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MESSE. OBLATION ET IMMOLATION MYSTIQUE
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cesseurs, afin qu’ils célébrassent jusqu'à la fin du monde le sacrifice même (de son corps et de son sang sous le> espèces du pain et du vin) qu’il venait d’offrir ; et il leur en donna l’ordre par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi. Et le concile ajoute immédiatement que Jésus, en ordonnant à ses apôtres et à leurs successeurs d’offrir ce sacrifice, s’est donné luimême pour être immolé par leur ministère sous des signes visibles. Or, c’est là ce que signifient les paroles de la consécration dans le divin sacrifice. Jésus-Christ ne dit pas seulement à la cène : « ceci est mon corps, ceci est mon sang » ; mais il ajoute, selon saint Luc, ceci est mon corps gui est livré pour vous ; ceci est mon sang qui est répandu. Le texte grec de saint Paul dit de même au présent : ceci est mon corps qui est rompu pour Vous. Expressions qui, dans leur sens propre et naturel, ne peuvent s’entendre que d’un sacrifice actuel, où la victime est immolée, et immolée par la séparation mystérieuse du corps et du sang, telle que la signifient les paroles de la double consécration. Comment l’immolation s’opère-t-elle dans la consécration ? Le concile de Trente apporte ici encore une lumière nécessaire. Il distingue, sess. xiii, c. m. deux causes de la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie ; l’une qui change le pain en son corps, et le vin en son sang, par deux actes différents : c’est la vertu même des paroles de la consécration, vis verborum ; l’autre par laquelle l'âme de Jésus-Christ et son sang sont unis à son corps, et son âme et son corps » sont unis à son sang : c’est l’union naturelle et la concomitance, connexio naturalis et concomitantia, par laquelle ces parties sont réunies en un tout vivant. Le corps de Jésus-Christ, dit le concile, est sous l’espèce du pain en vertu des paroles de la consécration, et son sang sous l’espèce du vin… Toute la substance du pain est changée en la substance du corps de JésusChrist, et toute la substance du vin en la substance de son sang. Et il ajoute : Le corps de Jésus-Christ est aussi sous l’espèce du viii, et son sang sous l’espèce du pain, et son âme sous l’une et sous l’autre, non pas à la vérité en vertu des paroles de la consécration, mais en vertu de cette liaison naturelle et de cette concomitance, par laquelle ces parties en Notre-Seigneur JésusChrist qui est ressuscité des morts, et qui ne doit plus mourir, sont unies entre elles. Il en est de même de la divinité, à cause de son admirable union hypostatique avec le corps et l'âme de Notre-Seigneur.

Si l’on veut pénétrer le mystère eucharistique, il faut rapprocher des chapitres concernant le sacrifice ce chapitre concernant le mode de la présence réelle. Ce n’e’st pas sans dessein que l'Église a exprimé, dans les termes qu’on a lus, sa foi en la présence réelle. C’est parce que, selon le mode de présence réelle institué par le Christ, la messe est avant tout un sacrifice ; la divine victime y est contenue, mais encore et surtout immolée, continetur et immolatur, dit le concile. Et ce n’est pas seulement par la séparation des espèces sensibles qu’il faut expliquer le langage du magistère ; car ce langage suppose quelque chose de plus. C’est le corps même de Jésus-Christ et son corps seul qui, en vertu des paroles de la consécration se trouve sous l’espèce du pain ; c’est le sang même de Jésus-Christ et son sang seul qui, eh vertu des mêmes paroles, se trouve sous l’espèce du vin ; et c’est dans cette séparation mystérieuse et sacrificielle que consiste proprement l’immolation non sanglante, qui représente d’une manière si vive et si efficace l’immolation sanglante de la croix.

Ainsi, par la seule étude attentive de la révélation interprétée par le concile de Trente, nous aboutissons à la solution admise aujourd’hui par un grand nombre de théologiens. Nous avons seulement précisé un point, c’est que l’immolation mystique — que tous

admettent au moins à litre de condition — concerne non seulement les espèces sacramentelles (immolation purement figurative), mais encore le corps même et le sang du Sauveur, sacramentellement séparés en vertu des paroles de la consécration, et par là, tout à fait aptes à signifier, représenter, commémorer d’une façon non sanglante la séparation sanglante et effective qui fut produite au sacrifice du Calvaire.

.'S. L' immolation mystique du Christ n’est pas seulement la condition de l’oblation faite à l’autel ; comme l’oblation, elle appartient à l’essence même du sacrifice. — Les partisans du sacrifice-oblation ne considèrent l’immolation mystique que comme la condition de l’oblation faite à l’autel soit par le Christ lui-même, soit par l'Église au nom du Christ. Que faut-il en penser ?

Avant d’aborder la discussion de ce point, une remarque est nécessaire. Les partisans du sacrifice-oblation appellent souvent l’immolation mystique une immolation « figurative ». On observera que ce terme est assez équivoque. S’agit-il d’une simple figure d’immolation, figure toute extérieure, consistant dans la simple séparation des espèces sacramentelles, ainsi que l’entendaient Le Courrayer, et plus tard, Plowden et ses amis ? Est-ce l’immolation mystique au sens où, d’après les déclarations mêmes du concile de Trente, il semble qu’on doive l’entendre ? Remarquons que l’immolation mystique, séparation sacramentelle vi verborum du corps et du sang, peut très bien s’accommoder à la thèse du sacrifice-oblation. Par conséquent il reste à souligner ici l’insuffisance du terme immolation figurative, employé par les défenseurs contemporains du sacrifice-oblation.

a) Pour atteindre plus directement le fond même du débat, observons que le point de départ de M. Lepin ressemble à celui de Plowden. « C’est sur la croix que le sacrifice (de Jésus-Christ), au témoignage de l'Écriture, s’est particulièrement réalisé. Or, (Jésus) s’est offert lui-même personnellement et directement. En quoi a consisté son sacrifice ? Les théologiens qui identifient simplement sacrifice à immolation trouvent tout naturel d’affirmer que le sacrifice de la croix consiste formellement et uniquement dans la mise à mort du Christ ou l’effusion violente de son sang. Mais… le Christ souverain prêtre ne s’est pas mis à mort lui-même : son immolation est l'œuvre des soldats et des Juifs, et, de leur part, loin d'être un acte de religion, c’est un horrible sacrilège. Il est donc impossible que le sacrifice de la croix consiste simplement et directement dans l’acte qui immole le Sauveur. Pierre le Vénérable et Robert Pulleyn l’ont placé dans le don spontané que le Sauveur a fait de sa vie par obéissance à son Père. Saint Thomas fait pareillement valoir « l’obéissance inspirée par la charité », avec laquelle le Sauveur a enduré sa passion et sa mort. C’est l’idée qui s’est imposée très généralement aux théologiens. Or, elle semble bien revenir à placer le sacrifice de la croix dans l’oblation et la donation, pleine d’amour, du Sauveur souffrant et mpurant. » L’idée du sacrifice, p. 740-741. De ce point de départ, M. Lepin conclut que l’oblation et la donation du Christ sont un acte qui s'étend à toutes les actions de sa vie terrestre et que, par conséquent, le sacrifice du Christ a commencé dès le premier instant de son existence et se continue dans sa vie glorieuse et immortelle.

Or, de telles assertions ne seraient-elles pas en désaccord avec l’enseignement de la tradition et de la théologie ? Jésus-Christ, en effet, n’a pas seulement permis qu’on l’attachât à la croix ; ilts’esl immolé lui-même, comme une victime sans tache, pour le salut des hommes, par la séparation volontaire de son corps et de son âme, lorsque le Verbe, qui dirigeait toutes