront plus à craindre les lions. Les serpents et toutes les plantes vénéneuses disparaîtront. Les champs seront couverts d’épis dorés, les broussailles sauvages porteront des raisins. Les feuilles des vieux chênes suinteront le miel. Cependant avant que l’enfant atteigne l’âge mûr, il y aura encore une fois une grande guerre semblable à celle de Troie. Mais ensuite le bonheur sera complet sur la terre. On n’aura même plus besoin de bateliers qui traversent les mers, parce que chaque pays fournira tous les produits et cela sans travail ; les laboureurs et les vignerons n’auront plus à peiner ; les foulons pas davantage, parce que la toison des brebis donnera directement la pourpre et les autres couleurs. Tout le monde se réjouit de cet heureux temps qui approche et le poète lui-même espère le voir.

Tel est le contenu de ce poème. Il n’est pas étonnant que, dans l’antiquité et le Moyen Age, il ait valu à Virgile l’honneur d’être rangé parmi les prophètes ; car il rappelle tout à fait les prédictions d’Isaïe sur Emmanuel. Encore aujourd’hui cette églogue attire l’attention. La meilleure preuve en est que la dernière dizaine d’années n’a pas vu paraître sur elle moins de huit études différentes : A. F. Royds, Virgil and Isaiah, 1918 ; J. J. Hartmann, Virgilius profeel, dans

Nieuwe Th. Stud., 1921, p. 293 sq. ; K. Witte, Virgils vierle Ekloge, dans Wiener Studien, 1922 ; Lagrange, Le prétendu messianisme deVirgile, dans Revue biblique, 1922, p. 552-572 ; E. Norden, Die Geburt des Kindes, 1924 ; Fr. Kampers, Vom Werdegang der abendlandichen Kaisermystik, 1924, p. 65-86 : Vergils vierte Ekloge ; A. W. Heidel, Vergils Messianic expeclations, dans Amer. Journal of Philol., 1924, p. 205 sq. ; "W. Weber, Der Prophet und sein Gott, eine Studie zur vierten Ekloge Vergils, Beihejte zum Alten Orient, 1925. Auparavant avaient paru K. L. Convay, The messianic idea in Vergil, dans Hibbert Journal, 1907 ; H. Lietzmann, Der Weltheiland, 1909. Tous ces travaux ont pour but d’éclaircir le sens du poème qui, tout en étant facile à comprendre dans l’ensemble, renferme des obscurités dans plusieurs de ses détails. On discute en particulier sur l’enfant qui est ici visé. Pourtant l’occasion du poème est bien connue. Il est adressé au consul Pollion, après que celui-ci eut réussi en 40 av. J.-C. à rétablir la paix entre Octave, le futur empereur Auguste, et Antoine et qu’en gage de leur réconciliation la sœur de celui-là, Octavie, fut donnée comme épouse à celui-ci. Au moment du mariage elle était enceinte de son mari précédent. D’après les uns, par exemple, Kônig, Messianische Weissagungen, p. 27, il s’agit de l’enfant attendu d’Octavie, d’après les autres, par exemple Lietzmann, Der Weltheiland, p. 3, 5, c’est un fils de Pollion ; d’autres encore, par exemple P. Wendland, Die hellenistisch-rômische Kultur, 1912, p. 88, pensent à un fils d’Octave. Un quatrième groupe d’auteurs, entre autres A. Jeremias, Die ausserbiblische Erlôsererwartung, p. 225, n’accepte pas que Pollion soit visé et préfère identifier l’enfant avec le futur empereur Auguste. Le fait qu’il y a tant d’incertitude sur la détermination de l’enfant prouve que sous ce rapport le texte est très ambigu. Il est d’autant plus précis par rapport à son fond principal, savoir l’annonce d’un enfant qui sera le roi de l’âge d’or de l’humanité. Si Virgile n’était pas un païen, et si son poème ne contenait pas tant de traits mythologiques, on serait tenté de dire que la quatrième églogue est une prophétie messianique ; car il y prédit en termes précis l’apparition du sauveur du monde. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est que sa prédiction se rapproche des oracles prophétiques non seulement par l’idée générale, mais aussi par bien des détails : la description de la paix qui doit régner dans la nature rappelle tout à fait le chapitre xi d’Isaïe, et la nouvelle guerre qui transitoirement troublera le bonheur de l’âge d’or fait penser aux chapitres xxxviiixxxix d’Ézéchiel contenant la description de l’expédition de Gog. Ces ressemblances amènent à croire que, sinon directement, au moins indirectement par l’intermédiaire des oracles sibyllins, Virgile dépend ici des prophètes d’Israël, dépendance qui s’explique sans difficulté quand on pense qu’il y avait au temps d’Auguste, huit mille Jaifs à Rome, Josèphe, Ant., XVII, xi, 1, et que les Juifs de la Diaspora faisaient une grande propagande pour leurs idées religieuses. Pour expliquer l’origine de cette conception d’un sauveur chez Virgile, les auteurs modernes ont recours aux textes de la littérature assyro-babylonienne, égyptienne et gréco-romaine mentionnés plus haut, qui contiennent des éloges dithyrambiques de rois, surtout Lietzmann et Norden, ou à l’ambiance du monde romain qui, à l’époque d’Auguste et de Virgile, las des sanglantes guerres fratricides, désespérant de la triste situation et des hommes ordinaires incapables d’y remédier, aspirait après un sauveur héroïque et divin, Weber et Gall. Ils n’ont pas tort en traçant ainsi a le tableau généalogique » (Norden) de l’enfant décrit par Virgile et en rattachant l’idée du sauveur à la banqueroute du paganisme. Mais il faut relever au