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1279 MESSE, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : LE SACRIFICE DELACROIX 1280

VI. SI NTBÈSE ET CONCLUSION.

1° Le sacrifice.en général : sacrifice proprement dit et sacrifice improprement dit. — Avant tout, et pour éviter des confutiôns rappelons, que le terme « sacrifice » se prend en deux acceptions différentes, acception stricteet acception large. Il faut distinguer le sacrifice proprement dit et le sacrifice improprement dit.

1. Sacrifice proprement dit.

C’est l’acte principal du culte public, par lequel la société reconnaît et proclame le souverain domaine de Dieu. Cet acte public et solennel est toujours symbolique de l’hommage souverain à rendre à Dieu, hommage d’adoration primordialement et avant toute hypothèse de péché ; mais aussi hommage d’expiation et de réparation, dans l’hypothèse de la chute. Écartons ici comme superflues les discussions théologiqucs sur la nécessité ou non nécessité d’une destruction de la victime en cas de sacrifice propitiatoire et expiatoire. Nous affirmons simplement que la « chose » offerte à Dieu doit toujours, sinon en elle-même ou par sa destruction, tout au moins dans la manière dont elle est offerte, symboliser la dépendance de l’homme vis-à-vis de Dieu. Ainsi, le sacrifice de Jésus-Christ à la croix, qui fut par excellence l’acte solennel du culte public rendu au nom de l’humanité pécheresse, symbolise, lui aussi, la dépendance et l’hommage rendu par cette humanité à Dieu. Tout sacrifice, acte du culte public, est donc un acte symbolique.

L’acte symbolique qui constitue le sacrifice est ordinairement un acte rituel, parce qu’il est réglé par la loi liturgique. Néanmoins, il faut, contrairement à l’affirmation du P. de la Taille, faire une exception pour le sacrifice par excellence offert par Notre-Seigneur Jésus-Christ sur le Calvaire. Ici, en effet, l’acte symbolique est constitué par l’oblation même des souffrances et de la mort endurées par le Sauveur ; la cause directe de ces souffrances et de cette mort, l’action déicide des bourreaux, ne saurait à aucun titre rentrer dans la catégorie des rites sacrés. Sacrifice d’un genre si particulier qu’il doit rester unique dans les annales de l’humanité, le sacrifice de la croix est symbolique, mais non rituel.

Le symbolisme même de l’acte sacrificiel n’a de valeur morale qu’autant que le sacrifice extérieur répond aux sentiments intimes de ceux qui l’offrent. Ces sentiments intimes : adoration, donation de soimême, réparation, expiation, etc. forment le sacrifice que saint Augustin appelle sacrifice invisible, dont le sacrifice extérieur est le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré. De civitate Dei, t. X, c. v, P. L.. t. xli, col. 282 ; que saint Thomas appelle le sacrifice intérieur ou spirituel, signifié par l’extérieur, Il-'-If 6, q. lxxxv, a. 2. Aussi bien, le culte extérieur n’a de valeur religieuse qu’en tant qu’il est la manifestation du culte intérieur. Donc, le sacrifice, pour être agréable à Dieu, doit exprimer avec sincérité et vérité les sentiments du sacrifice intérieur. Aussi saint Augustin afïirme-t-il que dans ces sentiments intérieurs se trouve le vrai sacrifice. Et ce sont ces « vrais » sacrifices qui nous permettent de nous unir au prêtre souverain qui s’offrit lui-même en sacrifice sur la croix. Ibid., c. v, vi, col. 283-284. Le sacrifice de Gain, contredisant ses sentiments intérieurs, ne pouvait être agréable à Dieu. Cꝟ. t. XV, c. vii, col. 433 : Lépicier, De sacrosancto sacrificio eucharistico, p. 41.

2. Sacrifice improprement dit.

Quelle que soit l’excellence morale et la nécessité du sacrifice intérieur, il faut bien se garder de le considérer comme le sacrifice.proprement dit. Le sacrifice proprement dit est l’acte principal du culte public, acte par lequel la société reconnaît et proclame le souverain domaine de Dieu. Il ne peut être offert à Dieu que par un délégué sacré de la société, le prêtre. Or, tous ces éléments man quent au sacrifice intérieur qui, par conséquent, n’est appelé sacrifice que par analogie.

