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MESSIANISME, LA LITTÉRATURE APOCRYPHE


10. Et tu verras tes ennemis sur la terre, et tu les reconnaîtras et tu te réjouiras, et tu rendras grâces et hommage à ton Créateur.

Traduction du P. Lagrange. (

Nulle part sans doute dans la littérature apocryphe ne se lisent des phrases aussi belles sur l’avenir d’Israël. Mais d’autre part quel esprit étroit et national les inspire ! Les Israélites seuls seront heureux et eux tous. Les païens ne participeront pas au salut ni les défunts d’Israël. Le salut se réalisera sans le Messie, uniquement par l’intervention de Jahvé et de son ange. La translation d’Israël au ciel des étoiles doit plutôt s’entendre dans un sens hyperbolique, car tout le messianisme du livre est bien terrestre.

8° Le livre slave d’Hénoch ou le livre des secrets d’Hénoch. — A côté du livre principal d’Hénoch, un autre est attribué au même patriarche, qui appartient sensiblement à la même époque que l’Assomption de Moïse. Le plus récent des deux livres d’Hénoch, bien qu’il ait le même titre que le premier et qu’il soit, lui aussi, une apocalypse, en diffère beaucoup et en est tout à fait indépendant. La relation entre les deux n’est que celle « de deux branches qui se rattachent à un même tronc », Frey. La différence est surtout remarquable par rapport à l’eschatologie. L’Hénoch slave enseigne une eschatologie uniquement transcendante, sans le moindre trait messianique et national. Il n’est question ni de Juifs ni de païens, mais seulement de justes et de pécheurs. La vie dans le monde terrestre est pour les justes une peine, lxvi, 6 ; mais un jour ce monde prendra fin avec toutes ses créatures, xlvii, 2 ; lxv, 6 ; lxv, 10. Tout ce qui est périssable disparaîtra : ciel et terre seront transformés et achevés, xviii, 7. Alors le monde à venir commencera pour durer éternellement, l, 2 ; lxvi, 6 ; lxv, 10 ; il sera inauguré par le grand jugement, xxxix, 1 ; xliv, 35 ; l, 40. Ce jugement portera sur les justes et les impies, xlvi, 3.

Le quatrième livre d’Esdras.

 L’Hénoch slave

fut composé avant la destruction de Jérusalem ; dans les temps qui suivirent la catastrophe, l’apocalyptique juive s’enflamma encore une fois pour luire d’une beauté unique, dans le IV 8 livre d’Esdras et l’apocalypse de Baruch. Les auteurs de ces deux livres fixent leur attention sur l’avenir d’Israël et du monde, de sorte qu’ici encore les idées messianiques jouent un rôle prépondérant.

Dans le IVe livre d’Esdras se rencontre dès les premières lignes le pessimisme le plus noir qui saisissait les Juifs par suite de la catastrophe de 70. En face de la toute-puissance et de la sagesse de Dieu, deux faits sont pour l’auteur incompréhensibles : la méchanceté et la misère de l’humanité en général et en particulier l’état lamentable d’Israël. La situation du peuple élu et du genre humain tout entier lui paraît désespérée. Le bien n’est pas possible dans le monde actuel. Dès le commencement celui-ci a été triste, iv, 27, il devient de plus en plus mauvais, xiv, 15 sq. Il faut donc qu’il disparaisse. Il n’est compréhensible que comme préambule d’un monde nouveau. Autant l’aspect du monde présent mène au désespoir, autant la perspective du monde futur est encourageante, et consolante. A la pensée de l’avenir le pessimisme fait place dans le cœur de l’auteur à l’optimisme le plus joyeux. Avec impatience il attend la réalisation de son rêve, iv, 33. Tout en disant que le moment en est fixé dans le plan de Dieu, iv, 37, et qu’il arrivera quand le nombre des justes sera complet, iv, 34, il prétend que le monde actuel marche avec vitesse vers la fin, iv, 20. Le monde nouveau, qui doit alors surgir, est imaginé par lui de la façon suivante.

