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MESSE, CRITIQUE DU S ACRI FI CK-I M MUT ATTON

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de dispense, quelles que soient les « raves raisons qu’on puisse apporter, pour consacrer une espèce sans l’autre. Et la loi de l'Église sur ce point est si grave, que le droit canon interdit urgente etiam extrema nccessitate, alteram materiam sine altéra, aut etiam ulramquc extra missse eelebrationem, consecrare. Canon 817.

3. Un troisième argument, de moindre valeur à la vérité, est emprunté à la figure de l’eucharistie dans l’Ancien Testament : Melchisédech otïrit son sacrifice en utilisant à la fois pain et vin ; la messe, pour être semblable au sacrifice qui en a été le type, doit donc comporter la double consécration du pain et du vin. Suarez, disp. LXXV, sect. vi, n. 7, 8. Cf. disp. XLIII, sect. iv : De Lugo, De sacramentel eucharistie, disp. XIX, sect. viii, n. 105 ; Vasquez, disp. CCXIII, c. iii, etc.

En exposant la nécessité de la double consécration dans le sacrifice eucharistique, les auteurs font observer que l’ordre pourrait être interverti sans exposer le sacrifice à l’invalidité. Mais consacrer le vin avant le pain serait aller contre la loi de l'Église et l’institution positive du Christ. Qui agirait ainsi commettrait un sacrilège. Suarez, ibid., n. 11.

La conclusion de cette doctrine, c’est, en premier lieu, que la consécration d’une seule espèce n’est qu’un sacrifice ébauché, nullement complet ; que le fruit de la messe n’est appliqué qu’après la deuxième consécration terminée, et qu’enfin, en cas d’invalidité d’une consécration, il faut recommencer, pour assurer la validité du sacrifice, la double consécration. Cf. Missel romain, De defectibus, tit. n et ni.

/II. COMMENT LA CONSÉCRATION CONSTITUE L’A' TL>X SACRIFICIELLE DE LA ItEïSE.— 1° 77 faut

en premier lieu, rejeter l’hypothèse d’un changement réel apporté par la consécration à la matière ou à la victime, changement constituant l’essence du sacrifice eucharistique. — 1. La première opinion formulée en ce sens-est celle de Tanner. Cf. col. 1169. La consécration est un sacrifice parce qu’elle détruit la substance du pain et du viii, cette destruction proclamant l’excellence et la majesté divine dont la toute-puissance éclate dans l’une et l’autre consécration. Il est inutile de s’arrêter longuement à la réfutation de cette thèse, rejetée des meilleurs théologiens, Bellarmin, De missa, I, I, c. xxvii ; Vasquez, disp. CCXXII, n. 51 ; De Lugo, De sacramento eucharistiæ, disp. XIX, sect. iv, n. 61. Voici comment ce dernier auteur apprécie cette singulière opinion : « Il s’en suivrait, dit-il, que notre sacrifice serait inférieur aux sacrifices de l’ancienne Loi : un animal, brebis ou agneau, est plus noble que le pain et le vin. De plus, ce serait introduire la dualité dans un sacrifice qui, au témoignage des Pères, doit être un. Et enfin, à rencontre encore du témoignage des Pères, le sacrifice de la messe ne serait pas le même sacrifice que celui de la croix : il y aurait prêtre différent et sacrifice différent, etc., etc. »

2. La deuxième opinion, celle de Suarez, apporte une correction à cette première hypothèse. Suarez admet que la substance du pain et du vin est détruite par la consécration, mais en vue de produire le corps et le sang du Christ. Et c’est le Christ, terme de l’action sacrificielle, qui est principalement et avant tout la chose offerte à Dieu. C’est dans cette production, et dans l’oblation qu’elle implique, qu’est constitué le sacrifice eucharistique.