L’analogie qui existe entre les acrifice intérieur — lequel n’est qu’un sacrifice improprement dit — et l’acte public du sacrifice proprement dit, ne doit pas nous faire oublier que la primauté appartient au sacrifice intérieur, lequel seul par lui-même présente une valeur morale, et qui, à ce titre, apparaît comme l’analogum princeps, l’acte extérieur du culte public ne pouvant être, sous ce rapport, qu’un analogue secondaire et dépendant.

Il faut, de plus, observer que la notion de sacrifice improprement dit s’applique non seulement au sacrifice intérieur qui marque les sentiments par lesquels l'âme se soumet et se voue à Dieu, mais aussi aux actes extérieurs commandés par ces sentiments, lorsque ces actes n’ont pas le caractère officiel, social et sacré, qui sont la caractéristique du sacrifice proprement dit. C’est en ce sens large que nous avons entendu saint Augustin définir le sacrifice : Omne opus quod agitiiT ut sancta socielale inlucreamus Deo. Et c’est de cette définition large que part saint Thomas pour démontrer que « la passion du Christ a opéré par mode de sacrifice ». II I a, q. xlviii, a. 3.

Qu’il soit constitué par une volonté intérieure de soumission, d’abandon, de dépendance, qu’il comporte un acte extérieur manifestant ces sentiments, le « sacrifice », qui n’est pas l’acte cultuel offert par le prêtre au nom de la société pour attester le domaine souverain de Dieu, n’est encore, au sens théologique du mot, qu’un sacrifice improprement dit, bien qu’en ces sentiments religieux réside l'élément qui apporte au sacrifice proprement dit sa valeur morale.

Le sacrifice rédempteur offert par Jésus-Christ.


Ces principes admis par tous rendent extrêmement facile l’application qu’il convient d’en faire au sacrifice rédempteur offert par Jésus-Christ.

1. Il est exact de dire que le Christ s’est offert en « sacrifice » dès le premier instant de l’incarnation. Dès cet instant, il dit à Dieu : Me. voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté, Hebr., x, 9. Ce sacrifice, il l’a offert dans une disposition habituelle de sa volonté qui ne s’est jamais démentie au cours de toute sa vie terrestre : toutes ses actions ont été inspirées par cette volonté. Saint Thomas développe magnifiquement cette pensée dans la Somme, III a, q. xxxiv, a. 2, 3 ; q. xlvi, a. 2, 3, 4 ; il la résume en trois formules qui se superposent en se complétant, q. xlviii, a. 1, ad lum, ad 2um, ad 3 urn. Aussi n’est-il pas surprenant de rencontrer, au concile de Trente, des Pères qui la mettent en relief : la vie tout entière du Christ inaugure le sacrifice rédempteur qui ne trouve cependant sa consommation qu’au Calvaire, toutes les actions du Sauveur étant ordonnées vers cette consommation. Voir les textes dans Lepin, op. cit., p. 306-307. Après le concile de Trente, un des théologiens les plus affirmatifs sur ce point est Gaspard Casai. Il déclare que le Sauveur nous a mérité le salut dès le premier instant de sa conception, qu’il a continué à le mériter pendant toute sa vie, dans sa prière, ses enseignements, ses jeûnes, ses autres bonnes œuvres et toutes les adversités par lui supportées. Et il se demande si tout cela fut « par mode de sacrifice » : « Je ne vois, répond-il, aucune raison de le nier ; je vois de multiples raisons de l’affirmer : notre souverain prêtre principal, tous les jours et tout le temps de sa vie de chair mortelle, c’est-à-dire passible, a exercé son office d’oblation et n’a jamais cessé de l’exercer. » De sacrificio missæ, Venise, 1563, t. I, c. xix.

On le remarquera toutefois : il n’est pas question de sacrifice proprement dit. Sous la plume de ces auteurs, comme sous celle de saint Thomas, la trame tout entière de la vie du Christ est un sacrifice vrai,