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    1. MARSILE DE PADOUE##


MARSILE DE PADOUE, CONDAMNATION

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Marsile y professe la souveraineté absolue de la loi, divine, soit humaine. En conséquence, l’autorité ecclésiastique ne peut rien retrancher de la première par voie de dispense, ni rien y ajouter par voie de commandement. La seconde relève tout entière, par définition, de l’autorité civile. Par rapport à l’une et à l’autre, l’Église ne peut jamais porter de sanction coactive, fût-ce pour préserver le monde entier de l’hérésie. En revanche, le vœu, qui est une promesse sacrée, doit être sanctionné par une peine, même au civil s’il s’agit d’un vœu qui intéresse d’autres hommes. Dans l’ordre proprement spirituel, Marsile n’admet pas que la confession soit, de droit divin, autre chose qu’un conseil ; mais il faut s’y soumettre tant qu’elle est ordonnée par le droit ecclésiastique. Cette confession n’entraîne pas pour le prêtre le droit d’imposer des pénitences. Les croisades et les pèlerinages sont d’ailleurs, en soi, des œuvres médiocrement méritoires et doid l’Église, en tout cas, ne saurait mesurer la valeur. Quant à l’excommunication et à l’interdit, ces mesures De se justifient pas au nom du droit divin. Sur la primauté du pape, Marsile précise « que cette croyance peut être admise… comme une coutume et une tradition, mais non comme un dogme nécessaire au salut éternel ». X. Valois, p. 612. Elle appartient à la catéiic ces décisions prises par les conciles qui doivent être obéies jusqu’à révocation. Il ne saurait d’ailleurs probablement y avoir de concile vraiment œcuménique si les Grecs n’y sont pas convoqués. Le Defensor mtnor s’achève sur la question du mariage, où l’Église peut bien statuer, en théorie, sur ce qui est ou non conforme à la loi divine, mais où les solutions pratiques sont réservées au pouvoir civil.

III. Condamnation par l’Église. —— On a pu remarquer, au cours de cette exposition, que Marsile de Padoue entend toujours parler en chrétien et en catholique, qu’il emprunte ses arguments à l’Écriture tt aux saints Pères. Pour paradoxale que la chose nous puisse paraître, ce bouleversement de la constitution ecclésiastique, qui frappe à bon droit l’historien par aractère d’audacieuse innovation, fut proposé par son auteur comme l’expression même de l’orthodoxie. I — pires hardiesses de l’intelligence s’abritaient encore, au Moyen Age, sous le vêtement de la foi et de la tradition. Ce sentiment éclate d’une manière particulièrement formelle dans les dernières lignes du Defensor, exhumées par K. Mùller, Gôtting. gelehrte Anzeigen, 1883, p. 925, où l’on a la surprise de lire cette déclaration : Supradictis a nobis omnibus adjiciatur quod, si quid in ipsis reperiri contingut diffinitum seu aliter quomodolibet pronunciatum vel scriptum minus catholice, id non pertinaciter dictum est, ipsumque eorrigendum utque determinandum supponimus auctorituti Ecclesise catholicte seu generalis concilii ftdelium christianorum. Il est vrai que, jusque dans cette profession de loyalisme catholique, on retrouve les positions caractéristiques de Marsile : c’est à l’Église, à-dire au concile général, qu’il se soumet. A défaut du concile de tous les chrétiens », c’est du moins le pape, par lui si nettement disqualifié, qui se chargea d’administrer au novateur, en vertu de la tradition catholique, la censure qu’il déclarait souhaiter.

1 Premières interventions du Saint-Siège. — Aussitôt que le Defensor pacis se fut divulgué et que ses auteurs se furent publiquement découverts en se réfugiant auprès d’un empereur déjà condamné pour hérésie. l’attention du Saint-Siège se porta sur les deux docteurs parisiens et diverses mesures préparèrent la damnation qui n’allait pas tarder.

