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MARSILE DE PADOIK, INFLUENCK


de Marsile se retrouvent mêlés aux grandes crises religieuses des siècles suivants, à celles surtout qui ranimèrent le vieux conflit, jamais éteint, de l’Église et de l’État. Mis en doute parles historiens anciens, par exemple Km. Friedberg, Die M. A. Lehren iibcr Slaat und Kirche, Leipzig, 1874, t. t, p. 27, et 19-50, le fait est de plus en plus attesté par les découvertes de l’érudition. Voir J. Sullivan, The american histotieal Review, 1897, Lu, p. 593-610.

Controverses théologico-politiques.

Violemment

posé sous Philippe le Bel, rouvert et aggravé sous Louis de Bavière, le problème théorique de l’Église et de l’État ne cessa plus d’alimenter, à travers le i siècle et plus tard, la pensée des spéculatifs. Il est naturel qu’on y ait cherché la part qui peut revenir dans ces controverses à.Marsile de Padoue.

Sur la foi d’un mot du pape Clément VI, rapporté dans Hotler, op. cit., p. 20, et déjà connu par Conrad de Megenberg, loc. cit., dans Scholz, t. ii, p. 364, on a souvent répété que.Marsile devait le principe de ses erreurs à Guillaume Occam. Et l’on a cherché à établir des liens historiques entre les deux maîtres, soit à Paris, soit ailleurs. Voir S. Riezler, Die literarischen Widersacher der Papste, Leipzig, 1874, p. 35-36 et 241-242. Mais l’entière originalité de Marsile est aujourd’hui reconnue. N. Valois, p. (il 9. Rien ne prouve, en effet, qu’il ait jamais connu Occam et la critique interne, au surplus, révèle entre leur pensée des divergences considérables. Voir l’analyse faite par J. Sullivan, dans The american historical Review, 1897, t. ii, p. 417-426. On pourrait plutôt se demander si Marsile n’a pas influencé le système d’Occam. Le maître parisien s’est, en effet, mêlé aux franciscains révoltés qui remplissaient la cour du Bavarois et, parmi les erreurs de ceux-ci, Jean XXII signalait de bonne heure qu’ils soutiennent « l’hérésie qui affirme qu’il appartient à l’empereur de déposer le pape et de lui en substituer un autre ». Lettre du 4 janvier 1331, dans Martène, Thés., t. ii, col. 831. Cependant cette idée n’est peut-être pas assez précise ni assez caractéristique pour signifier un emprunt, et les divergences déjà signalées ne permettent pas de conclure à une action directe de Marsile sur Occam. Il reste qu’ils ont travaillé tous deux à la même œuvre, mais avec des moyens différents. « Comme Marsile s’inspirait d’Aristote, Occam s’inspirait de la Bible. » J. Sullivan, loc. cit., p. 425. Voir déjà Silbernagl, Ockams Ansichten ïiber Kirche und Staat, dans Hislorisches Jahrbuch, 1896, t. vii, p. 423-433.

En tout cas, le prestige de Marsile était assez grand pour retenir spécialement l’attention des gardiens de l’orthodoxie. Déjà le fait, assez rare sinon inouï dans les annales du magistère ecclésiastique, que le pape ait voulu accompagner d’une discussion en règle chacune des propositions du novateur qu’il condamnait suffit à prouver le crédit dont celui-ci devait jouir et combien le besoin s’imposait de lui faire contrepoids. I.a tradition manuscrite atteste, au demeurant, que efutations dues à la plume des premiers théologiens pontificaux, voir plus haut, col. 16’, se répandirent en divers milieux dès le xiv siècle.

Pour les apologistes subséquents de la papauté, Marsile reste pareillement le grand adversaire, dont la critique vient d’ordinaire soutenir leurs thèses sur le droit pontifical. C’est ainsi que le franciscain Alvarez Pelayo, vers 1330, s’occupe longuement pour le réfuter de Yhæresiarcha novellus. Voir De planctu Ecclesiæ, i, 68, édition de Lyon, 1517, fol. i.xxiv-i.xxv. Il y revient plus tard, vers 1345, dans son Collirium adv. hssreses nouas, édité par R. Scholz, op. cit., t. ii, p. 512°’1 1. On trouve de même la critique du novateur dans Alexandre de Saint-Elpide, vers 133 1 ; plus tard encore, chez Conrad de Megenberg, Œconomica, vers 1352

1362, et Thomas de Strasbourg, avant 1353. Voir X. Valois, p. 620, et X. Paulus, Thomas i<on Strassburg und Ludolph von Sachsen, dans Ilistor. Jahrbuch, 1892, t. xiii, p. 10. Il en est de même, en plein XVe siècle, chez Jean de Torquemada, Sum. de Ecclesia, t. IV, pars ii, c. 37.

