Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/639

Cette page n’a pas encore été corrigée
1263
1264
MESSE, CRITIQUE DU SACRIFICE-IMMUTATION


au culle public <hï à Dieu. A l'égard de cette destination du corps et du sang, destination qu’on dit être renfermée dans l’acte de la consécration, peuvent être formulées toutes les critiques que nous avons recueillies plus haut contre la communion elle-même considérée comme élément essentiel du sacrifice.

D’ailleurs, il est inexact que la communion, considérée soit en elle-même, soit comme préparée dans la consécration, réalise la destruction qu’on prétend nécessaire au sacrifice. La destruction n’atteint ici que l'être sacramentel du Christ ; elle n’est que la cessation de la présence réelle sous les espèces qui se corrompent ; le changement est tout entier du côté des espèces, et n’implique pas plus un sacrifice à la communion, qu’il n’en comporte quand les espèces sont corrompues par une décomposition chimique quelconque en dehors de la messe.

4. L’explication de De Lugo et des théologiens qui l’ont suivi ou même dépassé n’est pas plus acceptable, quoi qu’en ait pensé Franzelin. On sait que cette explication nous présente le Christ réduit, non seulement à la condition de substance alimentaire, mais encore, à cause de cette condition même, à un état inférieur, dans lequel le Sauveur est privé de l’exercice naturel de ses facultés sensibles. Les théologiens imbus des principes cartésiens accentuent encore l’amoindrissement du Christ sous le rapport de la quantité : le status declivior, pour eux, se complique d’une réduction ad punctum.

A cette explication — qui a satisfait tant de théologiens de marque — - on oppose plusieurs raisons qui semblent convaincantes.

a) Tout d’abord, ce status declivior, cette réduction ad punctum, cette privation de l’exercice des facultés sensibles, tout cela est-il bien dans la réalité des choses ? On a le droit d’en douter. « Le Christ, écrit fort justement M. Lepin, op. cit., p. 724, est incontestablement présent sur l’autel dans l'état glorieux qu’il possède au ciel. Il est donc impassible et ne peut subir aucun abaissement ni changement réel. Le fait d'être mis sous les espèces d’aliments grossiers, inertes et corruptibles ne lui ajoute ni ne lui ôte rien. L’humilité, l’immobilité, la corruptibilité sont le propre de ces espèces d’emprunt ; elles n’affectent en aucune façon son être personnel. Il n’y a donc aucune modification, à plus forte raison aucune destruction ou diminution du Christ par le fait de la consécration. » Le corps du Christ, dans l’eucharistie, reste vivant, organisé, avec tous ses accidents, notamment sa quantité, et ses facultés et propriétés. Le concile de Trente nous fait une loi expresse de croire que « Notre-Seigneur est tout entier sous l’espèce du pain et sous chaque partie de cette espèce, tout entier sous l’espèce du vin et sous toutes les parties de cette espèce », sess. xrn, c. m et can. 3, Denz.-Bannw., n. 876, 885, et Benoît XIV insère cet article de foi dans la profession imposée aux Orientaux : « Sous chaque espèce et sous chacune des parties de l’une et l’autre espèces, après la séparation, est contenu le Christ tout entier. » Denz.-Bannw., n. 1469. Il ne manque donc au corps de Jésus-Christ rien de ce qui appartient à son intégrité.

Ce n’est pas ici le lieu de disserter sur le mode de présence du Christ dans le sacrement ; qu’il suffise de rappeler la doctrine du concile de Trente : « Il n’y a pas contradiction entre ces deux faits, que Notre-Seigneur continue toujours d'être au ciel, assis à la droite du Père, selon sa manière naturelle, et que néanmoins il nous soit présent en plusieurs autres lieux par sa substance et d’une manière sacramentelle. C’est là un mode d'être que nous pouvons à peine exprimer par des paroles ; mais, que cela soit possible à Dieu, la raison éclairée par la foi nous le fait com prendre, et nous le devons très fermement croire. Sess. xiii, c. i, Denz.-Bannw., n. 874. S’il en est ainsi, comment peut-on parler d’amoindrissement, d'état inférieur et surtout de réduction ad punctum' ! Voir Eucharistie, t. v, col. 1432 sq.