Pour concevoir cette explication, il faut admettre, — et Suarez en convient — que le changement requis par le sacrifice n’affecte pas nécessairement la chose offerte. Et c’est là précisément le point faible de cette opinion. « C’est, dit De Lugo, aller contre le sentiment commun des auteurs. » C’est la même réalité qui est offerte et qui simultanément doit être immolée dans

le sacrifice. Sinon, tout acte productif pourrait être conçu comme un sacrifice : la génération des enfants, la construction d’un temple à Dieu. Ou bien, pour réhabiliter l’explication suarézienne. il faut la dégager, d’après les principes posés par Suarez lui -même, de l’idée du sacrifice-destruction. C’est en ce sens que M. Lepin interprète Suarez : après avoir exposé la doctrine du théologien jésuite, M. Lepin ajoute judicieusement : « Il n’en reste pas moins qu’en rigueur de termes le Christ est seul véritablement l’hostie de notre sacrifice et l’immutation ne l’atteint en aucune manière. Suarez n’en disconvient pas. Aussi en vient-il à discuter la nécessité de l’immutation posée en principe. On le voit, au cours de son argumentation, déclarer assez nettement « qu’une immu « tation réelle et physique n’est pas nécessaire » ; il peut suffire de « quelque autre action sacrée faite circa rem oblatam », et il faut bien traduire ici : autour de la victime ; ou que, si l’immutation réelle doit intervenir dans la materia ex qua, elle n’est pas requise dans l’hostie principale et proprement dite qui en résulte. Finalement il observe que la signification morale jugée essentielle au sacrifice, savoir la proclamation de la souveraineté de Dieu, peut être procurée aussi bien par un acte d’efjection ou de production, que par un acte d’immutation réelle ou de destruction, surtout quand il s’agit d’une « efîection « surnaturelle, qui va à présenter à Dieu l’hostie la « plus capable de lui plaire et de l’honorer ». C'était évidemment en vue de se ménager cette dernière réponse, ajoute M. Lepin, que l’illustre théologien, dans ses explications de la définition du sacrifice, avait glissé l’idée d’ef/ection, que rien ne semblait alors justifier, et qui rappelle le langage de Melchior Cano. Mais, pourquoi avoir maintenu dans la définition de principe l’idée complètement différente d’immutation, sauf à insinuer après coup qu’elle n’est pas absolument nécessaire ? » Op. cit., p. 372-373.

3. Bellarmin accepte l’idée de sacrifice-destruction. Une destruction réelle a lieu à la messe, la destruction de l’hostie par la communion. Ainsi la communion est la consommation du sacrifice.

Cette explication se heurte tout d’abord à la doctrine qu’on a exposée précédemment et déclarée très probable : la consécration seule appartient à l’essence du sacrifice. Mais nous avons vii, d’autre part, que plusieurs disciples de Bellarmin ont corrigé la thèse du maître et l’ont adaptée à la considération de la seule consécration, comme élément essentiel du sacrifice eucharistique. Viva et Holtzclau sont les principaux représentants de cette adaptation. M. Lamiroy a donné une dernière perfection à la thèse de Bellarmin-Viva, voir col. 1181. « Dans la consécration, le Christ revêt un état d’immolation, qui se manifeste en ce que le corps du Sauveur peut être mangé, et son sang peut être bu… La consécration place le Christ sous la forme de victime équivalemment immolée, car elle le rend présent sur l’autel et l’y place en un état tel, que son corps devient vraiment nourriture sous l’apparence du pain, comme le corps d’une victime animale immolée, et que son sang devient vraiment breuvage, sous l’espèce du viii, comme s’il était répandu. » L’idée d’un ordre réel à la manducation suffit à justifier ici le concept de sacrifice-destruction,

On doit se demander si cette explication est bien solide. Elle prête à de graves critiques, non seulement sous la forme que lui a donnée Bellarmin, mais même avec l’amendement qu’y introduisent Viva, Holtzclau et Lamiroy. Cette réduction du corps et du sang du Christ à l'état de nourriture et de breuvage ne présente en soi aucun caractère sacrificiel. Elle est ordonnée à l’usage que nous faisons de l’eucharistie pour nous-mêmes, mais ne se rapporte en aucune manière