.Malgré ces réfutations, Marsile trouvait et gardait des lecteurs. On en peut juger par le nombre assez considérable des mss. du Dejensor qui nous sont parvenus et « dont la plupart remontent au XIV siècle. Voir X. Valois, p. 573, qui en énumère une vingtaine, et l’élude méthodique de.1. Sullivan, dans The english historical Review, 1905, t, xx, p. 293-307. En même temps, des traductions en langue vulgaire mettaient l’ouvrage à la portée du grand public, l’ne traduction italienne date de 1363, qui est faite elle-même sur une version française plus ancienne. Lorsque celle-ci prit quelque notoriété, le pape Grégoire XI s’en plaignit amèrement à la Faculté de théologie de Paris, qui ouvrit une enquête officielle, du 1 er septembre au 31 décembre 1375, sans succès du reste, pour en découvrir l’auteur. Voir Chartularium Univ. Paris., t. iii, p. 223-227, et N. Valois, p. 621-622. Vers la même époque, on signale de nombreux em prunts au Defensor dans le célèbre Songe du Yergier (1376-1377) et le pape Grégoire XI en dénonçait l’inspiration dans les premiers écrits de Wyclif. Cf. Sullivan, loc. cit., p. 598-599. Justement suspect aux théoriciens du droit pontifical, Marsile devenait l’allié de tous ceux qui s’attachaient à établir ou à défendre la prépondérance religieuse du pouvoir civil.

Période du Grand Schisme.

En affirmant les

droits de l’État sur l’Église, Marsile avait été conduit à transposer dans un sens démocratique la constitution de l’Église elle-même. Le concile général tient, à ce titre, une grande place dans son système. Il était à prévoir qu’on ne manquerait pas d’alléguer ce précédent lorsque la division persistante du Grand schisme amena tant d’esprits à chercher dans le système conciliaire un remède à la carence de la papauté.

Beaucoup d’historiens ont été surpris de n’y pas trouver une influence très sensible de Marsile. Voir Sullivan, loc. cit., p. 593 et 599. C’est sans doute que ses théories étaient trop visiblement contraires à la tradition ou que les censures de l’Église l’avaient trop discrédité auprès des théologiens. On en retrouve cependant des traces assez nettes pour en iévekr incontestablement la réalité, et le fait est d’autant plus frappant quand il s’agit d’une doctrine notoirement aussi peu catholique.

L’action de Marsile s’exerça tout d’abord d’une manière indirecte et lointaine, par l’inteimédiaiie d’ouvrages nés de son inspiration, tels que le Songe du Yergier, dont Pierre d’Ailly faisait usage. Voir Tschackert, Peter von Ailli, Gotha, 1877, p. 42-43. D’autres fois aussi elle fut directe. Thieny de Niem, par exemple, au cours de son De modis uniendi m reformandi Ecclesiam, 14, dans H. von der Hardt, Conc. Const., t.i, col. 100-101, cite Marsile, bien que sans le nommer, comme un aller modernus mat/nus theologus. Il lui emprunte tout un passage dans son De necessitate reformationis Ecelesix (vers 1117), dans II. I-’inke, Forschungeh und Quellen des Konstanzer Konzils, Paderborn, 1889, p. 276-277. Voir sur l’emprunt la note de l’auteur dans Rômische Quartalschrift, 1893, t. vii, ]). 226-227.

En peu plus tard, dans les remous que suscita le concile de Pâle, on a pu soupçonner encore quelque utilisation du Defensor pacis chez Grégoire de Heimburg. Voir I’. Joachimsohn, Gregor Heimburg, Bamberg, 1891, p. 233. Nicolas de Cuse le mentionne expressément dans son De coneordantia catholiea, n. 34 (entre 1431 et 1131), et, bien que ce soit pour le