Une première bulle contre les deux hérésiarques fut lancée par Jean XXII au cours de l’été 1326. Elle ne s’est pas conservée ; mais il ressort d’extraits des

archives vaticanes publiées par W. Preger, dans les

Abhandl. der hislor. Classe der k. bayer. Akademie der WiSS., Munich, 1886, t. xvii, p. 199, que l’évêque Albert de Passait rendit compte au Saint-Siège pour la seconde fois, à la date du (i septembre, de la promulgation de ce document dans son diocèse. L’année suivante, une bulle fulminée contre Louis de Bavière. en date du 3 avril 1327, signale auprès de lui ces duos viros nequam, perditionis filios et maledictionis alumnos, quorum unus Marsilium de Padua et aller Johannem de Janduno se faciunt nominari. Elle dénonce également leur ouvrage : librum quemdam erroribus profeclo non vacuum sed plénum hæresibus variis, en ajoutant que plusieurs bons catholiques l’ont déjà examiné. Ce qui suggère que le Saint-Siège n’en a pas encore pris directement connaissance, puisque le pape n’en parle que par ouï-dire : sicut ftde dignorum multorum catholicorum habet asser-tio. Bulle Quia juxta doctrinam, dans Martène-Durand, Thés. nov. anecdot., Paris, 1717, t. ii, col. 683. Quelques jours plus tard, le 9 avril, par la bulle Dudum propler nolorios, le pape frappait nos deux novateurs d’excommunication et de suspense, en même temps que les autres principaux partisans ecclésiastiques de l’empereur rebelle. Jean et Marsile étaient, en outre, sommés de comparaître personnellement devant le Saint-Siège dans un délai de quatre mois pour se justifier de leurs doctrines, sous peine d’être déchus de leurs bénéfices et dignités, sans préjudice des autres sanctions jugées opportunes, eorum àbsenlia non obstante. Martène-Durand, ibid., col. 696-698. Eaute de pouvoir signifier cette citation aux intéressés, le pape faisait afficher aux portes de Notre-Dame des Doms la bulle et les autres pièces du procès, quæ procession ipsum suo quasi sonoro præconio et patulo indieio publicabunt. Il va sans dire que les deux inculpés se gardèrent bien d’obtempérer à cette citation. C’est donc en dehors d’eux que le pape fit procéder à l’examen du Defensor pacis. Il semble d’ailleurs que — cette affaire ait été conduite avec un soin tout particulier.

La bulle définitive de Jean XXII, que nous retrouverons tout à l’heure, fait allusion aux premières argumentations que nonnulli Oiri catholici se pro defensione fidei opponentes firent d’abord valoir pour réfuter les erreurs des deux hérétiques. De guerre lasse, ces interventions privées ne suffisant pas, on se tourna vers le Saint-Siège pour solliciter son jugement sur une série d’articles extraits de. l’ouvrage incriminé. Tandem tam prsefati quam plures privlati neenon et alii viri catholici… nobis certos articulos de libro prædicto curaverunl nonnulli miltere ac per seipsos aliqui priesentare. De cette liste quelques propositions furent spécialement retenues, sur lesquelles le pape voulut conférer, en de sérieuses délibérations, non seulement avec les cardinaux et plusieurs évoques ou prélats, mais avec des spécialistes de la théologie et du droit canonique. L’érudition moderne a retrouvé le nom de quelques-uns au moins de ces consulteurs, que le pape ne nomme pas, et le texte même de leurs mémoires. Voir R. Scholz, Unbekannte kirchenpolitische Streitschriften aus der Zeit Ludwigs des Bayem, Rome, t. i, 1911, p. 1-27, et t. ii, 1914, p. 3-63. D’aucuns furent officiellement saisis de la question, tels que le carme Sybert de Beck et le général des augustins, Guillaume de Crémone — ordinairement appelé Guillaume Amidani, mais dont le nom exact semble être Guillaume de Villana — qui déclarent répondre par ordre du pape. Mais le cas passionnait suffisamment les docteurs présents à la Curie pour que d’autres s’y soient intéressés molu proprio, tels que le prémontré Pierre de l.utra. 11 résulte de la consultation des deux premiers que les propositions examinées étaient primitivement au nombre de six. Aux cinq qui allaient être condamnées,