De plus, à moins de vouloir établir que le Christ présent dans l’eucharistie n’est pas le Christ vivant et immortel qui règne dans le ciel, il faut reconnaître que le Christ, même voilé sous les espèces eucharistiques, exerce tous les actes de la vie humaine. Il est d’ailleurs parfaitement inutile d’entrer à ce sujet dans les subtiles distinctions, formulées par certains théologiens entre les actes vitaux ne dépendant pas. et les actes vitaux dépendant des puissances organiques. Voir Hugon, La sainte eucharistie, p. 175, sq.

En bref, l’opinion de De Lugo paraît contradictoire, en ce qu’elle prétend que la même humanité du Christ peut être, en un lieu, le ciel, vivante et glorieuse, et simultanément en un autre lieu, l’autel, morte et réduite à l'état inférieur d’une substance inanimée et comestible.

b) Mais ce n’est pas tout. Il manque à cette conception du sacrifice eucharistique de répondre suffisamment à la description qu’en donne le concile de Trente : quo cruentum illua semel in cruce peragendum reprsesentarctur. Sess. xxii, c. i, Denz.-Bannw., n. 874. Ici, l’argument que nous avons déjà tourné contre Bellarmin et son école retrouve toute sa force contre la conception lugonienne du sacrifice. Cette conception en effet n'évite pas le grave inconvénient déjà signalé : la messe alors n’est plus la représentation du sacrifice de la croix. L’immolation du Calvaire a consisté dans la séparation du corps et du sang, non pas dans un anéantissement physique ou moral qui aurait rendu le Christ impropre aux fonctions de la vie humaine. Si le sacrifice eucharistique est une descente à cet état inférieur, il est d’un ordre tout singulier, sans rapport nécessaire avec la croix.

c) Autre conclusion défectueuse : dans ce système, la consécration sous les deux espèces ne serait plus nécessaire. Le sacrifice consistant en un amoindrissement du Christ, se trouverait tout aussi bien réalisé sous 'une seule espèce que sous les deux. Or, cette conclusion ne semble pas acceptable. Enfin, au témoignage même du concile de Trente, la messe a été préfigurée par les sacrifices anciens, sous la loi mosaïque et même sous la loi de nature ; elle renferme éminemment, comme leur consommation et leur perfection, tous les biens signifiés par ces anciens sacrifices. Sess. xxii, c. i, Denz.-Bannw., n. 939. Il faut donc, entre la messe et ces sacrifices, trouver une certaine analogie, tout au moins dans la manière d’offrir le sacrifice. Or, on ne saurait concevoir cette analogie dans la privation des fonctions naturelles, et des conditions naturelles de l’existence.

D’ailleurs, d’une façon générale, il convient d’affirmer l’opposition de la conception du sacrifice-destruction, et de la conception que les scolastiques avaient jadis formulée touchant le mystère du sacrifice eucharistique. Ceux-ci admettent une immolation mystique à l’autel, mais le Christ n’y est pas fait victime ; il y est offert, victime immolée à la croix. Toute théorie admettant un changement réel apporté à la victime eucharistique est donc en dehors de la tradition théologique antétridentine.

2° Il faut maintenir l’existence d’une immolation mystique, appartenant à l’essence du sacrifice. — De ce que la destruction ou l’immutation réelle de la victime ne peut trouver place au sacrifice eucharistique, il ne faut pas conclure que la conception de ce sacrifice se trouve essentiellement et adéquatement vérifiée dans la seule oblation qu'à la messe le Christ et, au nom du Christ et de l'Église, les prêtres font du