D’abord il y aura un état nouveau sous la forme messianique, c’est-à-dire tel que les prophètes sans

exception l’avaient toujours annoncé. Il sera précédé d’une époque particulièrement douloureuse et dure qui s’annoncera par les phénomènes les plus curieux au ciel et sur la terre, v, 1-13 ; vi, 18-24 ; ix, 1-12. Après elle se réalisera le salut messianique apporte par le Messie lui-même. La manière dont celui-ci est décrit n’est pas uniforme ! A plusieurs reprises, xiii, 3, 5, 12, 25, 32, 51, il est présenté comme « un homme », à d’autres endroits, xiii, 37, 52, xiv, 9, comme fils de Dieu. Le passagexii, 32, d’après lequel, au moins dans la leçon des versions orientales, il est un descendant de David, a dû être interpolé, de sorte que son apparition dans le monde n’est pas conçue comme naissance. Au contraire, le Messie se montrera tout à coup sur la montagne de Sion pour détruire l’empire romain. Il viendra porté sur les nuées de la mer. Sa seule arme sera sa voix. Dès que les peuples l’entendront, ils oublieront leurs guerres mutuelles pour se dresser contre lui. Mais il les confondra du haut de Sion en leur reprochant leurs crimes. En même temps la restauration de Jérusalem et de Sion aura lieu, x ; vi, 7 sq. Une nouvelle Jérusalem toute différente de l’ancienne apparaîtra soudainement, vii, 26, et avec elle un pays tout nouveau qui sera une sorte de Paradis, vii, 26. On y trouvera non seulement les descendants des royaumes de Juda, mais aussi ceux des dix tribus qui retourneront du pays lointain et inconnu où ils séjournent à présent, xiii, 39-47. Le Messie protégera son peuple et le comblera de miracles pendant quatre cents ans, après quoi il mourra et tous les hommes mourront, vu, 27-28 ; xii, 34 ; xiii, 48-50.

Tel sera le règne messianique qui doit clôturer l’histoire. Il n’est donc pas conçu comme durant éternellement, ainsi que les prophètes et les autres auteurs apocalyptiques l’avaient tant de fois prédit. L’auteur fait disparaître le Messie et son royaume parce qu’il professe en même temps une eschatologie transcendante. Afin de réunir les deux, il dégrade le temps messianique pour le réduire à une époque intermé-. diaire entre l’histoire et le vrai monde à venir.

Ce monde meilleur et définitif apparaîtra après sept jours de silence et de repos absolu qui régneront sur la terre par suite de la mort générale. Alors tous les hommes ressusciteront, et Dieu montera sur le trône du jugement pour juger les mortels d’après leurs œuvres. Il n’y aura plus alors de différence entre Juifs et païens, mais seulement entre justes et impies. Les justes sauvés seront très peu nombreux ; ils seront éternellement heureux au paradis, en face duquel sera l’enfer pour recevoir les innombrables damnés, vii, 33-38. Ce jugement dernier ne sera que la confirmation de la sentence qui a déjà été portée et exécutée pour chaque homme immédiatement après sa mort.

Dans l’apocalypse d’Esdras deux courants d’idées se sont donc rejoints. En même temps que de l’avenir d’Israël, l’auteur est préoccupé du sort de toute l’humanité, et il a réussi à sa façon à mettre en harmonie les deux cycles d’espérances qu’il trouvait dans les vieilles traditions. On sent qu’il n’invente pas, mais qu’il se tient à l’héritage traditionnel, et cherche à amalgamer des éléments presque contradictoires.

10° L’apocalypse syriaque de Baruch. — L’apocalypse de Baruch est une imitation de celle d’Esdras, et contient en substance les mêmes idées eschatologiqucs. Il n’y a que quelques points secondaires qui y sont développés avec une plus grande fantaisie au détriment du caractère esthétique de l’ensemble. Ses particularités sont les suivantes.

L’histoire du monde, d’Adam jusqu’au temps de l’auteur, est divisée en douze époques symbolisées par douze pluies qui déversent alternativement sur la terre de l’eau sale et de l’eau pure. La dernière pluie qui représente le temps actuel est particulièrement